Une journée avec Youssou Ndour

Chez lui, à Dakar, le chanteur parle en toute simplicité de sa femme, du football, de ses affaires et de sa passion pour… le thiof.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Fann Résidence, quartier huppé de Dakar, s’est laissé aller à cette douce torpeur qu’impose la chaleur de plomb étouffant la capitale sénégalaise en cet après-midi du mois d’août. Nichée dans une allée des plus calme, soustraite au regard des curieux par un gros portail gris qu’encadrent de hauts murs blancs, se cache la somptueuse maison de LA star nationale. Youssou Ndour est là, dans la cour, entouré de ses bolides, la poignée de main courtoise et le sourire taquin.
Pas question de « jouer » les vedettes internationales. Nous sommes chez lui et, en bon Sénégalais, il cultive la téranga, cette hospitalité légendaire devenue le label de tout un pays. Fauteuils en cuir, tables en verre et tableaux accrochés au mur, le salon de l’artiste est à son image : chaleureux. Dans un coin de la pièce, sur l’écran géant d’une télévision, défilent les images d’un match de football, son autre grande passion. Youssou Ndour, qui avait chanté l’hymne officiel de la Coupe du monde 1998 avec la Belge Axelle Red, compte d’ailleurs dans le milieu d’aussi prestigieux amis qu’El Hadji Diouf, Ronaldo, Patrick Vieira, Robert Pires, George Weah ou Bernard Lama.
Naturellement pudique, Youssou se veut discret sur sa famille, sur cette Mamie Camara qui lui a dit « oui » en 1990 et sur leurs quatre enfants. « Mamie n’apparaît pas en public, et ne le souhaite pas. Elle a choisi l’homme, pas la star. » Le succès ? Le roi du mbalax l’évoque sans complexe : « C’est beau d’être aimé des gens. Et puis quand, par exemple, j’oublie mon permis de conduire, le policier ferme les yeux… Mais il y a un inconvénient : je ne peux plus aller nulle part. À Dakar, si je ne joue pas au Thiossane, ma discothèque, je navigue entre la maison et mon studio. »
Mais pour l’heure, il faut passer à table. Au menu : du mbaxalou biirou khar, un riz pâteux à la viande rouge et aux tripes de mouton. Chez les Ndour, comme dans toutes les familles sénégalaises, on mange autour du même bol. Aujourd’hui, Mady Dramé, son manager, s’est joint au maître de maison. Mamie ? Elle a préféré prendre congé. Entre deux verres d’eau au citron (« c’est bon pour la voix »), Youssou confie son amour du thiébou dieun (riz au poisson) national : « Quand j’étais enfant, j’assistais très souvent, au débarcadère de Soumbédioune, tout près de notre maison, à l’arrivée des pêcheurs. Ma passion pour le thiof (gros mérou) au milieu d’un bol de riz bien rouge remonte à cette époque. Encore que le lakh (bouillie de mil arrosée de lait caillé sucré) reste mon plat préféré. » Le repas s’achève avec des tranches d’ananas pour dessert et trois tasses d’ataya (thé sénégalais) en guise de digestif.
Alternant le wolof et le français, Youssou ponctue ses phrases de convaincants « you see », « man » ou « my boy » et d’éclats de rire, avant de se faire plus sérieux. Visiblement, l’homme est encore très affecté d’avoir été écarté par son associé, au début de l’année 2003, du groupe de presse Com 7, qu’il avait cofondé. La presse sénégalaise ne s’était pas montrée particulièrement tendre avec lui. Pour répliquer à ce qu’il qualifie de « hold-up », Youssou a lancé, le 1er septembre, Futur Médias, ensemble comprenant une radio (RFM), un quotidien (L’Observateur) et bientôt un magazine mensuel généraliste. Un investissement de 200 millions de F CFA (305 000 euros) qui a généré vingt-six emplois. Mais sa plus belle réponse à ses détracteurs est encore la chanson « Jeebaane » (« vilipender », en wolof), parue dans son avant-dernier album Cey You : « Ne perds pas ton temps à les écouter. Suis ton chemin. » S’il se montre à l’occasion prêt à en découdre, le chanteur se caractérise surtout par sa propension à accepter ce qui lui arrive avec fatalisme, se référant sans cesse à Dieu, dans ses textes comme dans la vie. Il a d’ailleurs sorti, à la mi-novembre, un album de huit titres, Sant Yallah (« grâce à Dieu ! »), entièrement dédié aux chefs religieux du pays.
Mais le talent du musicien ne saurait faire totalement oublier que Youssou Ndour est également un homme d’affaires, réputé froid et impitoyable dans les négociations. Le fils de la griotte Sokhna Mboup et du menuisier Elimane Ndour, né il y a quarante-quatre ans dans un quartier populaire de Dakar, manifesterait un goût prononcé pour l’argent. En juillet dernier, Cheikh Lô, relayé par d’autres chanteurs produits par la star, s’est répandu en critiques dans les journaux, affirmant qu’elle l’avait privé d’une partie de ses droits et avait bloqué sa progression internationale. Youssou en sourit presque, se disant « habitué aux accusations en tout genre » et préférant prendre ces attaques comme un revers naturel de sa position dominante.
De fait, il se dégage de lui ce calme caractéristique des hommes qui ont réussi. Peu disert sur sa fortune, il finit par lâcher, un brin gêné : « On peut dire que je suis milliardaire [en F CFA]. » Parti de rien, Youssou Ndour possède aujourd’hui un studio d’enregistrement de 1 million de dollars, une usine de duplication de cassettes, un label musical (Jololi), un club (Thiossane), un matériel de sonorisation dernier cri, un groupe de presse, des biens immobiliers à Dakar, Paris et Londres… En tout, cent quatre-vingts personnes dépendent de lui.
Le ton se veut plus enflammé si l’on se hasarde à évoquer les bons rapports qu’il entretient avec les politiques : « Ils disent que je suis de tel ou tel bord parce qu’ils sont possessifs et jaloux. Idrissa Seck est un ami de longue date, nous nous voyons moins depuis qu’il est aux affaires. Et mes rapports avec Abdou Diouf sont intacts. » Ses accointances supposées avec Pape Diop, le maire de Dakar ? « Il m’a rencontré pendant sa campagne pour me présenter son programme culturel. Et m’a proposé d’étendre Joko, mon projet d’insertion professionnelle de la jeunesse de Médina par Internet. Seul ce chantier commun nous lie. » Fin de la discussion. Ne sort plus de la bouche de notre hôte qu’une de ces belles mélodies qu’il siffle comme pour mieux la fixer dans l’espace avant de la coucher sur le papier.

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