Feuilles d’Abidjan

La presse, abondante, turbulente et pas toujours exempte de reproches, a jusqu’ici pris part au conflit. Avec la campagne pour la présidentielle qui se profile à l’horizon, contribuera-t-elle au retour du débat démocratique ?

Publié le 20 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Les journalistes ivoiriens et leurs employeurs ont signé, le 15 décembre près d’Abidjan, une nouvelle convention collective qui harmonise la grille de salaires des premiers et fait bénéficier aux seconds de mesures de soutien à leurs entreprises (voir encadré). Cet accord intervient après une visite fin novembre, du ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané, dans les rédactions d’Abidjan, pour « s’imprégner des réalités qu’elles vivent » et après la tenue, du 3 au 8 décembre, des assises de l’Union internationale de la presse francophone (UPF). Quelque deux cents journalistes venus du monde entier ont débattu avec leurs confrères locaux du rôle des médias dans la consolidation de la démocratie et de la paix. Et « marqué la réconciliation des journalistes ivoiriens avec le métier qu’ils exercent », selon Georges Gros, secrétaire général international de l’UPF. En clair, l’ensemble des médias ont rompu avec leurs vieux démons : partialité, inféodation aux idéologies politiques, violence
Au début de la crise, en septembre 2002, Diégou Bailly, journaliste, ancien patron de presse, président du Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA), reconnaissait : « Nous avons notre part de responsabilité dans ce qui arrive, par nos articles partisans, incendiaires et diviseurs. Plutôt que de contribuer au rassemblement d’une Côte d’Ivoire à la cohésion fragilisée depuis dix ans, nous avons servi de porte-voix aux politiciens et tracé les sillons de la guerre. »
L’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie (Olped, créé en 1996), constatait que « lorsque le climat social est délétère, la presse devient virulente » : incitation à la violence, à la haine tribale, diffamation En 2003, l’organe de régulation a comptabilisé 768 atteintes à la déontologie, pour la plupart des injures proférées par plus de cent cinquante journalistes.
« Dans les rues d’Abidjan, les passants se contentent de lire les unes de journaux exposés dans de petites échoppes sans nécessairement acheter les quotidiens, remarque Georges Neyrac, officier de presse de l’armée française, dans son ouvrage Ivoire nue*. Le scandale et la provocation des gros titres ne sont donc pas des arguments de vente. Ce que veulent les quotidiens, c’est donner une information brute qui amène le lecteur à prendre immédiatement parti pour ou contre, à se faire d’emblée une opinion qui sera débattue lors de longues séances de palabres dans la cour de la maison. »

Manipulations tous azimuts
De fait, les médias se sont assez faits le relais des querelles politiques pour en devenir eux-mêmes les acteurs et s’identifier aux chapelles qui les lancent : Notre Voie, Le Temps, Le Courrier et une poignée de journaux satellites qui composent la presse « bleue » sont proches du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir depuis octobre 2000) ; Le Patriote et 24 heures du Rassemblement des Républicains (RDR, de l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara, opposition) ; Le Nouveau Réveil et Le Rebond, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de l’ancien président Henri Konan Bédié) ; Nord Sud et Le Front, des Forces Nouvelles (ex-rébellion de l’actuel chef du gouvernement Guillaume Soro).
Ainsi, en mars 2001, après les élections municipales, Le Patriote illustre sa une avec une carte de la Côte d’Ivoire coupée en deux, dans les limites qu’occuperont, dix-huit mois plus tard, les forces rebelles qui contrôlent le nord du pays. Simple représentation du nouveau découpage politique, se défend le quotidien. Révélateur des velléités sécessionnistes du RDR, accusent Notre Voie et les autres journaux pro-FPI.
Fin septembre 2002, la une de Notre Voie demande « Qui veut brûler la Côte d’Ivoire ? » et stigmatise la presse française, coupable de « manipuler l’information au profit des agresseurs ». L’année suivante, le correspondant de Radio France internationale (RFI) en Côte d’Ivoire, Jean Hélène, est abattu devant la Direction de la surveillance du territoire (DST), à Abidjan. La Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) entre également dans la danse. Et se fait l’écho du sentiment antifrançais qui gagne la rue.
Pour tenter de mettre fin à cette spirale, les différents accords négociés pour ramener la paix en Côte d’Ivoire ont chacun réservé un volet aux médias. Celui de Linas-Marcoussis (France), signé en janvier 2003, condamne « les incitations à la haine et à la xénophobie qui ont été propagées par certains médias ». Le dernier, conclu en mars 2007 à Ouagadougou, insiste sur le fait que « les parties s’interdisent toute propagande, notamment médiatique, tendant à nuire à l’esprit de la cohésion et de l’unité nationales ».
Dans les colonnes de Fraternité Matin (le premier quotidien ivoirien en termes de vente, entre avril et septembre 2007, devant Soir Info et Le Nouveau Réveil (voir infographie page suivante), comme dans celles de Notre Voie ou de Nord Sud, on célèbre « le retour à la paix véritable ». La radio et la télévision d’État diffusent des spots publicitaires appelant au pardon, réalisent des reportages dans les anciennes « zones assiégées », interviewent des chefs militaires rebelles et produisent des émissions de divertissement consacrées à la réconciliation
Pour nombre d’observateurs, c’est une éclaircie inespérée dans le climat sociopolitique ivoirien, une sorte de passage d’une presse de guerre à une presse de paix. « Association de malfaiteurs plutôt !, s’indigne un journaliste proche de l’ancien Premier ministre, Charles Konan Banny. Cette prétendue paix des braves n’est rien d’autre que le prolongement du deal » scellé au plan politique. »
De fait, cet engagement ne semble concerner que les journaux proches des signataires de l’accord de Ouaga. Pour Eddy Péhé, rédacteur en chef du Nouveau Réveil, « il y a des amalgames à ne pas faire. L’accord ne dit pas qu’il faut fermer les yeux sur les scandales qui secouent le pays (détournements de fonds dans la filière café-cacao, polémiques sur les fonds générés par le pétrole, ndlr). Derrière l’ancien rideau de fer (zone sous contrôle rebelle, ndlr), le pillage des ressources minières continue mais, au Sud comme au Nord, on ferme les yeux. »

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À l’heure de la réconciliation
Tout n’est donc pas si rose. Car « s’il y a une évolution dans la presse écrite, pour la RTI, on est loin du compte », fait remarquer l’opposant Alassane Ouattara. Déjà au temps où Guillaume Soro était ministre d’État chargé de la Communication, la bataille pour le contrôle de la radio et de la télévision faisait rage. L’affaire des déchets toxiques, en août 2006 – où le directeur de la télévision a été débarqué pour avoir laissé lire à l’antenne un communiqué du chef du gouvernement, son ministre de tutelle, différent des vues du camp présidentiel -, a démontré que la RTI reste tributaire des hommes au pouvoir. « Même en période de paix, les opposants n’y ont pas le droit de s’exprimer », estime-t-on dans l’entourage de l’ancien président, Henri Konan Bédié.
D’autres préfèrent attendre l’élection présidentielle prévue pour la fin de juin 2008, au plus tard, pour mesurer le chemin parcouru. Mais les plus pessimistes craignent déjà que la campagne ne ravive les anciennes querelles. Et que les différents hommes politiques ne se livrent de nouveau une âpre bataille par journaux interposés. Koné Yoro, secrétaire local de l’Union de la presse francophone, pense pourtant qu’il ne faut pas « perdre de vue l’essentiel et qu’il faut mettre à profit la tendance actuelle pour changer définitivement les pratiques des journalistes. Jouer les va-t-en-guerre, l’Histoire nous l’a appris, n’a jamais payé ».

*Ivoire nue, éd. Jacob-Duvernet, 2005.

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