Tunisie : « Before the Fourteenth », une exposition pour entretenir la mémoire de la révolution
Les prémices de la révolution tunisienne de 2011 s’exposent au musée du Bardo (Tunis) jusqu’au 31 mars. Dans un lieu qui porte encore l’empreinte de la première attaque terroriste ciblant la sphère publique en 2015, un collectif de la société civile se soucie de préserver la mémoire d’un tournant historique déjà entaché d’oubli.
Tout a débuté en 2012, à la faveur de recherches sur la période ayant conduit et précédé la chute de l’ancien régime. Jean-Marc Salmon, sociologue, enseignant universitaire et ancien directeur de la Maison du livre français à New York, s’est penché sur les traces de la révolution conservées sur Internet. Il a constaté que certaines étaient effacées, perdues ou objets de manipulation, alors que le rôle des réseaux sociaux avait été crucial lors du soulèvement tunisien.
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Une révolution numérique qu’il décrypte également dans un ouvrage paru en 2016, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011, dans lequel il souligne la force de la transmission avec la mise en ligne d’images prises spontanément par des citoyens, mais aussi la réactivité des cyber-militants. Un travail de compilation accompli grâce à des amitiés et des complicités qui ont facilité la collecte des informations.
Faouzi Mahfoudh, à l’époque directeur de l’Institut supérieur d’histoire du mouvement national à la faculté de la Manouba – et aujourd’hui directeur général de l’Institut national du patrimoine (INP) – , ainsi que Hedi Jallab, directeur général des Archives nationales, lui prêtent le concours de leurs institutions pour sauvegarder la mémoire de la révolution. Des étudiants et des bénévoles ont aussi été mis à contribution pour collecter et inventorier les sons et les clichés d’un temps fort de la Tunisie contemporaine.
Les trois étapes du processus
Quatre ans plus tard, ce travail et cet ouvrage nourrissent l’exposition « Before the Fourteenth, l’instant tunisien » qui, avec une vocation pédagogique, citoyenne et artistique, commémore le huitième anniversaire des événements du 14 janvier 2011. Plus qu’une présentation de faits, l’exposition s’articule autour de trois étapes de la contestation tunisienne. Un premier volet, qui s’intitule « le feu sous la cendre », revient sur les mouvements sociaux de 1956 à 2011. Le deuxième, « les 29 jours de la révolution », porte sur la période allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, tandis que « les jours d’après » retracent les lendemains de la révolution et la mise en place de la transition démocratique.
Abondamment illustrée par des supports numériques empruntés aux blogs et aux réseaux sociaux, l’exposition s’inscrit dans une démarche de « préserver et sauvegarder les événements de la révolution tunisienne et de les mettre à la disposition des chercheurs, des étudiants et du large public », explique Rabaa Ben Achour, coordinatrice générale de l’évènement.
Le collectif s’est appuyé sur l’ouvrage de Jean-Marc Salmon, mais aussi le rapport de l’instance d’investigation sur les violations et les dépassements de la révolution
Le collectif réunit aussi bien la société civile, avec le réseau Doustourna, que des institutions telles que les Archives nationales de Tunisie (ANT), la Bibliothèque nationale de Tunisie (BNT), le bureau Maghreb de la Fondation euro-méditerranéenne de soutien aux défenseur-e-s des droits de l’homme (FEMDH), le Centre de documentation nationale (CDN), l’Institut arabe des droits de l’homme, l’Institut national du patrimoine (INP), l’Institut supérieur de documentation (ISD) ou encore l’Institut supérieur de l’histoire de la Tunisie contemporaine (ISHTC).
Il s’est attaché « à traiter les archives avec rigueur, en s’appuyant sur différentes sources, dont l’ouvrage de Jean-Marc Salmon, mais aussi le rapport de l’instance d’investigation sur les violations et les dépassements de la révolution », précise à Jeune Afrique Hechmi Ben Frej, directeur du projet.
Portrait de Ben Ali et droits d’auteur
L’exposition, qui sera installée de manière définitive au Musée de Sidi Bou Saïd, sera dupliquée et présentée, dès le 19 mars au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille. À Tunis, elle n’en a pourtant pas moins été objet de polémiques. En cause, la visibilité donnée au président Ben Ali, dont le portrait trône en ouverture de parcours. « Comment parler de la révolution sans évoquer Ben Ali ! » évacue un visiteur.
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L’exposition a également été desservie par un malentendu : l’Agence France presse (AFP) a estimé que certaines photographies étaient sa propriété, et donc soumises au droit à l’image. Cela n’était pas vraiment le cas, selon les organisateurs. « Il n’est pas question de spolier les droits de quiconque. Nous avons pu prouver que certaines images étaient parues sur d’autres supports avant leur publication par l’AFP », souligne Hechmi Ben Frej, qui mène un travail d’investigation sur le sujet. Une situation qui dit bien toute la confusion qui a prévalu lors du moment charnière de 2010-2011, mais aussi la nécessité d’identifier et de recouper toutes les sources composant la mémoire d’un événement historique à l’ère du numérique.
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