Présidentielle au Sénégal : « Les transhumances et l’emprisonnement de Khalifa Sall ont fait basculer Dakar vers la majorité au pouvoir »
« Jeune Afrique » revient cette semaine sur les grandes leçons du scrutin. Dans ce troisième volet, Papa Fara Diallo, docteur en sciences politiques, décrypte la situation dans la capitale sénégalaise, où Macky Sall est arrivé en tête, malgré une majorité de votes en faveur des candidats de l’opposition.
Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
Acquise à l’opposition depuis 2009 et l’élection de Khalifa Sall à la mairie de Dakar, la capitale sénégalaise est l’une des poches électorales les plus convoitées par la coalition majoritaire de Macky Sall. Le président-candidat y est arrivé largement en tête, totalisant à lui seul 48,90 % des voix.
>>> À LIRE – Présidentielle au Sénégal : les résultats du scrutin dans chaque département
Si les votes en faveur de l’opposition restent majoritaires, Macky Sall gagne du terrain dans la capitale. Et la consigne de vote en faveur d’Idrissa Seck, donnée par Khalifa Sall, n’a pas eu l’effet escompté. Pour Papa Fara Diallo, docteur en sciences politiques et maître de conférences assimilé à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, les résultats de la présidentielle laissent augurer une bataille serrée pour les élections locales de décembre 2019. Décryptage.
(Tout au long de la semaine, JA revient, avec d’autres experts, sur les résultats les plus emblématiques de la présidentielle. Retrouvez ici le premier et le deuxième volet.)
Jeune Afrique : Dans les quatre départements de Dakar, Macky Sall est arrivé en tête, mais est dépassé par les scores cumulés de l’opposition. Pourquoi Dakar est-il si difficile à conquérir pour le pouvoir en place ?
Papa Fara Diallo : La région Dakar concentre environ 23 % de la population sénégalaise et représente un grenier électoral extrêmement important. Mais elle a toujours été une zone rebelle, historiquement hostile aux gouvernements successifs.
Les seules exceptions ont eu lieu lorsque le maire de la capitale était un membre éminent du parti au pouvoir. On peut notamment citer le socialiste Mamadou Diop ou le libéral Pape Diop, membre influent du Parti démocratique sénégalais du président Abdoulaye Wade. Sous leurs magistères, la majorité en place a enregistré des résultats importants. Mais en dehors de leur cas, la mairie de Dakar a toujours basculé vers l’opposition.
L’opposition a gagné Dakar, mais la majorité a clairement gagné du terrain et avance petit à petit vers son objectif ultime, la mairie
Peut-on considérer les scores de Macky Sall comme une victoire sur l’opposition à Dakar ?
À Dakar, Macky Sall a obtenu 212 355 voix, alors qu’Idrissa Seck et Ousmane Sonko en cumulent 216 615. On observe les mêmes tendances à Pikine, Rufisque et Guediawaye. Même si Macky Sall arrive en tête partout, les résultats de l’ensemble de l’opposition dépassent ceux du président sortant. C’est l’opposition qui a gagné Dakar, mais la majorité a clairement gagné du terrain et avance petit à petit vers son objectif ultime, la mairie.
>>> À LIRE : Présidentielle au Sénégal : à Guediawaye, Macky Sall fait les yeux doux à la banlieue dakaroise
Avant les législatives de 2017, alors que Khalifa Sall était déjà en prison et n’a pas pu battre campagne, Macky Sall n’avait jamais gagné à Dakar. Lors des élections pour le Haut Conseil des collectivités territoriales, la coalition Taxawu Dakar de Khalifa Sall a raflé les trois postes à pourvoir pour Dakar. Aux municipales de 2014, la Première ministre Aminata Touré a été envoyée se présenter à Grand Yoff, fief du maire sortant Khalifa Sall, et elle a été battue.
Certains s’attendaient à un « effet Khalifa Sall » pour le candidat Idrissa Seck, soutenu par l’ancien maire de Dakar. Celui-ci a-t-il eu l’influence escomptée ?
Le report de voix attendu n’a pas eu lieu. Khalifa Sall était le maître incontesté de Dakar depuis les locales de 2009, mais son emprisonnement et les défections dans ses rangs l’ont affaibli. Au final, le grenier électoral de l’ancien maire de Dakar a été divisé entre Idrissa Seck et Ousmane Sonko.
Cela suffit-il à expliquer les progrès enregistré par Macky Sall, qui a gagné près de 20 points à Dakar par rapport à 2012 ?
Deux facteurs possibles ont favorisé le basculement partiel de Dakar vers la majorité présidentielle. D’abord l’emprisonnement de Khalifa Sall, qui a été déchu de son poste de maire et de député, et le rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel. Ensuite, la transhumance vers le camp de Macky Sall de certains de ses ex-lieutenants après sa déchéance.
Ousmane Sonko incarne un discours novateur qui fait sens auprès des 15-35 ans
On pense notamment au maire des Parcelles Assainies, Moussa Sy, qui a posé de grandes difficultés à son rival Amadou Ba, ministre de l’Économie et des Finances, mais a finalement apporté son soutien à la majorité quand Khalifa Sall s’est trouvé en disgrâce. Bamba Fall, maire de la Médina, est le seul proche de Khalifa Sall qui a annoncé ne soutenir personne, ne suivant pas la consigne de vote de Khalifa Sall. Cela laisse penser à certains observateurs qu’il sera le prochain transhumant.
Ousmane Sonko a enregistré de bons résultats à Dakar, est-il le candidat d’une certaine élite urbaine ?
Une partie de la jeunesse urbaine est très sensible aux discours d’Ousmane Sonko. Son projet de société séduit les étudiants de Dakar ou de Saint-Louis, tout comme une élite assoiffée de changement qui ne se retrouve pas dans le système de gouvernance actuel.
Ousmane Sonko incarne un discours novateur qui fait sens auprès des 15-35 ans, qui représentent plus de 50 % des Sénégalais. À l’inverse, à travers une enquête menée à Dakar, on a observé que les personnes âgées, les pères et mères de famille ont privilégié le maintien du statu quo et apprécient les réalisations de Macky Sall, comme le prolongement de l’autoroute ou le Train express régional (TER).
Pour construire un projet en vue de la présidentielle de 2024, il faudra exister aux locales
Entre Macky Sall qui gagne du terrain, Idrissa Seck qui bénéficie actuellement du soutien de Khalifa Sall et l’engouement suscité par Ousmane Sonko, quels seront pour Dakar les enjeux des élections locales de décembre 2019 ?
Même si l’âge légal du vote est de 18 ans, l’engouement que suscite Ousmane Sonko pourrait peser lourd aux prochaines élections locales, législatives comme lors de la prochaine présidentielle. Depuis les législatives de 2017, Ousmane Sonko est passé du soutien de moins de 1 % à celui de plus 15 % de l’électorat, notamment dans des zones critiques comme Dakar ou Ziguinchor et avec le vote de la diaspora européenne. Mais pour construire un projet en vue de la présidentielle de 2024, il faudra exister aux locales.
Les sciences politiques ne donnent pas dans la divination, il faut être prudent, mais on peut imaginer plusieurs cas de figure pour les locales de décembre prochain. Ousmane Sonko pourrait se présenter ou décider de soutenir quelqu’un qui lui est favorable. Avec les scores qu’il a enregistrés à Dakar pour la présidentielle, il est sans doute plus dangereux qu’Idrissa Seck, car rien ne dit que ce dernier bénéficiera encore du soutien de Khalifa Sall pour les locales. Taxawu Dakar aurait tout intérêt à présenter sa propre liste.
On peut imaginer également un trio Ousmane Sonko, Khalifa Sall, Idrissa Seck pour contrer la candidature de Benno Bokk Yakaar et être bien représenté au Conseil municipal. Quel que soit le scénario, ce sera très compliqué pour Macky Sall.
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
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