[Tribune] Côte d’Ivoire : l’obsession de la rechute
Alors que l’échéance présidentielle de 2020 se rapproche en Côte d’Ivoire, la montée des tensions et l’exacerbation des invectives politiques inquiètent.
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Gilles Olakounlé Yabi
Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).
Publié le 12 mars 2019 Lecture : 4 minutes.
Ce 7 mars, avant de quitter Abidjan, j’ai acheté huit quotidiens ivoiriens couvrant le spectre des tendances politiques du pays. Dans le quotidien Le Nouveau Réveil, Henri Konan Bédié, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se félicitait du « mépris » avec lequel les émissaires du président Alassane Ouattara avaient été accueillis en pays baoulé.
Dans le quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin, Kobenan Kouassi Adjoumani, porte-parole du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), répondait en accusant le même Bédié d’avoir tenu « des propos haineux, tribalistes et choquants » et de vouloir « créer une ségrégation entre les Baoulés ».
Du côté de Notre Voie, le journal historique du parti de Laurent Gbagbo, le titre était explicite : « Non respect des engagements de campagne en 2010 : Comment Ouattara a berné Bédié et les chefs traditionnels Baoulés ».
>>> À LIRE – [Tribune] En Côte d’Ivoire, les vieux démons de la violence verbale refont surface
Un retour en arrière
En Côte d’Ivoire, il n’y a jamais eu de prétention pour la majorité des journaux à donner une information objective, sans parti pris politique. Les nombreuses années durant lesquelles je séjournais régulièrement en Côte d’Ivoire, dans le cadre de mes missions comme analyste politique, je m’imposais cette routine : lire tous les quotidiens de la presse ivoirienne, reflets des positions, des intentions, des stratégies de chaque camp.
En parcourant les éditions du 7 mars 2019, à quelques heures d’un moment politique important – l’élection d’un nouveau président de l’Assemblée nationale après la démission de Guillaume Soro -, j’eus le sentiment que rien, absolument rien, n’avait changé dans les pratiques politiques du pays. Ni dans celles des médias.
C’est comme si les politiques ivoiriens s’étaient entendus pour réunir de nouveau les conditions nécessaires à une montée des tensions
Ceux qui ont vécu les batailles politiques des années 1994-2000, opposant frontalement Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ont sans doute, eux, le sentiment d’être revenus plus de vingt ans en arrière. Retour des maux qui ont fait tant de mal à ce pays : ivoirité, accusations et contre-accusations d’exclusion sur la base de l’identité, violences verbales, alliances et ruptures d’alliances politiques accompagnées de mobilisation sur la base ethnique et régionale, instrumentalisation des autorités traditionnelles…
C’est comme si les politiques ivoiriens s’étaient entendus pour réunir de nouveau les conditions nécessaires à une montée des tensions, puis à un recours à la violence en perspective de 2020, année de la prochaine élection présidentielle.
>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : la dernière ligne droite
Tensions internes
En plus de la rupture brutale d’alliance entre le président Ouattara et l’ancien président Bédié, il faut ajouter l’ambition présidentielle de Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion des Forces nouvelles, contraint à la démission de la présidence de l’Assemblée nationale par le président Ouattara. La tension entre le camp Soro, qui se rapproche de Bédié, et celui du président en exercice, dont il a longtemps été un allié clé, est patente et dangereuse. Les propos de part et d’autre sont de plus en plus inélégants.
Pour finir de ramener le pays à une configuration politique explosive, il faut compter avec le probable retour sur la scène, dans une posture de « héros », blanc comme neige, de l’ancien président Laurent Gbagbo, acquitté par la Cour pénale internationale mais encore privé de sa totale liberté.
Depuis 2011, les institutions politiques ne se sont pas consolidées, malgré une nouvelle Constitution adoptée à l’occasion d’un référendum précipité. Aucune réforme significative du Conseil constitutionnel pour réduire la dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Aucune réforme de la Commission électorale indépendante. Sur ce dernier sujet, des discussions sont engagées mais la position du pouvoir est claire : il privilégie une réforme a minima de l’institution électorale, alors que le modèle devrait être substantiellement revu.
>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : le flou persiste sur les contours et le calendrier de la réforme de la Commission électorale
Des perspectives politiques inquiétantes
L’économie ivoirienne s’est remise de manière spectaculaire des années de conflit. Les grandes enseignes de la distribution, notamment françaises, continuent de s’installer. Les élites économiques et politiques ivoiriennes vivent très confortablement. La consommation des classes moyennes supérieures fait le bonheur des centres commerciaux d’Abidjan.
C’est maintenant qu’il faut agir afin de prévenir une rechute qui serait désastreuse pour une Afrique de l’Ouest déjà bien fragile
Des investissements lourds ont permis la modernisation des infrastructures routières et portuaires. De grands travaux continuent ici et là. Les progrès économiques et sociaux des dernières années sont peu contestables, même s’ils sont inégalement partagés.
Mais sur le plan politique, de loin le facteur le plus déterminant pour la sécurité, la stabilité et la prospérité durable du pays, les perspectives sont inquiétantes. C’est maintenant qu’il faut agir afin de prévenir une rechute qui serait désastreuse pour une Afrique de l’Ouest déjà bien fragile.
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