Maroc : les enseignants contractuels s’opposent à une « privatisation de l’enseignement »

Alors qu’une nouvelle marche des professeurs contractuels s’est tenue mardi 12 mars à Rabat, le secrétaire général de la Fédération nationale des enseignants (FNE), Abderrazak Drissi, expose à Jeune Afrique les revendications d’un mouvement qui dure depuis plusieurs semaines.

Une marche des enseignants contractuels, en août 2018 à Rabat. © YouTube/Le360Live

Une marche des enseignants contractuels, en août 2018 à Rabat. © YouTube/Le360Live

CRETOIS Jules

Publié le 13 mars 2019 Lecture : 3 minutes.

Abderrazak Drissi, secrétaire général de la Fédération nationale des enseignants (FNE) – qui compte 12 000 adhérents à travers tout le territoire – , est un des leaders du mouvement exigeant depuis plusieurs semaines que les enseignants contractuels du primaire et du secondaire soient intégrés à la fonction publique au même titre que les fonctionnaires de l’Éducation nationale.

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Jeune Afrique : La mobilisation était-elle importante ce mardi ?

Abderrazak Drissi : Nous étions plusieurs milliers à Rabat, malgré l’usage de la violence par les forces de l’ordre lors des précédentes marches, dénoncée jusqu’au Parlement. Il y a une réelle volonté d’unité syndicale, de la FNE mais aussi de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), la Fédération démocratique des travailleurs (FDT), la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Organisation démocratique du travail (ODT), l’Union marocaine du travail (UMT)…

Le ministre Saïd Amzazi a reçu la semaine dernière des représentants des enseignants contractuels et a fait des concessions. Ne vous ont-elles pas satisfaites ?

Nous sommes contre le statut de contractuel, mais aussi contre la nouvelle proposition du ministère de faire des enseignants des employés des académies régionales. Pour nous, ce n’est pas la bonne réponse. Nous demandons une intégration dans l’administration de la fonction publique, au même titre que les fonctionnaires de l’Éducation nationale.

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Certains relèvent la présence de militants d’Al Adl Wal Ihsane (AWL) dans les manifestations. Cela vous pose-t-il problème ?

Pointer du doigt la présence de membres d’Al Adl Wal Ihsane est un moyen bien connu pour essayer de dénigrer un mouvement. On trouve des enseignants membre de la Jamaâ, mais les manifestations sont aussi remplies de gens de gauche, de libéraux, et sont surtout massivement féminines.

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Au-delà de la question des contractuels, il y a la Vision 2015-2030 pour l’Éducation. Qu’en pensez-vous ?

Pour nous comme pour beaucoup d’observateurs, il y a, depuis la Charte nationale d’éducation et de formation de 2000, une absence de vision claire et de capacité à appliquer les décisions prises. Surtout, la volonté que semble partager la quasi-totalité de la classe politique est la remise en question de la gratuité de l’enseignement. Je pense que la Vision 2015-2030 va dans le même sens : pousser à la privatisation, selon les demandes de certaines institutions internationales. De la fiscalité au foncier, tout est fait pour cela.

La représentativité au sein du Conseil supérieur de l’Éducation aurait dû être revue à l’aune des dernières élections professionnelles

À la FNE, nous ne cachons pas que nous n’avons même plus envie de nous asseoir à une table avec des acteurs qui ne convainquent plus. La représentativité au sein du Conseil supérieur de l’Éducation, qui pilote la Vision 2030, aurait dû être revue à l’aune des dernières élections professionnelles. Or, ça n’a pas été fait. Nous assumons de ne pas vouloir être les cautions d’une logique qui n’est pas la nôtre.

En 2015, un organisme onusien a mis les décideurs marocains en garde face aux dangers d’une privatisation de l’enseignement. Entre 2004 et 2014, la part des élèves pris en charge par le privé est passée de 4 à 14 %.

Les syndicats enseignants sont souvent pointés du doigt comme très corporatistes et parfois trop peu attachés à l’intérêt commun, notamment celui des élèves…

Il y a plusieurs syndicats et de nombreux syndicalistes. Je sais que certains méritent leur réputation, mais je crois que la FNE a prouvé ces dernières années son honnêteté et sa volonté d’agir pour tous les acteurs du secteur. Nous sommes très présents dans l’administration, et pas que chez les enseignants. En 2014, nous avons jeté nos forces dans la bataille pour exiger plus d’enseignants, pas des hausses de salaires.

Des recrutements, il y en a pourtant eu plusieurs dizaines de milliers ces dernières années. Cela n’est-il pas suffisant ?

En effet, il y a eu 70 000 recrutements environ ces trois dernières années. Et justement, des contractuels. Les derniers recrutements d’enseignants avec le statut classique remontent à la promotion 2015-2016. C’est là que le bât blesse.

Des étudiants ont manifesté la semaine dernière pour vous soutenir. Vous réjouissez-vous de ce ralliement ?

Nous sommes bien sûr favorables à un dialogue avec les étudiants. À la FNE, nous défendons un projet de société : celui de bâtir des universités qui forment des Abdallah Laroui ou des Mohamed Abed al-Jabri [philosophe spécialiste de la pensée arabo-musulmane]. Je pense que cela commence avant tout par laisser l’Union nationale des étudiants marocains (Unem) agir en toute liberté.

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