Pluie d’étoiles à Marrakech

Milos Forman, Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio, Catherine Deneuve… les plus grandes stars étaient présentes mi-décembre au Festival international du film de Marrakech. Qui n’a plus rien à envier à Cannes ou à Venise, même si la sélection manquait d’in

Publié le 21 décembre 2007 Lecture : 7 minutes.

«Moins de paillettes et plus de cinéma pour ce cru 2007 », se sont félicités une bonne partie des centaines de journalistes et de professionnels du septième art présents à la mi-décembre au septième Festival international du film de Marrakech (FIFM). Une impression qui n’était pas fausse si l’on comparait cette édition aux toutes premières, lors desquelles l’on remarquait avant tout non pas des films mais l’omniprésence des stars – de Sean Connery à Jeanne Moreau ou Djamel Debbouze et de Francis Ford Coppola à David Lynch ou Costa-Gavras pour la seule année 2002, par exemple.
Ce changement consistant à donner la priorité au cinéma proprement dit sur les mondanités – voulu par certains des organisateurs actuels de la manifestation, à commencer par le directeur du Centre cinématographique marocain Nourredine Saïl, vice-président du festival – est en fait déjà en cours depuis trois bonnes années. Il n’a d’ailleurs pas découragé les plus grandes personnalités du septième art de fouler le tapis rouge qui mène au palais des congrès : la première soirée de la manifestation avait pour hôte d’honneur Leonardo DiCaprio et la remise des prix le 15 décembre a été effectuée, entre autres, par Catherine Deneuve. Et il n’a pas atténué radicalement le caractère paradoxal d’un festival dont l’ensemble du programme et le jury chargé de décerner les récompenses – dirigé cette année par Milos Forman, entouré notamment de Pavel Lounguine, Claude Miller et Aïssa Maïga – sont haut de gamme, dignes des plus grandes manifestations du genre comme Cannes ou Venise, mais dont le théorique fleuron – la sélection des films en compétition – reste à bien des égards le maillon faible.

Certes, cette compétition 2007, qui faisait honneur à l’ambition du festival de célébrer la diversité culturelle, était fort estimable. On ne peut plus internationale – avec 15 films venus de 15 pays et de quatre continents différents -, composée pour une bonne moitié d’excellents longs-métrages, elle a permis de surcroît de récompenser des oeuvres remarquables, à la fois fortes et originales.

la suite après cette publicité

Autumn Ball, le premier long-métrage de l’Estonien Veiko Ounpuu qui a remporté l’Étoile d’or après avoir fait l’unanimité des festivaliers, raconte en pratiquant un humour fortement teinté d’absurde la vie dérisoire et désespérée de six habitants d’un grand ensemble de barres d’habitation datant de l’époque soviétique. Une vraie réussite.

Coup de poing

Le prix du jury, exceptionnellement décerné à deux lauréats ex æquo, est venu couronner des oeuvres coup de poing. Le premier, Slingshot, réalisé aux Philippines par le réalisateur Brillante Ma. Mendoza, tourné sans moyens en à peine dix jours, nous fait participer – presque au sens propre du terme tellement la caméra numérique tenue à la main suit en permanence le mouvement des corps – à la lutte pour la survie d’un groupe hétéroclite de « tiradors », comme on nomme ces petits voleurs qui écument le quartier des affaires surpeuplé de Quiapo, à Manille. Plus violent encore, le deuxième, le film russe d’Alexeï Mizgirev The Hard-Hearted, là encore un premier long-métrage, nous fait suivre le parcours agité et à l’occasion sanglant d’un jeune provincial qui est « monté » à Moscou et entend se faire respecter à sa manière – forte – quoi qu’il arrive.

Quant aux prix d’interprétation féminine et masculine, ils sont venus très logiquement récompenser deux performances d’acteurs qui jouaient des rôles fort différents dans deux drames sociaux. La très jeune Coréenne Yun-mi Yu incarne à l’écran avec un naturel sidérant, dans La Fille de la terre noire, une fillette de 9 ans qui se retrouve, une fois son père mineur condamné au chômage par la maladie, seule en charge de ce dernier ainsi que de son frère handicapé mental. Quant à Tommi Korpela, dans A Man’s Job, du finlandais Aleksi Salmenperä, il réussit avec talent à donner une véritable épaisseur au personnage de Juha, un homme qui après avoir perdu son travail sans pouvoir le dire à sa femme décide de se prostituer avec la complicité de son meilleur ami.

la suite après cette publicité

Ce palmarès, pour une bonne part, confirme donc, après Cannes, la très bonne santé actuelle du cinéma d’Europe de l’Est. Mais, même s’il a évité de primer des films déjà vus sur la Croisette, comme Actrices de Valeria Bruni-Tedeschi ou Funuke Show Some Love, You Losers ! du Japonais Daihachi Yoshida, le jury a consacré avec le long- métrage estonien une oeuvre déjà présentée hors compétition à Venise en septembre dernier. Un bon tiers de la sélection avait déjà été présenté dans d’autres festivals. Toutes les oeuvres étaient de bonne facture, mais la plupart ne semblaient guère promises à une grande carrière internationale.

Doublons

la suite après cette publicité

On peut certes se dire que l’essentiel reste que la compétition soit de bonne qualité même si elle ne peut éviter, vu l’état de la concurrence entre les festivals, quelques doublons avec d’autres manifestations. On regrettera alors simplement que deux des films de la sélection qui ont le plus déçu les attentes aient été ceux originaires du continent et même de la région. Le long-métrage algérien de Nadia Cherabi L’Envers du miroir, au sujet bien convenu (un chauffeur de taxi d’Alger recherche la mère d’un nouveau-né abandonné sur le siège arrière de son véhicule), n’évite presque jamais tous les pièges d’un premier film qui veut à tout prix émouvoir le spectateur au risque de frôler le genre roman-photo. Fallait-il vraiment le sélectionner dans une telle compétition même si on ne peut que souhaiter encourager la renaissance d’un cinéma algérien encore sinistré ? En revanche, le film marocain Les jardins de Samira de Latif Lahlou, hélas bien linéaire et manquant d’inspiration d’un point de vue cinématographique malgré des qualités esthétiques, a pour sa part le mérite d’aborder avec tact et sobriété des questions délicates et rarement traitées au Maghreb, comme l’impuissance masculine ou la frustration sexuelle et le désir féminin.

Que les réalisateurs marocains ne craignent pas ces temps-ci d’aborder les sujets les plus difficiles et même les plus tabous sautait d’ailleurs aux yeux à Marrakech, où les organisateurs du FIFM ont eu l’heureuse idée de présenter aux festivaliers un panorama quasi-exhaustif de la production de longs métrages du pays. De qualité très inégale mais toujours intéressants au moins par les histoires qu’ils racontent, les quatorze films projetés dans le cadre de cette sélection évoquaient par exemple aussi bien le sort des juifs marocains (Adieu Mères de Mohamed Ismail et Où vas-tu Moshe de Hassan Benjelloun) que la répression aveugle au prétexte des bonnes moeurs et du « politiquement correct » islamiques (Les Anges de Satan de Ahmed Boulane), les inégalités et les violences dans les relations homme-femme (Le Vélo de Hamid Faridi et Yasmine et les hommes de Abdelkader Lagtaâ) ou les conséquences du 11 septembre 2001 (Islamour de Saâd Chraïbi).

Pasolini, Bergman, DerkaouiÂ

Deux autres films marocains réalisés cette année, et très attendus en raison de la personnalité de leurs auteurs, étaient pour leur part présentés, hors compétition, dans la sélection officielle. Avec En attendant Pasolini, récompensé comme le meilleur film arabe de l’année au tout récent festival du Caire, Daoud Aoulad-Syad a réussi une nouvelle fois à prouver son talent de metteur en images et de conteur. Difficile de ne pas être captivé et ému par ce récit du destin d’un figurant qui s’était autrefois lié d’amitié avec Pasolini et qui voit arriver, quarante ans après, une autre équipe de cinéma italienne qui va utiliser ses services. Whatever Lola Wants, de l’auteur mondialement célébré de Ali Zaoua, Nabil Ayouch, a pour sa part d’autant plus déçu qu’il a été manifestement réalisé avec des moyens dont ne disposent pas habituellement les réalisateurs marocains – on parle d’un budget d’une dizaine de millions de dollars. Or, notamment en raison de son scénario trop naïf, cette histoire d’une jeune danseuse américaine qui devient une star de la danse orientale en Égypte après des péripéties rocambolesques ne parvient jamais à convaincre et encore moins, comme il le faudrait pour une sorte de comédie musicale, à enchanter le spectateur.

Ne devient pas qui veut auteur d’un mélo digne de la grande époque du septième art en Égypte. On a pu s’en rendre compte par l’exemple, en visionnant certains des films de la très vaste rétrospective du cinéma égyptien présentée à Marrakech pour fêter son centenaire en présence d’une imposante délégation de comédiens et de réalisateurs venus des bords du Nil. Comment résister non seulement aux meilleures réalisations de Youssef Chahine ou de Henry Barakat mais aussi et surtout à un joyau perdu de vue, ce très vieux film – Nashid el-Amal – qui met en scène dans les années 1930 l’immense Oum Kalsoum dans un rôle sur mesure de vedette de la chanson maltraitée par son ex-mari. Ce dernier film a bénéficié il est vrai d’une projection au clair de lune pour le grand public sur la mythique place Jemaa el-Fna de Marrakech.

Un privilège dont avait également bénéficié trois jours plus tôt Transes, du réalisateur marocain Ahmed el-Maanouni, avec en prime la présence en chair et en os devant l’écran géant de Martin Scorsese, qui a tenu à rappeler son admiration pour ce documentaire consacré au fameux groupe de musiciens Nass el-Ghiwane. Datant de 1981, ce film est le premier qui vient d’être restauré de façon admirable – « mieux que l’original ! », se félicitait sa coproductrice Izza Genini – par les soins de la Fondation World Cinema, créée récemment par le grand cinéaste italo-américain pour maintenir en vie le patrimoine mondial du septième art. Et sa projection, pour le plus grand plaisir de la foule qui avait envahi la place, a été précédée d’un concert fort apprécié de Nass el-Ghiwane évidemment.

Ce festival qui comportait également des hommages (Aoyama, Derkaoui, Bergman, etc.) et autres colloques (« Demain le numérique ») avait de quoi nourrir les amateurs de cinéma les plus difficiles. En attendant 2008 et une compétition plus étoffée en véritables inédits ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires