Quand les armes se tairont…

Un accord global de partage du pouvoir entre les Tutsis et les Hutus a été conclu le 15 novembre. Tout n’est pas réglé pour autant, mais l’horizon s’éclaircit.

Publié le 21 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Chants et applaudissements ont salué, dimanche 15 novembre, la signature par Domitien Ndayizeye, le président burundais, et Pierre Nkurunziza, le chef du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), le principal mouvement rebelle hutu, du « Protocole de Pretoria ». Cet accord global de partage du pouvoir a été entériné lors d’un minisommet tenu à Dar es-Salaam (Tanzanie), en présence du président ougandais Yoweri Museveni, du président en exercice de l’Union africaine, le Mozambicain Joaquim Chissano, et du vice-président sud-africain Jacob Zuma, médiateur dans la crise burundaise.
En dépit de l’absence d’Agathon Rwasa, commandant du Palipehutu-FNL (Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération), le dernier mouvement rebelle à n’avoir pas déposé les armes, le Burundi, après dix ans d’une guerre civile qui a fait près de trois cent mille morts, n’a sans doute jamais été aussi proche de la paix. Le point essentiel est que le pouvoir sera désormais équitablement réparti entre les deux principales ethnies, bien que leur poids démographique soit sensiblement différent : les Hutus représentent 85 % de la population, les Tutsis 14 % (et les Twas 1 %).
Il reste cependant de nombreux problèmes à régler, à commencer par le rassemblement, la démobilisation et le désarmement des rebelles. Cette tâche devrait être confiée à une force internationale de maintien de la paix que Jacob Zuma, mandaté par les participants au sommet de Dar es-Salaam, va demander au Conseil de sécurité des Nations unies de mettre en place. Les Casques bleus viendront prêter main forte à la Mission africaine au Burundi (MIAB). Cette opération, la plus importante jamais organisée par l’Union africaine, nécessitera un budget d’environ 226 millions d’euros sur deux ans (J.A./l’intelligent n° 2233). Les soldats sud-africains, éthiopiens et mozambicains déjà sur place (trois mille hommes, au total) contrôlent le gros des troupes des FDD (qui comptent dans leurs rangs de nombreux enfants-soldats) stationnées près de la frontière tanzanienne.
Le Protocole de Pretoria stipule que ces jeunes recrues seront rendues à la vie civile. Et que les soldats plus aguerris seront intégrés à l’armée régulière ou à la police. Dans tous les corps, l’équilibre ethnique (50 % de Hutus, 50 % de Tutsis) sera scrupuleusement respecté. Les ex-combattants des FDD occuperont 40 % des postes dans l’état-major des Forces armées burundaises (FAB) et 35 % des postes de direction dans la police et les services de renseignements. Rebelles ou loyalistes, tous les soldats bénéficieront de l’immunité, de même que les membres du gouvernement et des différentes institutions.
Ledit gouvernement devra être constitué avant le 24 novembre. Appelé à rester en place jusqu’à la fin de la période de transition, le 1er novembre 2004, il sera dirigé par le président Domitien Ndayizeye. Le CNDD-FDD y détiendra quatre portefeuilles, dont un ministère d’État sans attribution particulière qui devrait revenir à Pierre Nkurunziza. Par ailleurs, l’ex-mouvement rebelle se verra attribuer la deuxième vice-présidence, le secrétariat général adjoint de l’Assemblée nationale et 20 % des sièges de députés, qui, conformément à l’accord de paix et de réconciliation d’Arusha (août 2000), resteront en place jusqu’aux prochaines élections. Il détiendra enfin trois postes de gouverneur de province (sur quinze) et deux ambassades.
Reste le délicat problème du Sénat, auquel la Constitution de transition accorde un droit de veto sur les décisions de toutes les institutions de l’État, y compris la présidence. En l’état actuel des choses, le CNDD-FDD refuse d’y participer, mais ce refus ne bloque pas l’application des autres dispositions du Protocole de Pretoria.
Ndayizeye (qui, comme Nkurunziza, est hutu) tire fort bien, dans l’affaire, son épingle du jeu. Il conserve toute sa marge de manoeuvre puisque son nouveau ministre d’État n’a qu’un rôle consultatif. D’autre part, Jean Minani, le patron du Frodebu, son parti, conserve la présidence de l’Assemblée nationale et le ministère de l’Intérieur. Une rampe de lancement idéale pour la prochaine présidentielle. Bien sûr, il faudra aussi compter avec les candidats que ne manquera pas de présenter le CNDD-FDD. « Les hommes déployés sur le terrain s’efforceront de convaincre les Hutus de voter pour eux », commente un diplomate. D’où l’importance du cantonnement des combattants.
La tenue des élections locales, législatives et présidentielle sera naturellement essentielle pour l’avenir de la paix. Ndayizeye parviendra-t-il à organiser ces consultations dans les douze mois à venir ? L’accord avec le CNDD-FDD est, de ce point de vue, un atout précieux. Pourtant, le cessez-le-feu est loin d’être total, puisque le Palipehutu-FNL poursuit les combats. Au sommet de Dar es-Salaam, les participants ont donné trois mois à Agathon Rwasa pour cesser les hostilités. Or, en dépit de la faiblesse de ses effectifs – entre 1 500 et 2 500 hommes -, les FNL n’ont cure de ces menaces et tiennent fermement leurs positions, situées principalement dans les collines au nord de Bujumbura. Régulièrement, des obus tombent à l’aveuglette sur la capitale, provoquant d’importants déplacements de population et perturbant le ravitaillement. Impossible, dans ces conditions, de garantir la tenue d’un quelconque scrutin.
Les Forces nationales de libération sont nées au Rwanda dans les années 1970. Après les massacres de 1972, elles se sont beaucoup développées dans les camps de réfugiés en Tanzanie, mais ont néanmoins connu des fortunes diverses. En 2001, l’arrivée à leur tête d’Agathon Rwasa leur a donné un nouveau souffle. Elles tirent une partie de leurs ressources financières des « cotisations » prélevées sur la population locale. Par ailleurs, elles reçoivent un soutien militaire des diverses rébellions à dominante hutue présentes dans l’est de la République démocratique du Congo. Les irrédentistes burundais leur servent ainsi à entretenir l’instabilité à la frontière du Rwanda.
Les FNL ne croient pas une seconde à un partage du pouvoir entre Tutsis et Hutus. « De la poudre aux yeux », tranchent-ils. Selon eux, les premiers ne renonceront jamais à leur position dominante dans l’armée, pour la simple raison qu’ils redoutent des représailles après le génocide qui, en 1972, fit deux cent mille victimes hutues. « Ce sont les Tutsis qui nous ont tués, c’est avec eux que nous devons négocier », martèle Pasteur Habimana, le porte-parole des FNL. Les rebelles s’efforcent notamment d’entrer en contact avec la hiérarchie militaire. On peut s’en étonner, dans la mesure où ils avaient obstinément refusé de traiter avec le président (tutsi) Pierre Buyoya, entre novembre 2001 et mai 2003. Celui-ci était pourtant chef des armées…
Tous les acteurs politiques burundais comptent aujourd’hui sur la communauté internationale pour convaincre les FNL de mettre fin aux hostilités. La conférence internationale sur la paix, la sécurité et le développement de la région des Grands Lacs, qui se tiendra en juin 2004, devrait accentuer l’isolement de ces derniers. Les présidents de la RDC, du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda, du Kenya et de la Tanzanie ayant accepté de travailler à la mise en place de l’instauration d’une paix durable dans toute la sous-région, les FNL risquent d’avoir de plus en plus de mal à se procurer des armes et des munitions.

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