La Chine et l’Amérique à l’offensive

Le continent devient un fournisseur privilégié de Pékin et de Washington, qui cherchent à accroître et à diversifier leur approvisionnement. Après une hausse de 25 % en sept ans, la production africaine devrait dépasser 10 millions de barils/jour en 2007.

Publié le 20 décembre 2007 Lecture : 7 minutes.

Si les chiffres ne sont pas encore connus, tout laisse à penser que, en 2007, la part de la production africaine dans la production mondiale de brut devrait revenir à son niveau de 1970, qui reste comme une année bénie pour les nombreux pays d’Afrique gorgés d’or noir. Ensuite, en effet, pour de nombreuses raisons, le continent avait vu sa production dégringoler, pour atteindre son plus bas niveau en 1975, avec seulement 4,8 millions de barils/jour (b/j) extraits. Elle était remontée graduellement les années suivantes, mais sans jamais rattraper le retard accumulé par rapport au reste du monde.
Depuis sept ans toutefois, la situation évolue. La production pétrolière africaine progresse régulièrement. Elle a augmenté de 25 % sur la période, et le continent, avec plus de 12 % de la production mondiale aujourd’hui, a retrouvé toute sa place sur l’échiquier international. L’augmentation des extractions africaines a représenté un quart environ de la hausse de la production mondiale au cours des dix dernières années.
Si le phénomène fait le bonheur des multinationales et des gros consommateurs d’or noir – États-Unis, Union européenne et Chine en tête -, il ne s’accompagne pourtant pas systématiquement d’une amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les pays producteurs : le Nigeria, l’Algérie, le Soudan ou l’Angola restent ainsi parmi les moins bien classés de l’Indicateur de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Pour l’Afrique, 2007 restera donc un cru mitigé.

80 % du budget du Nigeria
Au Nigeria par exemple, la situation reste difficile. Les plateformes pétrolières situées à proximité de Port Harcourt, dans le Delta du Niger, où se trouve l’essentiel des champs de forage du pays, ont encore subi de multiples attaques cette année. Loin d’être sécurisée, la production nationale, après avoir fortement progressé entre 2002 et 2004, régresse de nouveau. Elle a chuté de 5 % à 7 % selon les sources, en 2006, et d’environ 4 % sur les huit premiers mois de 2007. Pour le secteur, c’est un coup dur : non seulement les dépenses liées à la sécurité augmentent les coûts de production, mais, en plus, la baisse de production réduit la marge de manuvre du budget de l’État, qui dépend à 80 % du pétrole et du gaz. Pour l’analyste Afrique du cabinet de conseil Eurasia Group, Sebastian Spio-Garbrah, la situation devrait s’arranger dans les prochains mois : « La production va augmenter en 2008 et en 2009 de 500 000 à 700 000 b/j en raison de la mise en service de nouveaux puits offshore. » Par ailleurs, selon Razia Khan, responsable de la recherche en Afrique à la banque Standard Chartered, « plus la production sera offshore, plus les renégociations de contrats prendront en compte qu’elle est profitable, moins les problèmes de sécurité auront de conséquences sur la production ». En attendant, Shell, l’un des premiers opérateurs du pays, vient de décider de céder certains de ses actifs dans le pays, officiellement pour « diversifier ses risques »
En Angola, en revanche, l’avenir pétrolier paraît radieux. Le pays, qui a rejoint l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) en janvier 2007, produit désormais près de 15 % du brut africain. Seuls trois pays font mieux que lui sur le continent : le Nigeria, l’Algérie et la Libye. Mais Luanda rattrape son retard, notamment sur les deux principaux pays producteurs d’Afrique du Nord. Sur les huit premiers mois de 2007, l’Angola a produit 1,7 million de b/j, soit autant que Tripoli et à peine moins qu’Alger, qui a pompé 1,8 million de b/j dans le même laps de temps. Entre 2004 et 2006, l’extraction pétrolière angolaise avait déjà progressé de 44 %, si bien qu’elle a doublé depuis 2000. La performance s’explique par la mise en production de nombreux champs en eau profonde, dont les perspectives ne cessent d’être révisées à la hausse. Selon les analystes, la production angolaise pourrait atteindre un pic entre 2010 et 2012 à plus de 2,5 millions de b/j, avant de retomber à son niveau actuel en 2020.

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Mauritanie : la déception
L’Algérie a vu, elle, sa production se stabiliser, après plusieurs années de hausse continue : une évolution qui s’explique en partie par le peu d’empressement des autorités à augmenter la production au moment où les cours du brut sont au plus haut. Les changements enregistrés dans le pays se situent davantage au niveau politique. Adoptée en 2005 après plusieurs années d’âpres négociations, la loi sur les hydrocarbures initiée par Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie et des Mines, a été largement amendée en 2006. Alors qu’elle prévoyait l’ouverture du secteur, et donc la fin de la prééminence de la Sonatrach, cette dernière a finalement conservé toutes ses prérogatives pour n’entamer qu’une lente internationalisation de ses activités
Du côté des pays dont on attendait beaucoup, les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs attendus. La Mauritanie, en particulier, a déçu. En 2006, sa production n’a pas atteint le volume escompté. Le gisement de Chinguetti, mis en service en février 2006, avait pourtant laissé beaucoup d’espoir. En outre, l’opérateur du site, la compagnie australienne Woodside, présente en Mauritanie depuis dix ans, a jeté l’éponge en août dernier.
Les professionnels du secteur ont donc tendance à porter leur attention sur d’autres pays. Et sur la Côte d’Ivoire notamment, même si le pays délivre encore avec parcimonie ses statistiques d’extraction et que les majors, à l’exception de la compagnie russe Lukoil, arrivée en juillet 2006, n’y sont pas encore très nombreuses. En 2007, en effet, la production ivoirienne de brut aurait ainsi dépassé le seuil de 100 000 b/j, après avoir atteint, en 2006, entre 50 000 et 90 000 b/j selon les sources, et 57 000 b/j en 2005. Un décollage que le pays doit, entre autres, à la mise en exploitation de son plus important champ offshore, baptisé Baobab.

23 % des importations américaines viennent du continent
La Côte d’Ivoire n’est pas la seule à faire l’objet de convoitises. « Le Ghana, le Mozambique et le Kenya suscitent aussi un vif intérêt », souligne Sebastian Spio-Garbrah. « Le Soudan est sans doute le pays qui a le plus gros potentiel, renchérit, de son côté, Jean-Pierre Favennec, directeur du pôle Économie et gestion à l’Institut français du pétrole (IFP), avant d’ajouter : São Tomé et l’Ouganda devraient, enfin, devenir producteurs. »
Au final, si l’Afrique a, comme toutes les autres régions productrices de pétrole, profité de l’augmentation de la consommation d’or noir dans le monde ces dernières années (+ 13,8 % en dix ans), elle a aussi, et surtout, bénéficié de l’intérêt croissant des États-Unis, ainsi que de la hausse de la demande chinoise, qui a progressé de 78 % au cours de la dernière décennie.
Cherchant à réduire sa dépendance envers le Moyen-Orient, Washington continue en effet d’accroître la part de ses importations pétrolières en provenance d’Afrique, qui représentent désormais 23 % du total de son approvisionnement. Depuis 2002, les États-Unis ont accru leurs achats pétroliers de 90 % en Afrique. Le continent est aujourd’hui devenu le deuxième fournisseur de Washington après l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, devant le Moyen-Orient. La Chine est, quant à elle, devenu le deuxième consommateur mondial de pétrole, avec 6 millions de b/j en 2005, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Entre 1998 et 2005, les importations chinoises de brut africain ont, elles, été multipliées par neuf, passant de 100 000 à plus de 980 000 b/j.
Le rapport de force entre les trois principaux acheteurs mondiaux – États-Unis, Union européenne, Chine – est donc en pleine évolution. Si le phénomène ne concerne pas l’Afrique du Nord – 61 % des importations de brut de l’Union européenne provenaient toujours de cette région en 2006 -, l’Afrique subsaharienne est, en revanche, en première ligne. La Chine y achète désormais autant de barils que l’UE

Vers la confrontation ?
Devant ce double intérêt chinois et américain, les investissements dans l’extraction pétrolière africaine sont restés élevés en 2006. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), l’activité des pays les moins développés a été principalement soutenue par les opportunités pétrolières. Le Soudan, la Guinée équatoriale ou le Tchad ont ainsi compté parmi les premiers destinataires d’investissements directs étrangers (IDE).
Malgré le « grand jeu » auquel se livrent Américains et Chinois, il est cependant prématuré de parler d’opposition frontale entre les deux pays sur le continent. « Il y a compétition mais pas conflit, explique Jean-Pierre Favennec, économiste à l’Institut français du pétrole (IFP). L’Afrique de l’Ouest est la seule région du monde où les compagnies pétrolières internationales ont un terrain de jeu, car les États n’ont pas les moyens de créer des compagnies nationales. »
Ainsi, l’influence de la Chine semble, pour l’instant encore, se limiter au Soudan et à l’Angola, voire, dans une moindre mesure, au Tchad. L’industrie pétrolière nigériane reste, elle, en revanche, largement dominée par les multinationales occidentales : « Les relations commerciales avec les États-Unis remontent à loin et ne se limitent pas au secteur pétrolier », explique Razia Khan.
Sebastian Spio-Garbrah va plus loin : « D’éventuelles tensions verront peut-être le jour, mais seulement à long terme. Aujourd’hui, les relations sino-américaines en Afrique restent, dans la majorité des cas, marquées du sceau de la coopération. » En Angola, Sinopec travaille par exemple avec plusieurs majors occidentales. Reste à savoir combien de temps encore ce fragile équilibre résistera

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