Maroc – Lahcen Daoudi : « Nous manquons encore d’outils de contrôle pour bâtir un système fiscal plus juste »
Lahcen Daoudi, ministre délégué chargé des Affaires générales et de la gouvernance, est une pièce importante de l’équipage gouvernementale de Saadeddine El Othmani, puisque c’est à son niveau que s’opère une bonne partie de la redistribution des richesses. Fiscalité, aides sociales ou encore compétences au PJD, le responsable revient sur les nombreux dossiers chauds actuellement sur son bureau.
Selon certains, il est le « numéro deux » de l’équipe islamiste au gouvernement. S’il voit peu l’ancien numéro un du PJD, Abdelilah Benkirane, le ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé des Affaires générales et de la gouvernance est un proche de l’actuel patron de la formation, Saadeddine El Othmani.
Fervent réformiste, il fait circuler au sein du parti des notes sur la possible création d’un revenu universel au Maroc, financé par la réforme de la Caisse de compensation. Plutôt que de s’attarder sur des points de détail, il tient à développer la philosophie de son action. Et croit dur comme fer que les électeurs marocains sauront se souvenir de l’action du PJD lors des prochaines élections, programmées en 2021.
Jeune Afrique : On dit de vous qu’entre les rencontres avec des délégations étrangères, votre entente cordiale avec les ministres non-PJD et votre réseau dans le parti, vous êtes le « chef du gouvernement bis »…
Lahcen Daoudi : Non, je ne crois pas. Dans une certaine mesure, parfois, c’est vrai, il m’arrive d’enfiler le costume de bras droit de Saadeddine El Othmani. Nous nous connaissons depuis des années.
Quelle est votre décision finale à propos des prix des carburants après que le Conseil de la concurrence a dit qu’il n’approuvait pas le principe d’un plafonnement ?
J’ai emprunté le chemin de la concertation. Je renonce au plafonnement unilatéral pour un plafonnement concerté. On va se mettre d’accord sur une marge pour éviter les profits exagérés. Je crois que nous avons là affaire à de la bonne gouvernance et de la capacité au compromis, non ?
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Quelles sont les promesses de la plateforme de discussion entre le gouvernement et la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) ? Est-elle un palliatif aux mauvais rapports entre le PJD et le patronat ?
Les relations entre le PJD et le patronat ne sont pas froides. La CGEM a un nouveau président et nous voulons pouvoir recueillir son point de vue. Une rencontre a déjà eu lieu il y a environ deux semaines, et une autre arrive. La CGEM a des propositions à faire, c’est bien normal de les écouter. La fiscalité et la question de la simplification administrative seront sur la table.
Des assises de la fiscalité vont bientôt avoir lieu. Y participerez-vous ? En tant que ministre, ou bien membre du PJD ?
J’assisterai aux assises en tant que membre du gouvernement et en tant que membre d’un parti, qui a autant des propositions à faire que des avis à recueillir concernant la fiscalité. Un travail est en cours au sein du PJD afin de rendre un document sur le sujet.
Il se dit que le PJD essaie justement de faire « monter en puissance » ses cadres…
Il y a toujours eu ce discours autour d’un prétendu manque de compétences au PJD. Je ne pense pas que ce soit vrai. Mais bien sûr, nous tâchons de faire au mieux. En interne, nous accélérons ce processus. Driss El Azami El Idrissi nous aide à relever le niveau de tous nos cadres. C’est quelqu’un qui a l’habitude de traduire une vision en pratique. Aziz Rabbah se charge de suivre la gestion des communes qui ont échu au PJD, et des personnes précises sont mises à contribution sur des dossiers précis, comme Nizar Khaïroun, qui connaît très bien les questions de fiscalité.
Pour revenir à la fiscalité, quelle est votre lecture de la situation actuelle ?
C’est une évidence que la fiscalité marocaine est toujours injuste. Les impôts indirects sont certes inégalitaires, mais nous manquons aussi d’outils statistiques et de contrôle pour imposer de manière plus rigoureuse les grandes fortunes, et notamment les biens fonciers.
Pour le moment, je suis concentré sur le registre social unifié, un outil qui permet de cibler les personnes et ménages défavorisés. En 2020, nous lancerons l’expérience au niveau de la région de Rabat, puis nous généraliserons le dispositif. Ce sera un vrai souffle. Aujourd’hui, on compte plus de 139 programmes sociaux : c’est un mille-feuille de programmes mal fléchés, imprécis… Il y a une déperdition folle, et cela contribue à des inégalités persistantes. Connaître les besoins précis de chaque citoyen va permettre un changement majeur. C’est une très grosse réforme, qui engage aussi le ministère de l’Intérieur.
Avez-vous un calendrier précis concernant la réforme des subventions, notamment sur le sucre et le gaz ?
Nous n’avons pas encore fixé de date. Mais surtout, il faut bien comprendre le débat : le problème ne se situe pas du côté des foyers. Le pompage d’eau, par exemple, coûte cher, et en ce moment, nous avançons à grand pas pour subventionner plus le solaire, qui permettra de réduire structurellement les coûts et de changer nos modes de consommation sur le long terme.
Ces subventions pour le solaire, c’est pour 2019 ?
Oui, l’arsenal juridique se met en place, et le décret sera bien pour 2019. C’est un travail commun entre les Finances et mon département.
N’avez-vous pas peur que vos différentes actions – le renforcement des programmes destinés aux femmes, pour prendre la dernière promesse en date du chef du gouvernement – , ne soient pas ressenties de manière immédiate et jouissent à de potentiels successeurs au gouvernement ?
À mon humble avis, le successeur du PJD, ce sera le PJD.
Que pensez-vous de la polémique autour de l’article 47 de la Constitution, selon lequel le roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants ?
Ceux qui agitent cette question, ce sont un peu comme les cancres dans une cour de récréation, qui s’agitent parce qu’ils sont mécontents de leurs résultats.
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