Salif Keita

Après bientôt quarante ans de carrière, il est l’une des voix les plus célèbres d’Afrique. Rencontre avec un chanteur qui ne manie pas la langue de bois.

Publié le 21 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Début décembre, Salif Keita recevait avec satisfaction du matériel flambant neuf pour son studio bamakois, le Moffou, accueillant une session de formation pour de jeunes techniciens maliens. À bientôt 60 ans, il se rend de plus en plus souvent dans son village natal de Djoliba pour y trouver la tranquillité, remontant parfois le fleuve Niger à bord de l’une de ses trois pinasses. Et il foule presque chaque jour le sol de « son » île, en plein Bamako : un petit complexe touristique y est déjà à l’étude, et il rêve d’y bâtir une école dédiée aux instruments traditionnels africains. Lui qui a vécu la différence et le rejet s’indigne toujours du traitement réservé aux enfants albinos « sacrifiés aujourd’hui encore, en 2007 », demande de l’aide pour sa fondation qui les soigne et oeuvre à leur insertion sociale et à leur instruction. Candidat malheureux aux dernières élections législatives, où il voulait porter la voix du peuple malinké et du Mandé, sa région natale, Salif Keita évoque ses projets et son engagement politique, à la veille d’un concert événement pour fêter trente-huit ans de carrière, le 31 décembre, sur la scène de l’hôtel du Buffet de la Gare à Bamako, où il débuta avec le Rail Band et où il n’a pas joué depuis 1972.


Jeune Afrique : Vous inaugurez votre nouveau studio avec une session de formation pour de jeunes techniciens ?
Salif Keita :
Le studio est presque entièrement renouvelé et j’en suis très content. Bien sûr, les jeunes sont enthousiastes. Ce n’est pas de l’humanitaire, mais du développement réel. C’est la troisième fois qu’on forme ici, dans le cadre d’un partenariat avec Vivendi, des techniciens et des ingénieurs du son. Au Mali, on peut éventuellement se payer un studio, mais on n’a pas de professionnels pour s’en occuper. Ces projets entre le Nord et l’Afrique sont très positifs.

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De nombreux musiciens sont passés ici, d’autres doivent enregistrer bientôt. Qui sont-ils, et qui sont les jeunes artistes que vous avez envie de défendre ?
Habib Koité, Rokia Traoré, Sékouba Bambino, Richard Bona ont travaillé ici, parmi tant d’autres. Récemment, j’ai fait produire trois artistes, un Songhaï qui s’appelle Ibrahim Nabo, Adama Coulibaly, du Wassoulou, et Sina Sinayoko, un vieil artiste mandingue qui n’avait jamais eu l’occasion d’enregistrer. Je travaille aussi avec Doussou Bagayogo, Naïny Diabaté, Nahawa Doumbia. Ils donnent un peu de visibilité à la musique malienne. Vous savez, il est aussi difficile d’avoir un studio pour produire des supports de qualité que de trouver des distributeurs extérieurs au système africain. Maintenant, on a la chance de propulser de nouveaux talents et de les faire connaître sur le plan international, avec Universal. En ce qui me concerne, je suis beaucoup plus folk maintenant. J’écoute Bassekou Kouyaté, qui vient de faire un bon disque, et qui est très talentueux. J’apprécie aussi Mangala Camara, qui a une très belle voix.

Vous préparez un album pour l’année prochaine, quelle direction allez-vous emprunter ?
On va commencer en début d’année, j’ai pris un break depuis la fin de la tournée en août. Vous savez, on propose, et je dispose. Quand je suis en studio, c’est un peu comme une grossesse : sauf avec l’échographie des temps modernes, on ne sait jamais si ça va être un garçon ou une fille. Ce qui est sûr c’est que ce ne sera pas électrique, ce sera folk, très près de la tradition.

Vous vous êtes présenté aux élections législatives cette année. Quel bilan en tirez-vous et que cherchiez-vous à défendre ?

J’ai appris beaucoup de choses. Ce pays a besoin des intellectuels, et la démocratie ne peut pas avancer convenablement sans que les gens soient éduqués. La plupart ne comprennent pas pourquoi ou pour qui ils votent. J’ai pleuré tout le long de la campagne, parce que j’ai découvert des endroits dont je ne pensais pas qu’ils existaient encore, où il n’y a pas d’infrastructures, ni dispensaire, ni école, ni route, où les vieux qui tombent malades et les femmes enceintes meurent sur la route. J’ai toujours dit que je ne m’intéressais pas à la politique, mais cette campagne m’a encouragé à continuer, à connaître la vérité sur mon pays. Je n’ai pas vraiment le temps d’être député, mon travail ne me le permet pas. Je gagne bien ma vie avec la musique et je n’ai pas besoin de la politique pour vivre. Mais je me suis présenté pour intimider les dirigeants, et leur dire que chaque région peut trouver des gens dévoués pour la servir. Et puis je me suis engagé pour défendre les Malinkés et le pays mandingue, qui est la région la plus oubliée du Mali, et que je voudrais sortir de l’abandon.

Brice Hortefeux était à Bamako en novembre. Que pensez-vous du nouveau gouvernement français et du sort qu’il réserve aux immigrés ? Les choses ont-elles changé depuis Nous pas bougé, en 1989 ?

J’ai toujours été du côté des immigrés, mais je suis quelqu’un d’objectif : j’ai suffisamment tapé sur Sarkozy et la droite. Une chose est sûre, l’homme qui a le plus travaillé pour l’Afrique a été Chirac. Il a été ce qu’il a été, mais il a incarné la vertu de la France en aidant l’Afrique. Sarkozy est maintenant au pouvoir, même si on a tout fait pour qu’il ne soit pas là, et on doit l’écouter. Depuis qu’il est arrivé il a sans doute rapatrié pas mal d’émigrés, mais il en a aussi régularisé un certain nombre.
Oui, beaucoup de choses ont changé depuis Nous pas bougé, les gens ne s’en rendent peut-être pas compte. Cette façon violente de rapatrier les gens a peut-être cessé. À l’époque on avait mis 101 Maliens dans un charter spécialement affrété pour les rapatrier. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus discret, et quand même beaucoup plus humain.
Sarkozy est comme il est. Mais c’est cette façon de faire rêver les dirigeants africains et de leur faire miroiter quelque chose qui ne peut pas exister, de les encourager dans leur corruption, qui doit cesser. J’espère qu’il les remettra à leur place, et qu’il saura garder sa fermeté. Ce serait un grand pas pour la vie politique africaine.

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