Mobilisation anti-Bouteflika : qui sont les Brassards verts, ces bénévoles écolos qui portent secours aux manifestants ?
Ils ont choisi de participer aux contestations massives contre le président Abdelaziz Bouteflika avec une mission bien particulière : porter secours aux manifestants en difficulté et nettoyer les rues après le passage des cortèges. Qui sont-ils ? Jeune Afrique les a suivis à Alger, lors de la mobilisation du 15 mars.
Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie
Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.
Brassard vert autour du bras, sac sur le dos, grand sachet en plastique dans les mains… Parés depuis la matinée, Kawthar et Mathieu arpentent la rue Didouche Mourad à la recherche de bouteilles en plastique, paquets de cigarettes, papiers ou autres objets laissés à l’abandon. Dans les sacs de ce binôme bien particulier, le matériel de premiers secours : comprimés Doliprane, ventoline, sérum physiologique, vinaigre, eau, ou encore bonbons et chocolat. Autour d’eux, des centaines d’Algériens manifestent en ce vendredi 15 mars contre la prolongation au-delà du terme prévu du mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Les deux jeunes, respectivement âgés de 23 et 19 ans, ne sont pas là pour prendre part à la marche, mais plutôt pour nettoyer les rues et porter secours aux manifestants en difficulté. « Les gens nous remercient ou nous donnent des billets pour acheter des médicaments, raconte Kawthar, étudiante en informatique à l’université de Bab Ezzouar d’Alger. Nettoyer et aider les marcheurs, c’est notre façon à nous de prendre part à cette magnifique révolte contre le système. »
Depuis le début de ces manifestations qui drainent des millions de personnes dans la capitale, dans le reste du pays et à l’étranger, le regard a été braqué sur les manifestants, les politiques ou les spécialistes en analyses et décryptages. Très peu sur ces bénévoles et petites mains qui donnent dans la discrétion et l’humilité une autre leçon de civisme et d’altruisme. Ces héros portent un nom : les « Brassards verts d’Alger ». Kawthar, Mathieu, Amina, Badra et une bonne vingtaine d’autres en font partie. Leur mission ? Ramasser les détritus, secourir les manifestants, donner les premiers soins, réconforter les marcheurs en détresse et rendre la ville aussi propre que possible après le passage des militants.
Nous ne sommes pas des pompiers, le SAMU ou des médecins et nous n’avons pas vocation à les remplacer
« Insurrection écolo-citoyenne »
À l’origine des Brassards verts, Badra Hafiane, journaliste et réalisatrice. L’idée a germé dans sa tête le vendredi 22 février, date de la première manifestation. Devant elle, un jeune homme avait reçu une balle en caoutchouc tirée par un policier, afin de repousser des manifestants qui tentaient de forcer un barrage de police bloquant l’accès au siège de la présidence, sur les hauteurs d’Alger. « Sous le choc, avec un gros hématome sur le visage, le jeune homme était livré à lui-même, raconte Badra. On aurait pu soulager sa douleur, l’évacuer à l’hôpital ou l’aider psychologiquement si on avait mis en place un dispositif citoyen pour accompagner les manifestants. Nous ne sommes pas des pompiers, le SAMU ou des médecins et nous n’avons pas vocation à les remplacer. Il y a plusieurs façons de participer à cette insurrection pacifique. La nôtre est écolo-citoyenne. »
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Fonctionnant en binômes, le collectif des Brassards verts – qui compte des étudiants, des artistes, des médecins ou encore des informaticiens – quadrille le parcours de la manifestation depuis le quartier du Sacré Cœur, en haut de la ville, jusqu’à la Grande Poste, une autre place forte des rassemblements. « Les plus gros dégâts surviennent lors des bousculades à la fin de la marche ou lorsque la foule très compacte avance difficilement, explique Badra. Nous avons enregistré des crises de tétanie, des cas de spasmophilie, des chutes de tension, des paralysées physiques ou encore des cas d’ochlophobie, des personnes qui prennent subitement peur de la grande foule. Les Algériens, surtout la nouvelle génération, n’ont jamais vécu des manifestants d’une telle ampleur qui induisent des comportements nouveaux sur lesquels nous sommes amenés à réfléchir. »
Nous contribuons avec des mots, une bouteille d’eau et un sac en plastique
Productrice de cinéma, Amina Haddad forme un duo avec Badra. Devant la Brasserie des facultés, restaurant jadis très couru d’Alger, Amina ramasse des bouteilles vides jusqu’à ce qu’elle assiste à une scène durant laquelle un adulte fait la leçon à des adolescents dont le comportement frôle la brutalité. « Regardez cette dame, leur dit-il en pointant du doigt Amina. Pendant que vous faites les kékés, elle se rend utile en nettoyant la rue. » De quoi rendre fière Amina, réjouie que des gens montrent désormais les Brassards verts comme des exemples. « Ils nous regardent avec une infinie tendresse et une grande bienveillance. Nous n’avons pas la prétention de nettoyer Alger ou de faire la morale. On ne se contente pas d’arpenter la rue avec un sac noir. Nous en distribuons aussi aux manifestants pour les inciter à adopter de nouveaux comportements à l’égard de la cité et de l’environnement. Nous contribuons avec des mots, une bouteille d’eau et un sac en plastique à une extraordinaire aventure politique mais aussi humaine et collective. »
Il faut que notre pays soit propre au sens propre et figuré
Opération « grand nettoyage »
Mohamed, 26 ans, étudiant à Blida, à l’ouest d’Alger, ne fait pas partie des Brassards verts. Il n’est pas moins bénévole pour nettoyer. Sur la place Audin, drapeau algérien ceint autour de la tête, il passe d’un trottoir à un autre pour récupérer ce que les marcheurs jettent par terre. Mohamed participe à sa quatrième manifestation contre le cinquième mandat et pour la fin du système. Entre un aller-retour d’un trottoir à un autre, il crie, chante et danse.
« Il faut que notre pays soit propre au sens propre et figuré, s’esclaffe le jeune homme. On veut le débarrasser de ceux qui le polluent et nous polluent la vie. » Mohamed souhaite que la grande manifestation qui a drainé ce vendredi plusieurs milliers de personnes aux quatre coins d’Alger soit la dernière. « La prochaine fois, nous sortirons pour fêter le départ du régime, s’enthousiasme-t-il. Nos aînés ont eu leur indépendance, nous sommes en train de recouvrer la nôtre. »
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Omar, Djamel et Houssem, tous étudiants à Blida, ont choisi le secteur de la Grande Poste pour l’opération « grand nettoyage ». Épuisés par une journée de marche, ils affichent toutefois un sourire radieux, à l’instar de ces foules gigantesques qui se dispersent au crépuscule avec le sentiment d’avoir vécu une journée historique. « Nous voulons donner une meilleure image de notre pays, précise Djamel. Nous ne voulons pas voir des images de casses, de violences ou de dégradations comme avec les « Gilets jaunes » en France. Nous nettoyons la ville avant de nettoyer le pays des incompétents et corrompus. »
Le vert, c’est l’écologie, c’est l’Algérie !
Muni de gants verts, un drapeau algérien autour du cou, habillé, lui, d’un gilet jaune, Rachid est également bénévole. Devant l’Université d’Alger, l’homme âgé de 56 ans fait le guet avec son sac en plastique pour ramasser les bouteilles vides. « C’est bien de manifester, mais c’est mieux de laisser la ville propre, observe-t-il. Nous donnons une leçon non seulement au pouvoir, mais aussi au monde entier. »
Que deviendront les Brassards verts quand les Algériens cesseront de sortir dans les rues ? « Il faut réfléchir à une autre action citoyenne durable, répond Badra. Le concept des « Brassard verts » est à prendre partout dans le pays. Le vert, c’est l’écologie, c’est l’Algérie ! »
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie
Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.
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