[Tribune] Une jeunesse féministe arabe assoiffée de liberté, d’égalité et de démocratie

Aux côtés des vaillantes féministes historiques toujours engagées dans le combat universel des droits humains, des jeunes féministes subversives assoiffées de liberté, d’égalité et de démocratie, participent – auprès d’autres forces démocratiques – à la révolution du monde arabe.

Des femmes voilées et non voilées sur la place Al Manara à Ramallah (Palestine), le 13 octobre 2010 (Photo d’illustration). © Olivier Fitoussi pour Jeune Afrique

Des femmes voilées et non voilées sur la place Al Manara à Ramallah (Palestine), le 13 octobre 2010 (Photo d’illustration). © Olivier Fitoussi pour Jeune Afrique

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  • Leïla Tauil

    Docteure en Philosophie et Lettres, Leïla Tauil est enseignante-chercheure à l’Université de Genève et est, entre autres, spécialiste des féminismes arabes et de l’œuvre de Mohammed Arkoun.

Publié le 8 mars 2019 Lecture : 3 minutes.

Malgré son cortège de désillusions et de désastres, ledit Printemps arabe – mouvement social, né en Tunisie en décembre 2010, revendiquant principalement la liberté et la dignité – a marqué un tournant historique sans précédent pour les sociétés du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Aux féministes historiques de la période prérévolutionnaire ont succédé des jeunes féministes, engagées politiquement dans l’espace public en usant puissamment des réseaux sociaux, dans ce contexte paradigmatique postrévolutionnaire totalement nouveau qui se caractérise essentiellement par la libération de la parole et la fin de la croyance de « l’immuabilité » des dictatures en place.

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L’extraordinaire mouvement « The uprising of women in the Arab world », né sur la toile en 2011 au Liban et fondé par quatre jeunes féministes, illustre parfaitement ce fait social nouveau. Ce mouvement, symbolisé par un visage de femme représentant la carte du monde arabe, est une plate-forme interactive laïque qui œuvre pour la liberté, l’égalité et la démocratie. Ces jeunes féministes réussissent à créer une solidarité transnationale entre des citoyennes et des citoyens de l’ensemble du monde arabe, à travers notamment le lancement d’une campagne où des milliers de femmes et d’hommes postent leurs photos en affirmant leur engagement en faveur de l’émancipation de la gent féminine.

Le logo du mouvement « The uprising of women in the Arab world » en couverture de l’ouvrage Leïla Tauil (Ed. L’Harmattan, 2018). © Le logo du mouvement « The uprising of women in the Arab world » en couverture de l’ouvrage Leïla Tauil (Ed. L’Harmattan, 2018).

Le logo du mouvement « The uprising of women in the Arab world » en couverture de l’ouvrage Leïla Tauil (Ed. L’Harmattan, 2018). © Le logo du mouvement « The uprising of women in the Arab world » en couverture de l’ouvrage Leïla Tauil (Ed. L’Harmattan, 2018).

Pour les féministes historiques – qui militent depuis des décennies pour l’égalité des sexes sur les plans politique, social, économique, juridique et familial – , les questions relatives au corps des femmes et à la sexualité sont restées des sujets tabous. Or, elles constituent le cœur du problème des sociétés arabes patriarcales, car « la tragédie de ces sociétés est que l’honneur des hommes repose sur le corps des femmes », selon l’expression de la journaliste et historienne Sophie Bessis. Fait entièrement nouveau, les jeunes féministes n’hésitent pas à revendiquer publiquement le droit de disposer librement de leur corps et le droit des minorités sexuelles.

Maghreb : trois pays, un même combat

En Tunisie, – pays comprenant un réseau féministe historique puissant (ATFD, etc.) et s’inscrivant dans une véritable transition démocratique en garantissant dans sa nouvelle Constitution (2014) la liberté de conscience et l’égalité des sexes – , la webradio LGBT « Shams Rad », créée en 2017, est très active sur sa page Facebook, tandis que le Réseau tunisien des jeunes féministes a lancé, en février 2019, sur le même réseau social, une campagne de sensibilisation sur les droits sexuels et reproductifs.

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Au Maroc, – pays composé également d’un vaste mouvement féministe historique (UAF, etc.) et engagé dans un processus de démocratisation, mais ne garantissant toutefois pas encore la liberté de conscience et la pleine égalité – , le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), né en 2009, très actif sur sa page Facebook et menant des actions très médiatisées, revendique notamment la liberté de conscience, le droit à l’avortement ou encore la dépénalisation des relations sexuelles en dehors du mariage. Il y a également le collectif #Masaktach, créé en 2018 et comparable au mouvement #MeToo, qui dénonce la violence faite aux femmes et la culture du viol.

Le soulèvement actuel contre Bouteflika démontre une nouvelle fois le ras-le-bol des populations arabes des régimes autoritaires

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En Algérie, – pays traversé par un large réseau féministe historique (l’Egalité, etc.) fortement réprimé durant la décennie noire – le Collectif féministe d’Alger est créé en 2012 par des jeunes féministes qui luttent notamment pour les libertés individuelles et le droit d’occuper l’espace public.

Le soulèvement actuel contre le cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, par une jeunesse algérienne qui maîtrise les réseaux sociaux, démontre une nouvelle fois le ras-le-bol des populations arabes des régimes autoritaires. Tant que ces derniers n’auront pas compris que la démocratie, garante des libertés individuelles, est la condition sine qua non d’une pacification sociale, ils vivront dans la peur des révoltes en usant de la répression, signe de la faiblesse de leur légitimité politique. Mais dans ce bras de fer entre des oligarchies surannées et des jeunesses éduquées et numérisées, où le temps de « la servitude volontaire » semble désormais révolu, les peuples finiront par l’emporter.

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