Tunisie : les timides débuts de la zone franche de Ben Guerdane, à la frontière libyenne
À Ben Guerdane, région affectée par le chômage et l’économie informelle, le ministre tunisien du Commerce et celui de l’Équipement, Omar Behi et Nourredine Selmi, ont inauguré le 7 mars les travaux d’une nouvelle zone franche. Inspiré du modèle doubaïote, ce futur hub logistique agrémenté d’une zone commerciale pourrait ouvrir en 2021.
Un port en eau profonde et une zone franche, ce sont probablement les deux serpents de mer les plus annoncés en Tunisie depuis des décennies, sans que jamais rien ne se passe… jusqu’au 7 mars. Jeudi, Omar Behi et Nourredine Selmi, respectivement ministre du Commerce et ministre de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, ont inauguré le début des travaux d’une zone franche dans la zone de Ben Guerdane, à une dizaine de kilomètres de la frontière libyenne, qui pourrait voir le jour en 2021.
Le site de 150 ha innove par sa polyvalence : il inclura une zone logistique (70 % du terrain), une zone commerciale (20 %) et une zone de loisirs avec hôtels, restaurants et même cliniques (10 %). « L’objectif est de faire venir les touristes jusqu’ici pour qu’ils consomment en devises des produits détaxés. Le modèle, c’est Dubaï », explique Omar Behi.
Les Tunisiens pourront, eux, y dépenser 10 à 20 % de leur allocation touristique, soit entre 600 et 1 200 dinars (entre 175 et 350 euros). « Ce n’est pas très intéressant pour un Tunisois, qui devra faire 1 200 km aller/retour pour en profiter », constate un Tunisien de la capitale présent sur place.
Endiguer l’économie informelle
Le ministre du Commerce table sur la création de 2 000 emplois directs et 6 000 indirects, dans une région Sud-Est où le taux de chômage atteint quasiment 24 % de la population active, contre 15,5 % au niveau national.
La zone franche sera réalisée en deux tranches, dont la première de 60 ha devrait être opérationnelle en 2021. Elle doit faciliter l’intégration dans le circuit formel du commerce illégal, qui est devenu la principal source de revenus des habitants. Selon une étude de la Banque mondiale remontant à 2015, les échanges informels entre la Tunisie et la Libye représentaient 596 millions de dinars tunisiens (environ 269 millions d’euros d’alors).
Un commerce largement alimenté par le trafic d’essence (17 % de l’or noir consommé en Tunisie en 2014) et par celui des cigarettes (40 % des paquets achetés en Tunisie venait du voisin oriental). Deux produits qui ne feront pas partie des biens détaxés mis en avant par la zone franche.
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Depuis, les chiffres ont certainement baissé estime Max Gallien, spécialiste de l’économie informelle en Afrique du Nord, pointant notamment les difficultés actuelles de la Libye : « Les pénuries dues à la crise économique en Libye ont réduit leur disponibilité pour la contrebande ou augmenté leur prix. »
32 millions de dinars pour raccorder le site aux infrastructures
Mais l’importance de ces échanges reste capitale : « Quand la frontière est ouverte, comme du temps de Ben Ali et Kadhafi, tout va bien ; quand il y a des blocages, comme ça arrive souvent depuis 2011, c’est difficile pour les gens de Ben Guerdane », résume Maiz Ridha, ancien boulanger en France revenu ici depuis quelques années.
La société d’ingénierie Scet-Tunisie, qui a remporté l’appel d’offres pour élaborer la zone franche, n’a pas encore dévoilée le business plan du site. Sur place, les officiels n’ont pas voulu avancer de données sur l’activité espérée et le montant attendu qui ré-intégrera le circuit formel. Seul chiffre revendiqué, celui de 32 millions de dinars (9,4 millions d’euros) avancés par l’État pour raccorder le site aux infrastructure routières, électrique, d’eau potable, etc.
Selon nos informations, la société qui pilotera la zone franche sera créée formellement dans les semaines à venir, elle sera gérée par l’Office du commerce de la Tunisie pour un tiers et par des acteurs privés, principalement des banques, pour deux tiers.
Site pilote
Avec ce site pilote – une autre zone franche à la frontière algérienne est en étude – le gouvernement espère dynamiser une région qui depuis des années a été sciemment laissé aux trafiquants par l’État. « Le régime de Ben Ali a accepté et même encouragé l’émergence du cartel des cambistes Touazine [tribu principale à Ben Guerdane] dans le but de dynamiser la croissance économique dans le Sud tunisien », explique le chercheur Moncef Kartas, dans son rapport Sur le fil ? Le trafic et l’insécurité à la frontière tuniso-libyenne.
C’est d’ailleurs aux Touazines que l’État a racheté pour 113 000 dinars (33 000 euros) les 150 ha issus des terres collectives appartenant à la tribu.
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Mabrouk Korchid, ancien ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières, natif de la région, doute de la pertinence du projet. Il fait remarquer que « toute la Libye est actuellement une zone de libre-échange. Il sera difficile pour Ben Guerdane d’être attractif tant que la situation en Libye ne sera pas réglée ».
De son côté, Omar Behi se veut plus optimiste. Il compte sur la zone logistique pour booster le port de Zarzis et l’aéroport de Djerba, et accélérer le projet de raccordement autoroutier entre Ben Guerdane et Tunis, à près de 600 km au nord-ouest.
Ni le manque criant d’infrastructures (eau potable, connexion internet stable, route…), ni les conditions sécuritaires locales ne semblent l’inquiéter (Ben Guerdane est une zone rouge pour la plupart des ambassades, dont la France qui déconseille fortement de s’y rendre). « Croyez-vous que Dubaï était développé dans les années 70, avant les zones franches ? » soutient le ministre du Commerce, avant de poursuivre : « D’ici cinq ans, la situation en Libye, qui est un pays riche, se sera stabilisée »
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