[Tribune ] La réforme territoriale au Mali, ou l’art de mettre la charrue avant les bœufs
À la fin de 2018, le gouvernement malien a engagé une réforme territoriale et administrative fortement contestée dans le pays, sur la forme comme sur le fond.
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Moussa Mara
Ancien Premier ministre du Mali, président du parti Yelema.
Publié le 20 mars 2019 Lecture : 3 minutes.
Mali : l’heure du sursaut ?
Fruit d’une prise de conscience collective, une nouvelle dynamique est à l’œuvre au sein de la classe politique, de la société civile et des milieux d’affaires. De quoi engager les réformes institutionnelles et le recentrage économique nécessaires au redressement du pays ?
Nos autorités doivent aussi être réceptives aux arguments qui militent en faveur de sa révision. Parmi les critiques sur la forme, on peut citer principalement l’absence de concertation sur la vision qui porte le projet, ainsi que sur les modalités pratiques de sa mise en œuvre. Pour un pays comme le Mali, très conservateur en matière de gestion territoriale, cela est rédhibitoire. On peut aussi déplorer la précipitation à conduire cet exercice périlleux en quelques mois seulement, alors que ce chantier n’a pas de précédent dans notre histoire.
Quant aux insuffisances sur le fond, elles sont nombreuses. Tout d’abord, le projet n’a pas de rapport direct avec l’accord de paix, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement. En effet, l’accord vise à ce que les collectivités, ainsi que le transfert de pouvoirs et de moyens à leur bénéfice, soient opérationnelles et à ce que leurs aptitudes à satisfaire les attentes des populations soient renforcées. Il ne demande pas de multiplier les circonscriptions administratives.
Pour une décentralisation effective
C’est un appel à la décentralisation effective du pays et à une plus grande responsabilisation des populations à travers leurs représentants élus. Ce n’est pas une incitation à la déconcentration et au redéploiement de services relevant, pour l’essentiel, du pouvoir central.
Le projet de découpage ne peut être justifié ni par les questions de fichier électoral ni par l’ambition de rapprocher l’administration des citoyens. Les électeurs sont déjà pris en compte dans l’actuel fichier.
Et si la création d’une circonscription administrative suffisait pour y amener des infrastructures, pourquoi de nombreuses circonscriptions déjà existantes sont-elles encore dénuées de tout – absence de gouvernorat à Taoudénit, de centres de santé de référence ou de palais de justice dans certains cercles, etc. ? Il serait plus pertinent de combler les déficits existants avant de se livrer à la création de circonscriptions auxquelles on ne pourra pas allouer de moyens et qui seront sans impact pour les Maliens.
>>> À LIRE – Mali : pourquoi la mise en œuvre de l’accord de paix avance si lentement
Risque de conflits
L’initiative gouvernementale n’est pas soutenable en matière de moyens humains, matériels et financiers. Actuellement, les effectifs d’administrateurs territoriaux compétents ne suffisent pas à occuper tous les postes existants (gouverneurs, préfets, sous-préfets, adjoints), a fortiori ceux des nouvelles circonscriptions que l’on prévoit de créer. En répartissant la pénurie entre un plus grand nombre, on ne fera qu’appauvrir davantage les représentants de l’État. C’est exactement le contraire de ce qui a été réclamé pour engager le processus !
Enfin, cette nouvelle stratégie de découpage territorial n’introduit d’équité ni entre les territoires ni entre les communautés. Elle se traduit par la création de circonscriptions que ne justifient ni le nombre d’habitants ni d’autres critères socio-économiques pertinents, ce qui risque d’entraîner des conflits et des divisions pouvant déstabiliser le pays. On ne peut pas non plus l’expliquer par la volonté de parvenir à une représentation équitable des populations et des communautés.
Davantage de concertations
L’actuelle iniquité dans ce domaine repose sur un consensus qui prévaut depuis plus de vingt ans et qui est issu des précédents accords de paix. Le projet du gouvernement accroîtrait cette iniquité et la porterait à un niveau insupportable pour nos compatriotes. De quoi installer un climat propice aux conflits intercommunautaires, qui déchirerait davantage le tissu social déjà bien entamé par les crises que nous vivons depuis quelques années.
Le gouvernement doit donc revoir sa copie, intensifier et élargir les concertations, mieux préparer des arguments pertinents en faveur du redécoupage du territoire et, surtout, s’engager encore plus vers une décentralisation réelle du pays.
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