Naplouse, une prison à ciel ouvert

Muriel Rozelier raconte le quotidien des habitants de cette cité au cur des territoires occupés. Entre résistance et désespoir.

Publié le 21 décembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Les donateurs qui ont hésité, le 17 décembre, à mettre la main à la poche, avant de finir par consentir à la Palestine 7,4 milliards de dollars pour lui permettre d’arrêter sa descente aux enfers (voir p. 21), devraient lire le livre Naplouse, Palestine. Chroniques du ghetto. Ils y apprendront comment on vit dans cette prison sans barreau.
Au premier abord, son auteure, Muriel Rozelier, nous entraîne joliment dans les choses de la vie qu’en journaliste elle aime débusquer dans cette cité de Cisjordanie peuplée de 330 000 habitants, appelée jadis « la petite Damas » tant l’activité économique y était vigoureuse. Mais derrière les senteurs des orangers et l’arôme du « tombak », tabac rustique du cru, derrière les rires de femmes au hammam, derrière les « histoires sans importance » recueillies autour d’un café à la cardamome, sourd une angoisse stridente. Car Naplouse est une ville en-cerclée, parce que considérée par les Israéliens comme un vivier de terroristes. Pas moins de 51 kamikazes en sont partis depuis le début de la dernière Intifada.
La ville n’a pas usurpé sa réputation de résistante à tout envahisseur, Napoléon, les Ottomans, les Anglais et, pour finir, les Israéliens. Alors ceux-ci ont verrouillé la ville avec neuf check-points et neuf road blocks, barrages plus ou moins étanches où le malade en route pour l’hôpital et le salarié d’une entreprise israélienne ne savent pas s’ils seront refoulés ou non. Ni pourquoi. Pour se rendre à Jérusalem, située à 60 km au sud, on peut mettre une heure ou six. Ou ne jamais arriver.
En cas de bouclage et d’impossibilité de rejoindre leur domicile, ils sont nombreux à emporter, comme Nasser, étudiant à l’université Al-Qods, un « kit de survie » composé d’un savon et d’une brosse à dents. Comme Ayman, certains ne veulent plus quitter Naplouse, « de peur de souffrir un peu plus en rentrant dans sa cage ».
La menace est aussi domestique. « Nous subissons une double occupation, déclare Abou Nidal, l’ancien maire de la ville. La première – directe – est celle des Israéliens, et la seconde – indirecte – est celle des hommes qui gouvernent l’Autorité palestinienne et des gangs qui gouvernent nos rues. »
Pour résister à cette désespérance, les habitants de Naplouse se sont recroquevillés sur un conservatisme social et moral. Des lignes de démarcation ont été érigées entre les rejetons des grandes familles de commerçants et ceux des cultivateurs d’oliviers, entre les citadins de souche et les réfugiés venus du reste de la Palestine, entre les garçons et les filles, qui ne circulent jamais sur le même trottoir de l’avenue Rafidia.
Pour oublier ce noir quotidien, chacun a sa méthode d’évasion. Sami rêve du jour où il pourra exporter un savon de son invention, un mélange d’huile d’olive d’ici et de boue de la mer Morte. Il en a même dessiné la boîte.
Raed préfère la lucidité grinçante. « Qu’est-ce que je suis, moi ? Un descendant des Cananéens ? Je pourrais me la jouer comme ces fous de colons qui revendiquent notre terre au nom de leur putain de royaume d’Israël antique. Me déclarer phénicien ? Tiens, c’est une bonne idée, ça : me prendre pour un de ces Libanais qui creusent la terre à la recherche de l’héritage carthaginois du côté de Byblos. Mieux : me dire l’héritier des Grecs ou des Romains ? Ou avouer mon ascendance turque ? Sans doute que je suis tout cela à la fois. Et plus encore : un homme, un Arabe, un musulman, un Palestinien, parce que c’est cet espace-là qui me construit. C’est ici qu’est ma vie. » Même si ce n’est pas une vie.

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