#Memepaspeur : la parole des femmes africaines se libère timidement sur les réseaux sociaux
Il y a eu #MeToo aux États-Unis, puis #Balancetonporc en France. C’est désormais en Afrique que vient d’être lancé le hashtag Memepaspeur pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles. Si la mobilisation est encore faible sur les réseaux sociaux, la parole des femmes africaines se libère peu à peu.
« La peur a changé de camp. Je n’ai plus peur. Je veux que mes drames servent à aider ceux qui ont encore les mots coincés dans leur douleur », écrivait l’actrice Nadège Beausson-Diagne dans un long message publié sur son compte Instagram, au lendemain d’un douloureux témoignage. Lors de la 26e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), elle avait révélé avoir été agressée lors de deux tournages, au Burkina Faso et en Centrafrique.
https://www.instagram.com/p/BucnaaqAK3Y/
>>> À LIRE – Cinéma : #Memepaspeur, quand des femmes témoignent des agressions sexuelles dont elles ont été victimes
Un événement au cours duquel la comédienne et réalisatrice burkinabè de 32 ans Azata Soro, a elle aussi choisi de briser la glace sur son agression survenue lors du tournage de la série Le Trône, en 2017. Après l’avoir harcelée sexuellement pendant six ans sur d’autres productions, le réalisateur Tahirou Tasséré Ouédraogo l’a frappée puis tailladé le visage avec un tesson de bouteille de bière, dont elle porte toujours la cicatrice. Depuis, le cinéaste a été condamné à une peine de prison avec sursis pour ces faits et la chaîne de télévision TV5 Monde a renoncé à diffuser la série du réalisateur.
À la suite de ces révélations, les deux comédiennes ont décidé de lancer le mouvement #Memepaspeur afin de que les femmes victimes d’abus sexuels puissent mettre des « mots sur des maux ». Mais une semaine après le lancement du hashtag, la mobilisation reste faible sur Twitter. Selon les données de l’outil de veille Talkwalker, près de 1 700 conversations contenant le #Memepaspeur ont été recensées sur les réseaux sociaux au cours de la dernière semaine, dont seulement 300 sur le continent africain.
Depuis #MeToo, il ne se passe pas un jour sans que les Africaines dénoncent les violences qu’elles subissent
Libération de la parole mais loin de la toile
C’est loin de la toile que la parole des femmes africaines commence à se libérer. « Depuis #MeToo, il ne se passe pas un jour sans que les Africaines dénoncent les violences qu’elles subissent », affirme à Jeune Afrique Minou Chrys-Tayl, figure de la lutte contre les violences faites aux femmes. Battue par son compagnon, cette « survivante » d’origine camerounaise précise que ces femmes s’expriment souvent de manière anonyme. Elle affirme avoir reçu plus de 6 000 témoignages depuis qu’elle a elle-même réussi à briser le tabou : « Libérer la parole des femmes est un processus long et difficile », tient-elle à rappeler. Dans une société patriarcale où le système judiciaire ne prend pas toujours en considération le droit des femmes, les victimes de violences sexuelles sont souvent maintenues dans le silence.
Selon les Nations unies, les femmes en Afrique sont pourtant plus exposées aux violences sexuelles que dans d’autres régions du monde. Au cours des douze derniers mois, 22,3% des femmes et filles âgées de 15 à 49 ans en Afrique subsaharienne ont indiqué avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles d’un partenaire intime, selon un rapport d’ONU Femmes. À titre de comparaison, les femmes d’Amérique du Nord et d’Europe ont signalé un taux beaucoup plus faible : 6,1%.
Dans la foulée de #MeToo, silence africain
Le silence de l’Afrique s’était déjà fait sentir lorsque l’affaire Weinstein éclaboussait Hollywood, faisant jaillir l’étincelle #MeToo, en octobre 2017. Des États-Unis, en passant par l’Europe, la Corée du Sud, l’Inde ou la Chine, ce mouvement avait très vite galvanisé des dizaines de milliers de femmes. Les déclinaisons #Balancetonporc, #YoTambien, أنا_كمان# ou #QueVoltaChe se diffusaient dans le monde entier… à l’exception de l’Afrique.
>>> À LIRE – Corps et sexualité : où en est l’Afrique ?
Selon les chiffres de la société américaine d’analyse des médias sociaux Crimson Hexagon, publiés par Le Monde, seules 215 publications mentionnant #Balancetonporc et 76 #MeToo provenaient de Côte d’Ivoire.
Jusqu’où peut donc aller ce nouveau #MeToo à l’africaine ? Minou Chrys-Tayl est persuadée qu’il peut prendre de l’ampleur si les femmes sont suffisamment accompagnées. « Pour l’instant, elles meurent dans l’impunité totale. La problématique des violences sexuelles n’est pas prise en considération par nos dirigeants », déplore-t-elle. Mais peu à peu, des initiatives ont été mises en place.
Initiatives au Nigeria et au Rwanda
Au Nigeria, par exemple, l’initiative « Stand to End Rape » a été créé par une victime d’un viol pour soutenir psychologiquement les personnes abusées sexuellement. En 2017, deux jeunes femmes ont lancé, au Sénégal, la campagne #Nopiwouma, signifiant « Je ne vais pas me taire ».
Au Rwanda, ce sont les hommes qui sont incités, notamment à travers l’association Rwamrec, à s’impliquer dans la lutte contre les violences sexistes : « Ils commencent à comprendre que l’égalité des genres n’est pas une menace pour eux, au contraire », explique le gestionnaire de programme de l’ONG Silas Ngayaboshya, joint par téléphone.
En Afrique, les femmes sont prêtes à parler. Et lorsqu’elles se décident à le faire, elles gagnent toujours
Renforcement de la législation
Au cours des dernières années, un certain nombre d’États africains ont ainsi commencé à renforcer leur législation en faveur de la protection des femmes. En septembre dernier, le Maroc a adopté une importante loi contre les violences faites aux femmes, malgré des lacunes. Au Rwanda, le programme « One Stop Centre » fournit des services médicaux, policiers et juridiques aux victimes de violences sexistes. À l’échelle supranationale, les choses évoluent également. En novembre dernier, l’Union africaine (UA) a fait part de sa volonté d’instituer une « politique de lutte contre le harcèlement sexuel » après des accusations à l’encontre de responsables de l’organisation. « En Afrique, les femmes sont prêtes à parler. Et lorsqu’elles se décident à le faire, elles gagnent toujours », assure Minou Chrys-Tayl.
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