Présidentielle au Sénégal : « La réussite d’Ousmane Sonko en Casamance s’explique aussi par son positionnement hors système »
« Jeune Afrique » revient cette semaine sur les grandes leçons de la présidentielle. Dans ce quatrième volet, Vincent Foucher, chargé de recherche au CNRS, analyse les raisons de la victoire sans appel d’Ousmane Sonko en Basse-Casamance, région dont il est lui-même originaire.
Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
Dans la région administrative de Ziguinchor, Macky Sall a enregistré son plus mauvais score à la présidentielle, avec « seulement » 38,72 % des voix. Le ralliement récent du maire de capitale régionale, Abdoulaye Baldé, ou l’achèvement d’infrastructures très attendues, tel le pont sénégambien, censé désenclaver le sud du Sénégal, ne lui auront pas permis de battre Ousmane Sonko. Le leader du Pastef, originaire de la région, n’a en effet laissé aucune chance à ses concurrents, raflant 57,25 % des suffrages.
Faut-il y voir un vote ethnique ? Comment les populations des départements de Bignona, Oussouye et Ziguinchor se positionnent-elles traditionnellement entre pouvoir et opposition ? Spécialiste de la Casamance, Vincent Foucher, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef de la revue Afrique contemporaine, décrypte pour Jeune Afrique les raisons de la victoire sans appel d’Ousmane Sonko dans cette région.
(Tout au long de la semaine, JA revient, avec d’autres experts, sur les résultats les plus emblématiques de la présidentielle. Retrouvez ici les volets consacrés au Fouta, à la diaspora et à Dakar).
Jeune Afrique : Malgré son action pour apaiser le conflit casamançais, et la réalisation de projets d’envergure dans cette région qui se considère délaissée par le pouvoir central, Macky Sall accuse son plus mauvais score en Basse-Casamance. Comment l’expliquer ?
Vincent Foucher : Macky Sall peut revendiquer un certain nombre de réalisations significatives, comme le pont sénégambien, qui va changer le quotidien de milliers de Casamançais. Par ailleurs, la situation concernant le conflit dans la région s’est sensiblement améliorée sous son mandat. Mais l’apparition du candidat Ousmane Sonko, d’origine casamançaise – diola, plus précisément – a fortement compliqué la donne pour le président sortant. Le leader du Pastef a enregistré des résultats spectaculaires en Basse-Casamance.
Ousmane Sonko a bénéficié d’un vote casamançais diola
Il est intéressant de constater qu’Ousmane Sonko a remporté la proportion de voix la plus importante dans le département de Bignona [51 438 suffrages sur 128 489 inscrits, ndlr], qui est son département d’origine. Il engrange par ailleurs des pourcentages importants dans les départements d’Oussouye et de Ziguinchor, majoritairement diolas eux-aussi. Mais dans les régions voisines comme Sedhiou, Macky Sall arrive en tête. Cela montre qu’il y a eu un vote casamançais diola qui a bénéficié à Ousmane Sonko.
Son succès dans la région de Ziguinchor serait donc la résultante d’un vote ethnique ?
Pas uniquement. Il y a déjà eu un candidat diola à la présidentielle de 2007, en la personne de Robert Sagna, ex-député et maire socialiste de Ziguinchor. Mais il n’a pas connu le même succès.
Sa percée à l’échelle nationale a renforcé sa crédibilité au plan local
La réussite d’Ousmane Sonko en Casamance ne peut pas se résumer à un simple vote diola. Ce serait négliger l’engouement suscité par sa jeunesse et par son positionnement « hors système » et nationaliste, ce qui n’était pas le cas de Robert Sagna. La percée d’Ousmane Sonko à l’échelle nationale a renforcé sa crédibilité au plan local.
Le succès d’Ousmane Sonko est-il la seule explication aux mauvais résultats enregistrés par Macky Sall à Ziguinchor ?
Cette région est historiquement favorable à l’opposition. Dans les années 1970 et 1980, le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade était très fort en Casamance, en particulier dans la région de Ziguinchor. Cela s’explique notamment par la forte politisation des populations locales, qui ont beaucoup d’attentes. Aujourd’hui, par exemple, les Casamançais ont conscience que la croissance dont peut se vanter Macky Sall se ressent davantage à Dakar qu’à Ziguinchor, ce qu’ils ont traduit dans les urnes.
Face au phénomène Sonko, Abdoulaye Baldé n’a pas fait le poids
Le ralliement à Macky Sall d’Abdoulaye Baldé, le maire de Ziguinchor, n’a pas suffi à inverser la tendance… Abdoulaye Baldé est sur la queue de comète de la trajectoire politique qui lui a permis de gagner la mairie de Ziguinchor. Il est en perte d’influence, et son soutien à Macky Sall, face au phénomène Sonko, n’a clairement pas fait le poids auprès des électeurs.
Les résultats d’Ousmane Sonko en Basse-Casamance augurent-ils d’élections locales difficiles pour Macky Sall dans cette région, en décembre 2019 ?
Il sera très intéressant de voir comment Ousmane Sonko se positionnera alors en Casamance, à Ziguinchor en particulier. Présentera-t-il ses propres candidats ou privilégiera-t-il une coalition ? Sans se hasarder à un quelconque pronostic, il ne serait pas illogique qu’il cherche à capitaliser par lui-même sur son score de la présidentielle.
Les luttes seront vives, d’autant que le bloc de l’Alliance pour la République (APR) de Macky Sall est extrêmement divisé à Ziguinchor. Il y est composé de bribes du PDS, du Parti socialiste, d’alliés de longue date comme d’individus ralliés récemment… Des divisions susceptibles de bénéficier à Ousmane Sonko, qui pourrait lui-même y piocher de nouveaux alliés.
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
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