[Chronique] L’économie ne peut être qu’une science « triste »
Il convient de jauger et d’arbitrer toutes les décisions de politique économique à l’aune de leurs conséquences réelles, douloureuses parfois, pour les entreprises et les ménages.
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Joël Té-Léssia Assoko
Joël Té-Léssia Assoko est journaliste spécialisé en économie et finance à Jeune Afrique.
Publié le 29 mars 2019 Lecture : 2 minutes.
« Si vous refusez de vendre votre nouveau-né parce que votre enfant vaudra plus cher sur le marché plus tard… vous êtes probablement un économiste. » Cet aphorisme de l’Américain Yoram Bauman, autoproclamé « premier économiste stand-upper de l’Histoire », contient une amère pointe de vérité sur cette « science triste » qui raisonne en termes d’« arbitrage », de « coût d’opportunité ».
Tous les « y a qu’à-faut qu’on » ne changent rien au fait qu’il y a, sinon des lois, du moins certains impondérables dans la vie économique. La Banque centrale de Tunisie a durci récemment sa politique monétaire pour combattre l’inflation, en grande partie parce que le gouvernement a continué d’augmenter les salaires des fonctionnaires, encourageant la hausse des prix.
Le Nigeria, qui a opté pour une dépréciation contrôlée de sa monnaie, doit composer avec une croissance du PIB anticipée à 2 % cette année. L’Égypte, qui, confrontée à une crise similaire et malgré les oukases des experts du café du commerce, a drastiquement déprécié sa monnaie en 2016, devrait connaître une croissance réelle proche de 6 % en 2019-2020.
Toutes ces décisions de politique économique ont leurs partisans et leurs contempteurs, mais au moins doit-on s’accorder sur le fait qu’elles ont des conséquences réelles, douloureuses parfois, pour les entreprises et les ménages, décisions qu’il convient de jauger, d’arbitrer (au sens propre). À suivre l’interminable « débat » sur la sortie du franc CFA, on peut être stupéfait par la faible prise en considération de cet aspect, entre odes à la souveraineté et fake news sur « l’impôt colonial ».
Idem, la célébration des vertus attendues de la Zone de libre-échange continentale (Zlec) néglige parfois ses modalités d’application, qui détermineront les gagnants et les perdants. Selon une étude d’Afreximbank, une libéralisation trop poussée des échanges entraînerait à moyen terme une chute du PIB du Bénin (– 7 %). Tandis qu’une ouverture plus modérée bénéficierait au pays (entre +0,18 % et +3,19 % de hausse).
>>> À LIRE – Zone de libre-échange continentale africaine : quels gagnants et quels perdants ?
Ces « technicalités » ont-elles été clairement expliquées aux populations et discutées par leurs représentants ? De même, beaucoup d’encre a coulé durant la récente campagne présidentielle au Sénégal sur les milliards promis par l’exploitation du pétrole et du gaz.
Se confronter aux dangers réels et présents
Au stade actuel des découvertes, les exportations d’hydrocarbures devraient représenter environ un quart des ventes totales du pays sur la période 2022-2043, selon une étude du FMI parue en janvier, quand pour les autres exportateurs africains de ressources extractives ce ratio est de 80 % en moyenne. Les revenus de ce secteur sont anticipés à moins de 10 % de ceux attendus du reste de l’économie sur cette période, contre 13 % aujourd’hui pour l’or au Mali et 22 % pour le fer mauritanien.
Ainsi ramenée à son importance réelle par rapport au tissu économique du pays de la Teranga, la question des hydrocarbures paraît sinon marginale, du moins secondaire, par rapport à l’agriculture, menacée par le vieillissement de l’appareil productif et par le changement climatique. L’opportunité gâchée à ergoter sur des gains hypothétiques plutôt que de se confronter aux dangers réels et présents a elle aussi un coût dont les populations devront, comme toujours, s’acquitter. Tôt ou tard.
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