Aliko Dangote
À la tête du premier groupe du Nigeria, il gère un empire dans des secteurs aussi divers que l’agroalimentaire, le ciment ou le pétrole. Avec une fortune estimée à 10 milliards de dollars, il serait l’un des hommes les plus riches du continent.
Le voile commence à se lever L’arrivée de la société Dangote Flour Mills sur le Nigerian Stock Exchange (NSE), la Bourse de Lagos, en septembre dernier, après Dangote Sugar Refinery, cotée depuis novembre 2006, dissipe une partie du mystère qui entoure l’industriel nigérian Aliko Dangote. Pour la première fois, les données financières de deux des treize entreprises qu’il dirige sont rendues publiques. Dangote Flour Mills présente un chiffre d’affaires de 48 milliards de nairas (420 millions de dollars) en 2006 quand Dangote Sugar Refinery atteignait 57 milliards de nairas. Toutes deux actives dans l’agroalimentaire, elles affichent une forte croissance et promettent un doublement des ventes à l’horizon 2011. Les deux opérations boursières sont un succès. Les cours ont été multipliés par trois en six mois. Certains observateurs font le calcul : les parts conservées par le businessman dans ses deux filiales valent, à elles seules, plus de 4 milliards de dollars. Et sa fortune globale atteindrait 10 milliards de dollars, ce qui en ferait le 62e homme le plus riche du monde, à égalité avec le fondateur d’Orascom Telecom, Naguib Sawiris !
Difficile d’accès, l’homme reste très discret sur ses activités. Son holding, Dangote Group, compte plus de 12 000 salariés. Il règne sur des secteurs aussi divers que le transport, les opérations portuaires, l’agroalimentaire (sel, sucre, riz, farine, pâtes, jus de fruits), les matériaux de construction (ciment) et le textile (wax). Il détient des parts dans plusieurs champs pétrolifères offshore situés au Nigeria et dans la zone que le pays exploite conjointement avec São Tomé e Príncipe, il importe du carburant, il est propriétaire d’Executive Jets Limited, une compagnie aérienne « Tout ce qu’il touche se transforme en or ! » résume son ami Femi Otodela, le PDG de la compagnie Zenon Oil.
L’histoire de ce patron à l’air affable, qui troque rarement son boubou pour un costume trois-pièces, est d’abord celle d’un homme qui a entièrement consacré sa vie au travail et à l’argent. À 51 ans, il n’a toujours ni femme ni enfant. Il est issu des deux grandes familles commerçantes de Kano (Nord), les Dangote et les Dantata, descendants d’Alhassan Dantata, que l’on disait l’homme le plus riche d’Afrique de l’Ouest à sa mort, en 1955. À l’âge de 20 ans, Aliko Dangote commence à travailler aux côtés de son oncle, Sanusi Dantata. Il fait rapidement ses preuves dans l’entreprise familiale et devient responsable de la plus lucrative de ses activités : le ciment. L’argent ne manque pas et beaucoup, à sa place, en seraient restés là. Mais Aliko rêve, lui, de Lagos, la ville de toutes les opportunités Malgré la sulfureuse réputation de la capitale économique nigériane, son oncle lui apporte son soutien. Et lui prête 500 000 nairas – de quoi, à l’époque, se payer dix Mercedes -, qu’il lui demande de rembourser en deux ans, sans intérêt.
Premiers pas à Lagos
À la fin des années 1970, Dangote part s’installer à Lagos. Habile et plein d’entregent, il acquiert rapidement des licences d’importation de ciment qui lui permettent de rembourser sa dette en quelques mois seulement. Pendant cette période, l’apprenti businessman connaît également un échec cuisant qui lui servira de leçon. Investisseur malheureux dans une banque qui finit par faire faillite, il se résout à ne travailler que dans les branches qu’il maîtrise parfaitement, à l’instar d’un certain Warren Buffett – la deuxième fortune mondiale -, son modèle. Une bonne volonté et une énergie qui, pourtant, ne lui auraient sans doute pas suffi pour réussir sans un coup de pouce du destin
Entre 1983 et 1998, de nombreux hommes d’affaires sont emprisonnés. Les généraux qui ont pris le pouvoir les jugent trop proches de l’ancien régime ou les soupçonnent, simplement, de nourrir des ambitions politiques. Dangote profite de la situation pour diversifier ses activités, d’abord dans le commerce du sucre, puis dans celui du riz. Sur ordre de la junte, il en importe à plusieurs reprises d’importantes quantités pour faire baisser les prix, à l’origine d’un climat social tendu. L’opération lui vaudra, plus tard, de passer pour l’un des plus fidèles soutiens des militaires. Accusation dont il se défend, se définissant avant tout comme « un homme d’affaires, ni plus, ni moins »
Quoi qu’il en dise, sa proximité avec les hommes politiques – quels qu’ils soient – apparaît bien, cependant, comme l’une des principales clés de son succès. Lors du retour de la démocratie au Nigeria, en 1999, Dangote apporte son soutien au candidat du People’s Democratic Party (PDP) et futur président : Olusegun Obasanjo. Il le refera quatre ans plus tard en finançant sa campagne pour un nouveau mandat, à hauteur de 2,5 millions de dollars. Une implication qui s’explique, en grande partie, par la vision que partagent les deux hommes pour leur pays, au-delà des appuis stratégiques mutuels qu’ils peuvent s’apporter. Bien que de cultures très différentes – Dangote est un Haoussa musulman du Nord, Obasanjo un Yoruba chrétien du Sud -, l’un et l’autre estiment que seule une politique économique nationaliste permettra d’impulser le développement. Visitant le Brésil à la fin des années 1980, Dangote en revient persuadé que l’enrichissement du Nigeria passe par la même stratégie d’industrialisation. À la même époque, Obasanjo s’en convainc, lui, au cours d’un voyage en Corée du Sud. D’où son admiration pour les fameux « chaebols » (conglomérats sud-coréens dont une version nigériane apparaît avec Transcorp par exemple, auquel les deux hommes participent).
Proche de celui qui a présidé au destin des Nigérians pendant huit ans, Aliko Dangote ne néglige pas non plus ses amis passés dans l’opposition. Il continue, par exemple, de jouer régulièrement au golf avec Atiku Abubakar, l’ancien vice-président d’Obasanjo, qui a rejoint l’Action Congress (AC) en 2007, parti sous la bannière duquel il s’est présenté lors de l’élection présidentielle du 21 avril dernier.
Ambitions contrariées dans le pétrole
Aujourd’hui, Dangote est devenu un industriel polyvalent et aguerri, grâce à la mise en uvre d’une logique entreprenariale implacable. Au lieu d’importer de la farine, il achète du blé et le moud. Au lieu d’importer des pâtes alimentaires, il les produit, les emballe dans des paquets qu’il fabrique, les transporte dans ses camions et les vend dans ses réseaux. Idem pour le ciment, pour le sucre, et pour toutes les branches d’activité dans lesquelles il s’est lancé De bout en bout, le businessman maîtrise la chaîne de production et de distribution. Donc les coûts. Puis il réinvestit ses énormes bénéfices dans d’autres entreprises, au pays.
Reste une question : Dangote parviendra-t-il à poursuivre sur sa lancée, alors que le Nigeria connaît une instabilité politique chronique ? Le nouveau chef de l’État Umaru Yar’Adua se montrera-t-il aussi accommodant que son prédécesseur avec celui que beaucoup surnomment le « Al Capone » de l’industrie nigériane ?
Pour la première fois depuis bien longtemps, l’année 2007 restera celle des contretemps pour le tycoon de Kano. Dans les derniers jours de son deuxième mandat, Olusegun Obasanjo avait lancé une série de privatisations. Pour 721 millions de dollars, Aliko Dangote s’est porté acquéreur de deux des quatre raffineries d’État, à Kaduna (Nord) et Port-Harcourt (Sud). Mais en juin, un mois après le départ d’Obasanjo, une grève générale est déclenchée pour protester contre ces petits arrangements. Pour calmer le jeu après deux mois de grève, Dangote annonce qu’il se retire de l’opération pour un an. Mais il y met une condition : que l’État réalise lui-même ce qu’il s’engageait à faire des deux raffineries : faire passer leur production de 35 % des capacités actuellement à 90 % et mettre fin aux importations de carburant. Passé ce délai – et faute d’amélioration -, il reprendra les rênes. Rendez-vous le 18 juillet prochain
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