Nicolas Pyrgos : « Les grandes fortunes africaines sont plus prudentes qu’on ne le pense »

Patron d’Émeraude Suisse Capital, Nicolas Pyrgos l’assure : ses clients africains sont très prudents dans la manière de placer leur argent. Il faut dire que leur terrain d’exercice est déjà assez risqué comme ça.

Publié le 27 août 2014 Lecture : 4 minutes.

À la tête de la société financière Émeraude Suisse Capital, Nicolas Pyrgos, 44 ans, gère quelque 150 millions d’euros pour le compte d’une soixantaine d’institutions et d’hommes d’affaires établis sur le continent, principalement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Fondée en 2012, sa société réalise des placements sur mesure, notamment dans des valeurs mobilières (actions, obligations), et a conclu des accords avec des établissements financiers en Suisse, en Andorre, à Dubaï, Londres, Honk Kong ou Monaco.

Propos recueillis par Nicolas Teisserenc.

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Jeune Afrique : Qui sont vos clients ?

Nicolas Pyrgos : Ce sont en grande majorité des entrepreneurs, il n’y a pas de rentiers en Afrique. Il peut y avoir des héritiers, mais dans ce cas ils développent leur propre business.

Nous avons trois grands types de clients : les autodidactes, âgés de 60 ans et plus, qui ont une grande expérience du commerce et un sens des affaires hors du commun ; ceux, plus jeunes, qui ont fait des études dans les meilleures universités ou écoles de commerce en Afrique, en Europe ou aux États-Unis et qui reviennent au pays pour se lancer dans les affaires, souvent avec comme point de départ un peu d’argent familial ; et les diasporas étrangères, les Indo-Pakistanais, les Libanais, les Européens, les Moyen-Orientaux, généralement installés depuis des générations.

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Enfin, on trouve aussi des aventuriers, souvent venus d’Europe et qui ont fait fortune durant les dernières décennies.

Vous ne mentionnez pas les Chinois…

Les Chinois sont encore organisés comme devaient l’être les autres diasporas il y a quatre générations. Ils n’emploient quasiment pas de personnel local et font du business en famille. Tout le profit est ensuite envoyé en Chine.

Je pense qu’il faudra attendre la génération suivante pour voir la diaspora chinoise suivre le même chemin que les autres.

« Family office », mode d’emploi

C’est bien d’avoir amassé une fortune, encore faut-il la conserver. C’est la raison pour laquelle les plus riches personnalités se dotent d’un family office, littéralement un « bureau familial ». Soit une société consacrée à la gestion de leur patrimoine. « De la même manière que les riches diversifient leurs business, ils diversifient leurs réserves, ce qui implique d’avoir plusieurs comptes bancaires personnels, des trusts pour la succession patrimoniale ou des comptes d’entreprise, explique le gérant de l’une de ces structures. Il faut que quelqu’un garde un oeil sur l’ensemble de ces avoirs, comme le ferait un comptable pour une société. »

Autrement dit, le gérant du family office a tout pouvoir pour gérer la fortune qui lui est confiée, avec un niveau d’implication plus ou moins grand de son employeur. Mais ces bureaux ne remplissent pas que des fonctions financières. Les nantis vont s’appuyer sur eux pour superviser, par exemple, la construction d’un yacht ou la rénovation d’un bien immobilier. Les employés des family offices peuvent même s’occuper de louer un chauffeur à l’aéroport, de réserver une chambre d’hôtel, d’aller chercher 50 000 euros en cash ou de négocier chez un joaillier l’achat d’un bijou.

Hors Afrique du Sud, ce système est encore peu répandu sur le continent. « Les Africains fortunés préfèrent encore souvent fonctionner avec un ou deux banquiers qui ont su gagner leur confiance. Mais l’Afrique n’échappera pas à la tendance des family offices, qui s’est vérifiée de la Russie au Moyen-Orient », espère notre gestionnaire de fortune. Parmi ceux qui ont déjà franchi le pas, le milliardaire nigérian Aliko Dangote, bien sûr.

Que recherchent les grandes fortunes africaines en plaçant leur argent à l’étranger, en Suisse par exemple ?

Quels que soient le niveau d’étude, l’âge ou l’origine, 90 % des gens sont conservateurs dans la manière de gérer leur argent. Les Africains vivent sur des marchés compliqués, prennent de gros risques dans leurs affaires et réalisent souvent des marges importantes avec leurs entreprises. L’argent qu’ils mettent de côté, c’est le bas de laine en cas de coup dur qui peu aussi servir de garantie dans leurs affaires commerciales. Très peu sont intéressés par la finance, et ils ne gèrent que rarement eux-mêmes leurs investissements.

Ils sont beaucoup plus prudents qu’on ne le pense ! En Suisse, à Monaco, à Hong Kong, à Londres ou à Singapour, il y a un contexte géopolitique plus apaisé qui donne confiance. Les monnaies sont stables, de même que la situation politique. Il y a aussi tout ce qui va autour, notamment l’infrastructure touristique haut de gamme. Si les pays francophones travaillent beaucoup avec la Suisse et Monaco, les Ghanéens et les Nigérians s’orientent davantage vers le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, vers la Suisse.

Et pourquoi pas en Afrique ?

Il est difficile en Afrique d’avoir un compte en devises. Et pour la zone franc CFA, la dévaluation qui a eu lieu il y a vingt ans a laissé des traces.

Autre problème : en matière de taille de bilan, les banques africaines ne sont pas comparables aux banques internationales. Enfin, les frais bancaires peuvent être cinq fois plus élevés en Afrique qu’à l’international.

Les Africains […] sont plus prudents qu’on ne le pense !

Où investissent-ils ?

Nos clients de la zone franc CFA choisissent à 99 % l’euro comme base de monnaie d’investissement. Et à 90 %, ils favorisent des stratégies prudentes. Plus de 75 % de leurs placements concernent des obligations, des sicav d’obligations ou des produits à très peu de volatilité et à court terme, trois à cinq ans maximum.

Pour ceux qui viennent des économies anglophones, c’est un mélange de dollars américains et de livres britanniques. Pour les ex-colonies belges, c’est plutôt le dollar, un peu moins l’euro. L’erreur que font la plupart des banques c’est de vendre des placements africains à des Africains. En réalité, ils n’en veulent pas. C’est un double risque pour eux. N’oubliez pas qu’ils ont déjà leur entreprise en Afrique !

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