Alaa el-Ghoneimi

Médecin franco-égyptien né au Caire il y a quarante-huit ans, il est aujourd’hui le chef d’un des services de chirurgie pédiatrique les plus renommés au monde.

Publié le 25 février 2008 Lecture : 5 minutes.

La chair humaine. La plus fragile : celle des enfants. Le professeur Alaa el-Ghoneimi exerce un beau métier : il la répare. Chef du service de chirurgie viscérale et d’urologie pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, cet Égyptien de 48 ans est l’un des meilleurs chirurgiens pédiatres au monde en ce qui concerne l’appareil urogénital. Il réalise des transplantations rénales, opère les malformations congénitales et développe la laparoscopie – une forme d’intervention assistée par vidéo qui ne nécessite pas d’ouvrir le corps. Aux États-Unis, au Canada, en Inde, au Vietnam, en Égypte et partout en Europe, Alaa el-Ghoneimi diffuse son savoir auprès de ses collègues. Sans relâche. « Nous sommes trois ou quatre dans le monde à réaliser ce genre d’opération », confie-t-il, modeste, après plus d’une heure d’entretien.
D’une voix calme et posée, le professeur raconte volontiers comment il en est arrivé là. Sans jamais omettre de citer ceux qui l’ont aidé à accomplir son rêve. Né à Kafr el-Cheikh, dans le delta du Nil, un jour de mars 1959, Alaa el-Ghoneimi ne se souvient que du bonheur de la vie familiale, au Caire. Sa mère était femme au foyer, et son père, haut fonctionnaire, fut longtemps secrétaire au Développement rural au sein du gouvernement égyptien. À eux deux, ils totalisaient onze frères et surs. Autant d’oncles et de tantes pour le jeune Alaa. « La famille était très soudée. On se réunissait tout le temps », raconte-t-il. Deux de ses oncles étaient médecins, l’un ophtalmologue et l’autre chirurgien urologue. Tonton Kamal parlait constamment de son travail et racontait la vie à l’hôpital. Son neveu buvait ses paroles. Une vocation était née.

Deux fois médecin
Très bon élève, Alaa termine ses études secondaires en 1976 et s’oriente tout naturellement vers la médecine. Diplômé en 1982 de l’université Ain Shams au Caire, il y intègre, en tant qu’interne, le service de chirurgie pédiatrique. Trois ans plus tard, direction la France. Un court séjour qui décidera de son avenir. En formation pour un mois à l’hôpital Bretonneau, à Paris, Ghoneimi fait la rencontre du Pr Marcel Bourreau et de son adjoint Yves Aigrain. « Je me suis tout de suite bien entendu avec eux. D’ailleurs, ils m’ont proposé un poste « faisant fonction d’interne » », se souvient-il, avant de préciser : « Le Dr Bourreau, c’est mon père en chirurgie. » Et un père oserait-il mentir à son fils ? Dès 1986, l’Égyptien occupe le poste promis au sein de l’hôpital Bretonneau. L’année suivante, il décide de rester en France. Définitivement. « Je n’ai pas quitté l’Égypte pour des raisons politiques ou financières, mais plutôt par curiosité professionnelle. J’étais fasciné par la qualité des soins en France, par le système universitaire et hospitalier. En outre, j’étais persuadé de ne pas pouvoir aider les enfants d’Égypte comme il aurait fallu. »
Commence alors un parcours du combattant. Car, en France, un diplôme égyptien n’est qu’un bout de papier. Retour à la case départ. Première année de médecine, deuxième, troisième année Diplôme – français celui-ci – en poche, Alaa el-Ghoneimi rejoint, au début des années 1990, Nice puis Marseille. Et le 1er novembre 1995, « son rêve » se réalise enfin : chef de clinique à Robert-Debré, le centre hospitalo-universitaire (CHU) « pour la mère et l’enfant » où exerce le Pr Aigrain, une vieille connaissance. Ghoneimi y est, il y reste. Seul un intermède de deux mois à Philadelphie (États-Unis) et une année de « mobilité » à Toronto (Canada) l’éloigneront du CHU parisien. Praticien hospitalier universitaire pendant quatre ans, il devient professeur d’université adjoint au chef de service en 2003, puis chef de service en 2007. Un sans-faute.
Aucun couac, jamais, durant toutes ces années ? Si, peut-être, mais le Dr Ghoneimi préfère ne pas s’étendre sur le sujet. Tout juste concède-t-il avoir beaucoup travaillé. On s’en serait douté. Seule la langue française lui a parfois posé problème. « Je ne l’ai jamais bien apprise, dit-il, je sens toujours un défaut. En France, on juge les gens sur leur façon de parler. Les remarques et les corrections, ça aide, mais c’est aussi irritant. Cela n’existe pas dans les pays anglo-saxons. » Alaa el-Ghoneimi n’est pas un homme à faire des reproches. Tour à tour, il loue l’ouverture d’esprit et le cosmopolitisme de l’hôpital Robert-Debré, cite ses augustes prédécesseurs dans le service qu’il dirige aujourd’hui et rend hommage à sa femme française, épousée en Égypte il y a vingt-quatre ans. Professeure d’anglais, Janick est la mère de ses deux enfants, Schams et Rayan. « Sans elle, je n’aurais jamais pu devenir ce que je suis. »

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Une certaine idée de la France
Un regret, toutefois : son emploi du temps surchargé ne lui laisse que peu de temps pour parler arabe avec ses deux garçons. Savoir d’où l’on vient, c’est important. Alaa el-Ghoneimi n’a d’ailleurs jamais réellement coupé les ponts avec son pays natal. Bien au contraire. « Je vis en France depuis vingt et un ans, mais je retourne en Égypte au moins une fois tous les six mois, dit-il. Pour des vacances, bien sûr, mais aussi pour le travail. J’y donne des cours, j’y opère et, à ce jour, j’y ai formé cinq chirurgiens. »
Quel regard porte-t-il sur l’Égypte d’aujourd’hui ? « Il y a de plus en plus de partis et de journaux d’opposition, des élections sont organisées. Pour un pays indépendant depuis un peu plus de cinquante ans et qui a traversé trois guerres, ce n’est pas mal. » Non, Alaa el-Ghoneimi n’est pas un homme à faire des reproches. Franco-Égyptien (il a la double nationalité), il ne rate jamais une consultation dans chacun de ses deux pays. D’autant qu’il a aussi une certaine idée de la France. Et notamment de son système de santé. « Les Français râlent beaucoup, mais c’est un très bon système, affirme-t-il. J’estime qu’il est meilleur que celui des États-Unis, où j’aurais aussi pu travailler. C’est une chance que mes patients ne soient pas préoccupés par l’argent. » Lui ne l’est pas davantage. « S’occuper des enfants est un sacré défi. La prise en charge de l’enfant, c’est la prise en charge de toute la famille. Le jour où je me sentirai loin d’une famille, j’arrêterai d’opérer. » On peut le prendre au mot. Et espérer que ce jour-là n’arrive jamais.

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