Sida, tueur de rêves

Publié le 24 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Tobela, 34 ans, mince et souriante, est la première femme de sa famille diplômée du secondaire. Il y a deux ans, elle avait la tête dans les étoiles : enceinte de son second enfant, elle préparait son diplôme universitaire et, de ce fait, allait intégrer la classe moyenne.
Désormais, elle est une autre de ces veuves africaines, pauvre et mourante. Au coeur brisé, également, parce qu’elle ne pourra pas éviter à ces enfants un destin similaire au sien. Comme 30 millions d’Africains, elle est séropositive. Son histoire souligne combien le VIH en Afrique n’est pas seulement un virus. Il instaure un cercle vicieux liant sida, pauvreté et absence d’espoir.
Le monde de Tobela a commencé de s’effondrer quand son mari, Simon, un électricien, a été diagnostiqué séropositif. Son test de dépistage a révélé un résultat similaire. Apparemment, Simon l’a contaminée. Et elle-même a transmis le virus à Victor, son nouveau-né.
Son mari est mort l’an passé et elle est désormais trop affaiblie pour exercer un emploi. Elle survit avec la subvention de 22,5 dollars que lui alloue le gouvernement sud-africain chaque mois, officiellement pour élever les enfants. Ses journées sont consacrées à trouver une personne capable d’élever Victor lorsqu’elle sera morte. « Si je meurs la première, avant lui, alors ma mère pourra peut-être élever Victor », dit-elle, la voix emplie de sanglots.
Tobela est la victime africaine du sida typique : 58 % des séropositifs sont des femmes, et parmi les adolescents porteurs du virus, 75 % sont des jeunes filles. Cette situation est en grande partie due à une explosion de la prostitution entre jeunes filles et hommes plus âgés.
« Ce n’est pas seulement la promiscuité », explique Blanche Pitt, directrice du bureau sud-africain de la Fondation de recherche et de médecine africaine. « C’est la pauvreté, le désespoir. »
Quand les jeunes femmes sont infectées, il en est souvent de même pour leurs enfants. Une femme enceinte sur cinq en Afrique du Sud est porteuse du VIH, et, à l’échelle mondiale, 800 000 bébés sont contaminés chaque année par leur maman.
Tobela tente de parler calmement de sa mort et de celle de Victor. Mais, lorsque je lui parle de Thabang, sa fille de 14 ans, elle se décompose. « Ma fille m’a quittée, parce qu’elle voulait être libre, explique Tobela, en pleurant. Elle a une vie sexuelle très active ; elle passe son temps dans les bars et dans les chambres de passe. » Tobela lui a crié dessus, l’a même battue, mais rien n’y a fait. La jeune fille est partie vivre avec sa grand-mère. Elle a définitivement quitté cette seconde maison après que sa grand-mère l’eut également battue.
J’ai cherché Thabang dans toute la ville, et l’ai finalement trouvée dans la maison d’un membre de la famille. Elle est très jolie, avec un penchant pour le maquillage, elle parle bien et est intelligente. Je lui ai dit que sa mère la réprimandait simplement parce qu’elle l’aime. Thabang a commencé à pleurer. « Elle ne m’aime pas », a-t-elle répliqué violemment. « Si elle m’aimait, elle me parlerait au lieu de me battre. Elle ne dirait pas ces vilaines choses sur moi. Elle accepterait mes amis. » Thabang a insisté : quand ses amies couchent avec des hommes pour de l’argent ou des cadeaux, elle, elle ne le fait pas.
Pourquoi des filles qui ont vu les ravages du sida se suicideraient-elles par le sexe ? Une partie de la réponse est que la maladie sait parfaitement comment se perpétuer : elle dévaste d’abord les familles financièrement et émotionnellement, puis laissent les adultes incapables de s’occuper de leurs enfants, et finalement engendre un désespoir écrasant. Mort, pauvreté et absence d’espoir ont tellement submergé Tobela que je peux imaginer que cela incite une gamine paumée de 14 ans à se jeter dans les bras d’hommes plus âgés pour quelques sous.
Lorsque la mère et le frère d’une jeune fille sont en train de mourir, lorsque les rêves d’une famille s’effondrent comme une case de paille branlante, quand il n’y a pas assez d’argent pour payer les visites chez le médecin de Victor, elle ne sait plus pourquoi elle vit. Et ainsi le sida s’insère dans la nouvelle génération.

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