Batailles pour l’hinterland
Les ports francophones de la façade atlantique misent sur la desserte des pays enclavés pour accroître leur trafic. Et susciter l’intérêt des investisseurs.
S’il est un port du golfe de Guinée qui attire aujourd’hui toutes les attentions, c’est bien celui de Pointe-Noire. Avec un tirant d’eau de 13 mètres et un potentiel encore supérieur, le port du Congo-Brazzaville est en effet un point clé dans une région où les ports en eau profonde ne se bousculent pas. Sans surprise, la bataille est donc actuellement engagée entre les français Bolloré et CMA-CGM ou le danois AP Moller-Maersk pour être retenu par l’État afin de développer le site. Une fois rénové, Pointe-Noire pourrait en effet asseoir sa position de plaque tournante pour les ports de la région, tout en démultipliant sa capacité à desservir les pays d’Afrique centrale. Une sérieuse concurrence pour Douala, qui a pris de l’avance sur son concurrent congolais en concédant en 2005 son terminal à conteneurs à Bolloré et AP Moller-Maersk, mais dont le développement reste limité par un tirant d’eau de 7,5 mètres, insuffisant pour accueillir les porte-conteneurs géants.
Partout, la question des pays enclavés est cruciale : l’Afrique en compte quatorze. Du coup, à l’Ouest, Cotonou, Lomé, Tema et Abidjan se battent pour la desserte du Mali, du Niger et du Burkina. Pointe-Noire, Owendo, Douala pour celle du Tchad et de la République centrafricaine. À l’Est, le Kenya entend servir l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Deux derniers pays auxquels les ports tanzaniens ont également accès, ainsi qu’en Zambie, qui, avec le Zimbabwe, le Malawi ou le Botswana, sont l’objet d’une féroce bataille portuaire entre le Mozambique et l’Afrique du Sud. Pour tous, le succès dépend de l’existence d’un réseau routier de bonne qualité mais aussi, idéalement, de l’existence d’un chemin de fer. Abidjan, Dakar, Douala ou Pointe-Noire, qui disposent d’un chemin de fer les reliant à un pays voisin, sont avantagés. Mais la partie est aujourd’hui plus complexe. Le développement d’un port efficient, doté d’infrastructures performantes, la création d’une zone logistique et de stockage attenante au port, ou celle de ports secs dans les terres sont autant de facteurs décisifs. Logiquement, les ports se sont donc lancés les uns après les autres dans des opérations de modernisation associant le secteur privé.
C’est le cas à Lomé, où SE2M, allié au franco-espagnol Progosa, a obtenu en 2002 une concession de dix ans. De 60 000 conteneurs en 2002, le trafic est passé à plus de 200 000 boîtes au cours de l’année écoulée. Avec CMA-CGM, Progosa envisage des investissements massifs pour doper encore la capacité du port togolais, mais les travaux semblent prendre du retard. AP Moller-Maersk s’intéresse également au site. Le port de Cotonou, dont le trafic global a explosé, à 5,4 millions de tonnes en 2006 et 140 000 conteneurs, a lancé début 2008 l’extension des parcs à conteneurs par Maersk et Bolloré et prévoit différentes mesures visant à lutter contre l’ensablement du site. Un problème sérieux auquel est également confronté Douala.
Le Gabon, où le volume de transport conteneurisé reste très faible (autour de 50 000 conteneurs), avance également dans la modernisation de ses infrastructures. En 2007, après une première concession annulée, l’opérateur de terminal singapourien Portek International a remporté pour vingt-cinq ans l’exploitation des ports d’Owendo et de Port-Gentil, aujourd’hui essentiellement consacrés au commerce du bois et du pétrole. Si à Owendo un nouveau terminal à conteneurs est en construction, financé par Bolloré, le Gabon n’a pas pour l’instant réellement lancé de grands chantiers visant à devenir une plate-forme portuaire régionale, malgré les avantages qu’il semble présenter en matière d’infrastructures et de stabilité politique.
Devant l’augmentation de la taille de navires porte-conteneurs, la profondeur des ports sera sans doute, plus que d’autres, un critère décisif. En Afrique de l’Est, Mombasa a annoncé début février le lancement d’appels d’offres comprenant la construction d’un nouveau terminal à conteneurs d’une capacité de 1,2 million d’EVP ainsi que le dragage du port à 15 mètres de profondeur. Le port kényan entend ainsi asseoir sa position de leader régional devant Dar es-Salaam, qui, malgré ses 11 mètres de profondeur seulement, connaît un véritable boom. Le port tanzanien a en effet bénéficié de la concession de son terminal à conteneurs au numéro un mondial des opérations portuaires, HPH, tout en profitant du chemin de fer qui le relie à la Zambie. En Afrique centrale, Pointe-Noire a le meilleur tirant d’eau.
À l’Ouest, Lomé a un tirant d’eau (jusqu’à 14 mètres) supérieur à ceux de Cotonou et Tema (10 mètres) et même de Vridi à Abidjan (11 mètres). Mais la partie n’est pas close. Abidjan, qui souhaite accroître la profondeur de son chenal de trois mètres, développe un port en eau profonde, à Boulay, dans la lagune d’Abidjan. Le Bénin ne fait plus mystère de son ambition de bâtir un nouveau port à Seme Podji, à l’est de Cotonou, afin de résoudre la saturation du port de Cotonou et de développer un site disposant d’un tirant d’eau supérieur. Le puissant numéro un économique de la zone, le Nigeria, ambitionne quant à lui de créer un port entier, qui, avec 16 mètres, serait l’un des plus profonds du golfe de Guinée. Autant de concurrents potentiels pour devenir la véritable plate-forme maritime régionale, capable à la fois de transférer les marchandises vers les routes et le chemin de fer, mais aussi de nourrir de plus petits navires porte-conteneurs qui prendront la direction des autres ports, moins profonds, de la sous-région.
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