Report de la présidentielle en Algérie : l’opposition dénonce un « complot », la majorité salue « l’apaisement »
Aussitôt annoncées, les mesures prises lundi soir par le président Bouteflika – report de l’élection présidentielle, renoncement à un cinquième mandat, nomination d’un nouveau gouvernement – ont été spontanément dénoncées par l’opposition et applaudies par les partis de l’Alliance présidentielle.
Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie
Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.
Mohcine Bellabas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), va droit au but : « Le chef de l’État manœuvre pour détourner à son profit le soulèvement populaire, en manipulant l’opinion publique par l’usage d’un champ sémantique qui renvoie aux slogans utilisés durant les manifestations. Il dit renoncer au cinquième mandat tout en se maintenant au pouvoir. Il prolonge de fait son mandat actuel en violation de la Constitution », déclare-t-il.
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Tout juste revenu d’un séjour médical à Genève, le président Bouteflika a annoncé lundi 11 mars, dans un message écrit, l’ajournement du scrutin du 18 avril à une date indéterminée, un changement de gouvernement, l’entame d’une phase de transition sous la conduite du pouvoir en place, ainsi que l’organisation avant fin 2019 d’une conférence nationale inclusive.
« Complot contre la mobilisation de la rue »
L’avocat Mustapha Bouchachi, militant des droits de l’homme et l’une des figures emblématiques de la mobilisation contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, corrige la compréhension des hauts cadres de l’État de ce qui est réellement la revendication de la rue : « Nous ne demandons pas uniquement le report des élections, mais une période de transition gérée par un gouvernement de consensus national, formé par des personnalités crédibles, après une large concertation. Il n’est pas question pour nous de tolérer la confiscation de la volonté du peuple d’aller vers des élections libres et une véritable démocratie », soutient-il.
Karim Tabou appelle à une démonstration de force, vendredi 15 mars, contre ce qu’il qualifie de coup d’État contre le peuple
Révolté, Karim Tabou, coordinateur de l’Union démocratique et sociale (parti non agréé), dénonce « un complot contre la mobilisation de la rue ». L’ancien premier secrétaire du FFS (Front des forces socialistes, plus vieux parti d’opposition), estime que « le système s’accroche au pouvoir par la ruse ». Il appelle à une démonstration de force, vendredi 15 mars, contre ce qu’il qualifie de « coup d’État contre le peuple ».
Il est appuyé, dans ses efforts de remobilisation des troupes, par Zoubida Assoul, membre active du mouvement citoyen Mouwatana. Elle juge que « les mesures attribuées au chef de l’État sont en contradiction avec la demande des citoyens, sortis par millions dans les rues pour exiger le départ du régime ». Le danger de la démarche réside, selon cette ancienne juge, dans l’annonce d’un agenda sans échéances précises. « Nous ne savons pas combien de temps durera la période de transition, ni qui la mènera. Ce n’est que du replâtrage », déplore-t-elle.
Le report, plan bis
Alors que le président de la République a remplacé le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia par le ministre de l’Intérieur et des collectivités locales, Noureddine Bedoui – lui-même secondé par Ramtane Lamamra, vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères –, Soufiane Djilali, secrétaire général de Jil Jadid, opposant de la première heure au cinquième mandat, schématise ainsi la situation : « Les mêmes personnes qui ont ruiné le pays sont mobilisées pour opérer le changement. La réponse du peuple sera claire : non au cinquième mandat, non au régime. Ils doivent tous partir », anticipe-t-il.
Abdallah Djaballah, président du Front de la justice et du développement (mouvance islamiste), rappelle que le régime exécute un plan dont il a déjà fait la promotion. « Il y a quelques semaines, Saïd Bouteflika a négocié avec des partis politiques l’option du prolongement du quatrième mandat. Ce qu’il n’a pas réussi à l’époque, il le met à exécution aujourd’hui, sans devoir frauder aux élections et sans fondements constitutionnels », dénonce-t-il.
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En décembre 2018, le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abderrazak Makri, avait proposé un report de l’élection présidentielle, afin d’empêcher « une partie occulte d’arriver au pouvoir ». Il a exposé son idée à plusieurs personnalités nationales, dont le frère et conseiller du président, Saïd Bouteflika. Ce matin, il a d’ailleurs estimé que l’annulation du scrutin d’avril 2019 était « une décision politique qui va dans le bon sens ».
Une satisfaction à laquelle Abdallah Djaballah réplique que la période de transition, probablement contrôlée par le président Bouteflika et son entourage, « fait craindre le pire » – c’est-à-dire, pour lui, que le cercle présidentiel actuel cherche à créer les conditions pour se maintenir au pouvoir. « Dans la conférence nationale, l’opposition sera laminée par la logique arithmétique », prévient-il, énumérant le grand nombre de partis politiques, associations et autre organisations affiliés au régime.
Un « apaisement » pour la majorité
Le président de Talaie El Hourriyet, Ali Benflis, regrette quant à lui que les « forces extra-constitutionnelles cherchent à garder leur mainmise sur le centre de décision », dénonçant un prolongement du quatrième mandat par une « transgression de la Constitution ». L’ancien chef du gouvernement (2000-2003) est persuadé que les rênes du pouvoir ne sont plus aux mains d’Abdelaziz Bouteflika, mais sous le contrôle d’un « groupe occulte ».
« En trois week-ends, notre jeunesse a réhabilité le crédit, l’honneur et le statut d’un pays dégradé par plus d’un demi-siècle de tyrannie. En une lettre surréaliste, le chef de l’État nous a renvoyés à la case des républiques bananières irresponsables addictes au pouvoir », commente sur sa page Facebook Saïd Sadi, ancien président du RCD. Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et ex-ministre de la Communication, a fait part sur les réseaux sociaux d’une même réaction désabusée, quelques minutes à peine après la diffusion du message présidentielle : « À l’arrogance, il ajoute le mépris. Son obsession maladive pour le pouvoir menace la stabilité de l’État et l’unité de la Nation. Que Dieu préserve notre pays », écrit-il.
Dans un communiqué succinct, le Front de libération nationale (FLN) salue les mesures prises et offre ses services pour les mettre en application
Du côté des soutiens traditionnels du chef de l’État, le ton est inverse. Dans un communiqué succinct, le Front de libération nationale (FLN) salue les mesures prises et offre ses services pour les mettre en application. Le Rassemblement national démocratique (RND), dirigé par le désormais ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, souligne que le chef de l’État « a répondu aussi bien aux attentes de la jeunesse algérienne qu’aux revendications exprimées par l’opposition ».
Enfin, le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounès espère que les décisions du chef de l’État « contribueront grandement à l’apaisement de la situation ». Il s’engage à « s’impliquer pleinement dans la réussite de la conférence nationale inclusive et indépendante », qui doit faire intervenir, affirme-t-il, des compétences nationales reconnues.
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie
Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.
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