Transformer le plomb en or

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Depuis son élection, en mars 2000, Abdoulaye Wade s’est illustré par ses nombreuses prises de position. Il en est une qui devrait retenir plus particulièrement l’attention des Sénégalais : sa volonté de rompre avec le mécanisme antédiluvien des aides et autres subventions reçues des pays développés. Son souhait, en somme, de refuser un certain héritage des institutions de Bretton Woods. De tirer un trait sur des habitudes infantilisantes entraînant avec elles leur lot de dettes, de dépendances et d’humiliation. Mais dire en substance aux populations que leur avenir dépend d’elles-mêmes ne suffit pas. Il faudra faire montre de plus de pédagogie.

La réalité semble pourtant donner raison au président sénégalais. Les bailleurs de fonds n’ont pas sorti le pays de l’ornière de la pauvreté, mais l’ont, en revanche, introduit avec un tapis rouge au sein du triste club des Pays les moins avancés (PMA). La classe politique semble mieux à même d’offrir de sages alternances plutôt qu’une vraie alternative, et se révèle incapable de faire face à la demande sociale de ces 100 000 jeunes arrivant chaque année sur le marché du travail. Les chefs spirituels ne donnent pas toujours de réponses aux difficultés quotidiennes du citoyen lambda, et doivent veiller à ne pas s’enfermer dans une certaine radicalité religieuse. Les Sénégalais de l’extérieur, s’ils continuent à envoyer des mandats, pourront de moins en moins tromper leurs compatriotes en faisant croire qu’on vit mieux en France ou aux États-Unis, en feignant de rapporter au pays de « l’eldorado en boîte ». Le Joola lui-même, le symbole ne peut pas être pris à la légère, ne transportera plus personne de Ziguinchor à Dakar. Bref, la population risque de ne pouvoir compter que sur elle-même.
Les Sénégalais doivent donc se faire violence. Se regarder en face pour éviter que d’autres n’écrivent l’Histoire à leur place. Accepter de ne plus tout attendre du chef, de ne plus tout espérer du cousin qui a réussi, de ne plus croire à une hypothétique manne de l’extérieur. Ils doivent se substituer, pourquoi pas, à un État impuissant à reprendre en main certains services publics. S’insurger contre la violence politique, l’impunité, les atteintes à la liberté de la presse, par des manifestations pacifiques, comme ils l’ont si bien prouvé le 6 novembre. S’appuyer encore plus que par le passé sur ce qui fait leur force : les solidarités traditionnelles, la combativité de la société civile et des réseaux associatifs, le goût d’entreprendre, l’étonnante mobilité géographique à l’international, la créativité de jeunes diplômés à la tête de petites entreprises locales pourvoyeuses d’emplois, l’exceptionnelle réactivité économique du secteur informel, une capacité toute senghorienne à pouvoir marier tradition et modernité, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, etc.

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Un peuple qui ne connaît ni forte manipulation des urnes, ni conflits ethniques, ni faillite intellectuelle ne devrait pas avoir de mal à y parvenir. En souvenir du fameux siggi (« relever la tête » en wolof) du professeur Cheikh Anta Diop. Et si après le laisser-aller général, l’incohérence des responsables et l’appât du gain qui ont conduit au naufrage du Joola, les Sénégalais avaient à nouveau besoin d’un sursaut ? Assumer leur responsabilité pleine et entière dans tous les naufrages d’hier, et enfin transformer le plomb en or.

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