Le décollage se fait attendre

La dette est apurée et le budget de l’État est sage. Presque tous les indicateurs sont au vert et pourtant l’activité piétine. Face à l’importance des prélèvements et de la corruption qui plombe l’activité, les chefs d’entreprise interpellent les politiqu

Publié le 21 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Tous les regards sont braqués sur les indicateurs économiques. Décollera ? Décollera pas ? Au Cameroun, dans les milieux d’affaires comme dans la rue, la question est sur toutes les lèvres. Alors que la croissance du PIB était attendue à 4,5 % en 2007, elle devrait finalement se situer entre 2,7 % et 3,5 %. Alors, en 2008, l’économie camerounaise tiendra-t-elle enfin toutes ses promesses ? Martin Abega, le secrétaire général du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), qui réunit 200 entreprises, est confiant : « Un frémissement de l’activité est perceptible. On sent que le Cameroun a retrouvé la confiance des bailleurs de fonds, c’est important. Le gouvernement vient de voter la loi de finance 2008. À l’issue du premier semestre, nous devrions savoir si l’économie repart vraiment. » Le ballet de limousines qui déposent en continu, sur les marches de l’hôtel Hilton de Yaoundé, des hommes d’affaires venus négocier des contrats dans les salons de ce centre névralgique de la vie économique et politique du pays témoigne d’une certaine effervescence.
Mais la partie est loin d’être gagnée. « En Afrique centrale, le Cameroun est l’un des pays les plus structurés. Sur le plan macroéconomique, il essaie d’être un bon élève. Mais il n’y a pas de dynamique. Du fait de l’impuissance de l’État, ça patine. Il faudrait une croissance de 7 % à 8 % pendant plusieurs années pour en constater les effets visibles », constate un chef d’entreprise.
Le pays en est très loin. Et une certaine impatience gagne les entrepreneurs et la population, inquiète de voir son pouvoir d’achat plombé par les hausses des prix. Ces dernières années, ils pensaient avoir fait le plus dur. Entre 2005 et 2006, la dette extérieure du pays a fondu de 34,9 % du PIB à 4,5 %. Et depuis la date historique du 28 avril 2006, lorsque le Cameroun a atteint le point d’achèvement de l’Initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PTTE), le pays était persuadé d’en avoir terminé avec les sacrifices. « Le point d’achèvement a coûté très cher aux entreprises », insiste Martin Abega. Il a réduit les commandes publiques passées aux entreprises alors que, simultanément, la pression fiscale augmentait. C’était le prix à payer pour un nouveau départ. Mais plus de dix-huit mois après, la situation ne s’est pas radicalement améliorée. Au contraire.
Pourtant, la plupart des indicateurs sont au vert. Grâce à la hausse des cours mondiaux du pétrole, le gouvernement a enregistré des rentrées fiscales supplémentaires (les revenus du pétrole totalisent un tiers des recettes de l’État) depuis 2005, qui lui ont également permis de ramener la dette interne à 796 milliards de dollars, alimentée de manière aléatoire par des arriérés non budgétés ou des créances héritées d’entreprises publiques en difficulté.
Adopté le 9 décembre 2007, le budget 2008 de l’État ne joue pas la surenchère, avec 2 276 milliards de F CFA (2 251 en 2007). Dont 53 % en fonctionnement et 22 % pour l’investissement (538 milliards de F CFA). Une bonne nouvelle ? Pas si sûr. Tout dépendra de la mise en uvre. Seulement 79 % des investissements annoncés pour 2007 par le gouvernement ont été lancés. Pour 2008, 50 % à 80 % des investissements prévus devraient voir le jour dans les douze mois. Des projets mal ficelés et le recours aux fonds PTTE, lourds à débloquer, expliquent cette incapacité des pouvoirs publics à concrétiser ces programmes.
« L’investissement public devrait être le premier déclic pour emballer la machine. Mais il n’a pas été au rendez-vous en 2007. Pourra-t-il l’être en 2008 dans ce contexte ? » s’interroge un chef d’entreprise. Le sursaut viendra peut-être d’initiatives privées. La Cam Iron SA, détenue à 90 % par les capitaux australiens de la société Sundance Ressources, s’est engagée à investir 3,5 milliards de dollars pour exploiter d’ici à 2011 la mine de fer de Mbalam, dans le sud-est du pays. Un projet qui se traduira par la construction de routes, d’une voie ferrée de 500 kilomètres et d’un port en eau profonde à Kribi. Mais un exemple trop isolé pour espérer doper l’activité du pays.
Autre vecteur présumé de croissance : les échanges régionaux. Mais la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) « est le maillon faible de l’intégration en Afrique », a admis Yacouba Abdoulaye, le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, le 11 décembre, à Yaoundé, lors des travaux préparatoires du Conseil des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC). Il s’est déroulé le 17 décembre sans faire avancer d’un pouce la coopération entre États. Les marchés sont cloisonnés et compliqués d’accès alors que des coopérations seraient possibles (huile de palme, coton, café). « Le Cameroun exporte peu vers ses voisins de la Cemac, confirme un entrepreneur français. Il en coûte trois fois plus cher d’envoyer un conteneur de Douala à Bangui que de l’acheminer à Marseille ! » Et ce n’est pas prêt de changer. « L’intégration régionale est quelque chose d’important, souligne-t-on dans l’entourage du Premier ministre. Mais la Cemac est calquée sur les anciennes colonies françaises. Il faut sortir de ce modèle. Le Cameroun réalise plus d’échanges avec le Nigeria qu’avec l’ensemble des pays de la Cemac. »

59 % des patrons répugnent à investir
Conscients qu’une partie serrée se joue en ce moment pour l’économie du Cameroun, les patrons montent au créneau. Objectif : pousser les pouvoirs publics à conduire les réformes qui sortiront le pays de sa torpeur car, pour le moment, ils se battent dans un environnement difficile. 59 % des chefs d’entreprise sont, en effet, convaincus qu’il est trop risqué d’investir dans le pays, si l’on en croit les résultats de l’enquête « sur le climat des investissements et des affaires au Cameroun », présentée le 18 décembre dernier, à Yaoundé, à partir des réponses de 600 patrons de grandes entreprises et de PME.
Pour 85 % d’entre eux, les charges fiscales et les impôts ont un impact négatif sur leur activité. Avec 73 % des entrepreneurs sondés qui disent en subir les méfaits, la corruption est une autre difficulté majeure. Un constat que confirme le rapport 2007 de l’ONG Transparency International sur le sujet. Publié le 6 décembre, il place le Cameroun au premier rang des pays africains les plus corrompus, avec 79 % des personnes interrogées qui déclarent avoir dû payer un dessous-de-table pour bénéficier d’un service public. Lancée début 2006, l’opération « Épervier », destinée à débusquer les patrons, les hommes politiques et les fonctionnaires véreux, a fait tomber des têtes. Mais les Camerounais en veulent plus. « La lutte contre la corruption doit tendre vers la fin de l’immunité », insiste Martin Abega.

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513 milliards de F CFA dorment à la banque centrale
Le troisième frein qui nuit au développement de l’économie réside dans les relations entre les entreprises et les banques. Plus de la moitié (52,8 %) des entrepreneurs interrogés ont abandonné l’idée de trouver une source locale de financement à long terme. Dans un pays où les organismes de crédit spécialisés pour les PME (BCD, Fogape) ont été décimés par la crise des années 1980, les crédits bancaires se dirigent en priorité vers les grands groupes, jugés plus solvables. Début décembre, AES-Sonel a ainsi obtenu auprès de cinq banques un prêt de 39 milliards de F CFA pour construire deux centrales électriques. Il n’empêche. Des dirigeants d’entreprise se demandent pourquoi 513 milliards de F CFA dorment dans les coffres de la Banque centrale du Cameroun.
« Notre enquête est une vision objective de la situation camerounaise, note le secrétaire général du Gicam. Si l’administration apporte des réponses, les choses iront mieux. » Réponse à la fin du premier semestre 2008.

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