[Tribune] Algérie, un ersatz de démocratie

En Algérie, nous avons importé le concept de démocratie sans le mode d’emploi. De la base au sommet, nous ne souffrons pas d’être contredits. Or, la mise en œuvre de la démocratie suppose une culture de la contradiction.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 8 mars à Alger © Toufik Doudou/AP/SIPA

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 8 mars à Alger © Toufik Doudou/AP/SIPA

Bachir Djaider 2

Publié le 11 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

La crise multidimensionnelle que traverse l’Algérie en dit long sur le malaise collectif de la nation. Au début des années 1990, le pays a nourri des aspirations politiques, économiques et sociales. Ce mouvement a eu pour conséquence l’avènement d’un renouveau démocratique, avec la restauration du multipartisme et l’organisation d’élections libres, transparentes et pluralistes. Mais un quart de siècle plus tard, le rêve a viré au cauchemar. Au point de se demander si l’élan démocratique n’était pas, finalement, une illusion d’optique.

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À dire vrai, le processus a déraillé dès le début. Compte tenu du caractère essentiellement exogène de la démocratie, les acteurs politiques algériens ont pu s’aménager des couloirs clairs-obscurs dans lesquels ils ont adapté le concept de « démocratisation » à leurs stratégies internes de conquête du pouvoir.

Démocratie, mode d’emploi

Pour s’assurer leur maintien aux commandes, les élites n’hésitent pas ainsi à recourir aux manipulations « mystiques ». Les élections étant le seul moment où elles se rendent compte des maux qui rongent le peuple, elles vont puiser dans le sacré les réponses politiques qu’elles n’ont pas. L’arbitraire ? La loi de la jungle ? Les inégalités ? Naturels. L’oppression ? Volonté du sort. « Le pouvoir se mange en entier », dit-on. Qui détient le pouvoir a donc tous les droits. Les autres n’ont qu’à se soumettre, obéir et se montrer dociles.

La démocratie enseigne qu’aucun pouvoir n’est absolu ni sacré. Il est construction humaine, donc muable par essence

Une fois arrivées au sommet, ces mêmes élites, jugeant ne rien devoir au peuple, retombent dans leur indifférence. Car après avoir obtenu le pouvoir par des voies « démocratiques » (sur le papier du moins), le régime peut désormais le confisquer en se conformant à des principes démocratiques qu’il ­contrefait. Manière de donner le change aux partenaires internationaux, lesquels ne s’intéressent qu’aux richesses du pays, si tant est qu’il en reste.

Pourtant, la démocratie enseigne qu’aucun pouvoir n’est absolu ni sacré. Il est construction humaine, donc muable par essence. La démocratie congédie le pouvoir d’un seul sur tous. Étymologiquement, elle proclame le pouvoir des citoyens sur eux-mêmes, et libère ainsi la raison critique. « De la ­discussion jaillit la lumière », écrit Charles Monnard. La démocratie délivre la parole muette, la parole mutilée, la parole interdite, étouffée, étranglée, écrasée. Débattre est l’un de ses fondements, quand bien même les joutes politiques tournent aux règlements de compte.

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Mais le problème est plus profond. Nous avons importé le concept de démocratie sans le mode d’emploi. De la base au sommet, nous ne souffrons pas d’être contredits. Or la mise en œuvre de la démocratie suppose une culture de la contradiction. La démocratie ne peut jouer son rôle de tremplin vers le développement que si le peuple et les autorités l’acquièrent de concert.

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Cela suppose de miser sur l’instruction civique, l’éducation des citoyens, la lutte contre l’impunité… entre autres. Malheureusement, nous n’y avons jamais été préparés. À cet égard, les lendemains s’annoncent des plus sombres si le régime persiste à entraîner le pays dans le gouffre.

Une élite démocratique devrait chercher ‘une synergie vitalisante’ fondée sur la confiance, le débat contradictoire et le respect

La débâcle se dessine même sous nos yeux, car « les décideurs », dans l’impasse, s’accrochent au pouvoir coûte que coûte au lieu de saisir la main tendue. Pas question de lâcher du lest. Pour faire œuvre utile, une élite gouvernante qui prétendrait défendre les principes démocratiques devrait chercher « une synergie vitalisante » fondée sur la confiance, le débat contradictoire et le respect. Difficile de sortir de ce « trou noir » tant le fossé qui sépare gouvernants et gouvernés est profond.

Le peuple de spectateur à acteur

Le pouvoir donne le sentiment d’avoir du mal à se connecter avec l’amère réalité du peuple. L’opposition aussi. La floraison de partis n’est pas tant le signe d’une vitalité du multipartisme que celui d’un désir de pouvoir et, dans une moindre mesure, d’une volonté d’accaparer les richesses.

Un manifestant lors des protestations anti-Bouteflika de février et mars 2019 © Guidoum Fateh/AP/SIPA

Un manifestant lors des protestations anti-Bouteflika de février et mars 2019 © Guidoum Fateh/AP/SIPA

Nombre de partis en sont réduits à faire de la figuration lors des rendez-vous électoraux car la victoire n’est pas une option. Les appels au boycott du scrutin du 18 avril signent le réveil d’un peuple qui a compris qu’il devait passer du statut de spectateur à celui d’acteur et mettre fin au clientélisme et au népotisme qui entourent l’escroquerie électorale.

La démocratie est accessible si ce peuple, éduqué et civilisé, tient la distance. Faute de quoi il se fera voler son pouvoir par les autorités. Sans stratégie commune ni idéologie, les partis peineront à rejouer un rôle fédérateur. Et à peser de tout leur poids face à un appareil qui démontre une fois de plus que seules comptent sa survie et sa pérennité.

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