En Algérie, l’impossible décompte des manifestants
Si les photographies et les vidéos des manifestations contre le cinquième mandat du président Bouteflika sont impressionnantes, l’évaluation du nombre de participants reste compliquée. Et si l’important était ailleurs ?
Des centaines ? Des milliers ? Le nombre de manifestants ayant participé aux marches contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika a fait l’objet de différents décomptes. Sur les réseaux sociaux, des internautes algériens ont vertement interpellé dès le mois de février les journalistes de l’Agence France presse (AFP) qui parlaient de « plusieurs centaines » de manifestants des jours de protestation à Alger, alors que des milliers de personnes marchaient dans les rues selon des clichés et des vidéos pris ce jour-là.
C’est la difficile loi du « comptage » des manifestants. Au lendemain de rassemblements, les citoyens du monde entier sont habitués à découvrir des écarts parfois importants entre les chiffres délivrés par les organisateurs, la police, le gouvernement ou encore l’opposition.
Dans le cas de ces manifestations algériennes, les autorités ne donnent pas de chiffres. Au soir du 1er mars, date de la deuxième marche, une source officielle sous couvert d’anonymat assurait pourtant à Jeune Afrique que la police « allait communiquer ». Mais aucun texte émanant d’une quelconque institution n’a donné de décompte. Et quand l’AFP parle de « dizaines de milliers de manifestants », à Alger, cela provoque l’ire de centaines d’internautes.
Marges d’erreur
À la fin de la journée du 1er mars, le site TSA, réputé pour son sérieux, évoque « des centaines de milliers de manifestants, peut-être plus d’un million » de personnes à Alger. Quelques heures plus tôt, le site annonçait : « Selon une source policière, il y a eu 800 000 manifestants à Alger ». Après les marches du 8 mars, le site d’informations français Médiapart parle de « plus d’un million d’Algérois » dans les rues. Le même jour, El Watan se montre plus prudent, évoquant « des centaines de milliers, voire plus d’un million de manifestants, occupent le centre de la capitale ».
« En matière de comptage, on ne peut pas se fier à son intuition. L’œil répond à des désirs et à des opinions. La densité même peut provoquer des impressions trompeuses », met en garde Assaël Adary, président d’Occurrence, un cabinet français qui s’essaie à des décomptes le plus précis possible lors de manifestations en France. Il utilise pour cela un système basé sur l’usage de capteurs installés en hauteur – au quatrième ou cinquième étage d’immeuble par exemple – sur le chemin de la marche, lesquels captent et dénombre toute personne franchissant une ligne virtuelle.
« Même avec cette méthode [utilisée notamment dans les aérogares ou à La Mecque], des marges d’erreur sont prévues », prévient Assaël Adary, qui enjoint notamment d’examiner avec recul les documents photographiques : « Un cliché, c’est un cadre et un moment, on ne sait pas ce qu’il y a dans le hors-champ, et on n’a pas les allers-retours, les nouveaux arrivants… »
Le million pas forcément atteint
Le nombre d’un million de manifestants à Alger, avancé par certains internautes, est-il crédible ? En retraçant le parcours des manifestations algéroises sur Google Maps – peu ou prou une boucle entre la Grande Poste et le Musée du Bardo – on comprend vite qu’il est peu probable qu’un million de personnes se soient tenues debout côte à côte à un même moment. Restent les balcons et les toits, très investis, ainsi que la réalité d’un « turn over » : des manifestants partent, d’autres arrivent…
Mais il faut dire que le « million » était l’objectif affiché dans les appels à manifester relayés depuis le début du mois de mars, notamment pour les 1er et 8 mars. Un pari très ambitieux : ils étaient entre un et deux millions de manifestants sur la place Tahrir du Caire et dans les rues aux alentours en février 2011. La capitale égyptienne comptait alors environ 15 millions d’habitants. Les Algérois sont près de quatre à cinq fois moins nombreux.
Mais les manifestants algériens ont à leur actif une victoire autre que celle des chiffres : la généralisation de leur mouvement à l’ensemble du territoire, tant en Kabylie que dans le grand Sud, dans les grandes villes comme dans les plus petites agglomérations et à une grande diversité de populations : jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, salariés du privé et fonctionnaires, étudiants, Algériens de la diaspora…
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