Quand les États-Unis changent leur fusil d’épaule

À nouvel ennemi, nouvelle stratégie : depuis le 11 septembre 2001, un vaste redéploiement des forces américaines à l’étranger est en cours.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Les États-Unis s’efforcent d’adapter leur dispositif militaire aux profondes mutations dont le monde est le théâtre depuis la fin de la guerre froide. Désormais, la mission essentielle assignée à leurs forces armées n’est plus d’endiguer ou d’écraser un ennemi redoutable, sans doute, mais clairement identifié, mais de faire face à une menace invisible, sournoise et imprévisible : celle que constituent le terrorisme et la prolifération incontrôlée des armes de destruction massive (ADM). Au combat frontal a succédé une guérilla diffuse, à l’échelle mondiale.
Comment l’administration Bush a-t-elle entrepris (ou envisage-t- elle) de réorganiser ses forces pour faire face aux nouveaux défis « sécuritaires » ? À cette question essentielle, Kurt M. Campbell et Celeste Johnson Ward, deux chercheurs du Center for Strategic and International Studies (CSIS), à Washington, s’efforcent de répondre dans un article publié par la revue Foreign Affairs(*).
« Souplesse et flexibilité » sont les maîtres mots de la nouvelle doctrine stratégique. Concrètement, il s’agit de « diversifier les points d’accès » aux foyers de crise potentiels et de redéployer des troupes dans des pays qui n’ont ni la volonté ni, surtout, les moyens de s’opposer à Washington. Ce qui n’est d’ailleurs pas si simple : avant de retirer des troupes d’Allemagne, du Japon ou de Corée du Sud, l’administration Bush devra évaluer avec soin le coût humain, financier et diplomatique de l’opération.
Après 1945, les bases militaires dont l’implantation correspondait aux nécessités de la lutte contre les puissances de l’Axe (Allemagne, Japon, Italie) ont pour la plupart été transformées et intégrées au dispositif de containment (endiguement) de l’URSS. Au début des années 1990, après l’effondrement du bloc communiste, une partie des 200 000 hommes stationnés en Europe occidentale et en Asie ont été rapatriés, les autres contribuant à assurer la « stabilité régionale » et à façonner le « nouvel environnement sécuritaire international ». Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la stratégie a une nouvelle fois changé, comme l’expliquent Campbell et Johnson Ward :
« Commandant en chef des forces américaines en Europe, le général James Jones envisage de créer toute une série de minibases ne nécessitant que des effectifs réduits, mais capables, en cas de crise, d’accueillir dans un délai très court des forces beaucoup plus importantes. Elles seraient reliées à d’autres, plus vastes et pourvues d’infrastructures lourdes. Aux marges du dispositif, des bases dites « virtuelles » pourraient être mises en place grâce à l’obtention de droits d’accès au territoire de toute une série de pays et au prépositionnement, sur terre et sur mer, de quantités très importantes d’équipements. »
En Corée, Washington et Séoul se sont mis d’accord : les troupes américaines seront retirées de la zone démilitarisée et redéployées dans le sud du pays, où des équipements seront prépositionnés de manière à accueillir rapidement des renforts, en cas de conflit avec Pyongyang. Au Japon, les États-Unis conserveront la majorité de leurs bases aériennes et navales, mais envisagent de retirer une partie des marines stationnés à Okinawa. Parallèlement, la présence aérienne et navale des États-Unis en Asie sera renforcée par le biais de divers accords de coopération militaire avec des pays comme les Philippines, la Malaisie ou Singapour. Ce redéploiement serait facilité par la présence de nombreux bombardiers et sous-marins dans les îles de Guam et de Diego Garcia.
En Europe occidentale, les changements seront sans doute plus radicaux. La première division blindée de l’US Army pourrait ainsi ne pas regagner son cantonnement en Allemagne après son départ d’Irak. D’autres unités pourraient être redéployées plus à l’Est, en Pologne par exemple. La Bulgarie et la Roumanie pourraient quant à elles mettre à la disposition des forces américaines des installations portuaires et aéroportuaires sur la mer Noire – à proximité de ces foyers d’instabilité que sont le Caucase, l’Asie centrale et le Moyen-Orient.
Les compétences du commandement américain en Europe s’étendent à l’Afrique, où, là aussi, des bouleversements sont en cours. Depuis plusieurs mois, 1 800 soldats américains sont stationnés dans une ancienne base militaire française à Djibouti, où ils assument la responsabilité de la lutte antiterroriste dans la Corne. Le Pentagone est à la recherche d’un arrangement du même ordre en Afrique de l’Ouest. Dakar et Accra sont les possibilités les plus fréquemment évoquées.
Par ailleurs, les États-Unis ont achevé le retrait de leurs forces d’Arabie saoudite, où ne se trouvent plus qu’une poignée de conseillers militaires. Le commandement opérationnel pour la région du Golfe a été transféré au Qatar. En Asie centrale, les bases dont les Américains avaient obtenu l’usage lors du déclenchement de l’intervention en Afghanistan pourraient se révéler très utiles, à l’avenir, pour lutter contre le terrorisme et, pourquoi pas, contrarier la montée en puissance de la Chine.
Déliquescence de l’État, radicalisme islamiste et trafic de drogue : tels sont, selon le Pentagone, les trois principaux facteurs d’insécurité. Sur la carte du monde, les pays victimes de l’un ou l’autre de ces fléaux forment un « arc d’instabilité » allant de l’Amérique du Sud à l’Asie du Sud-Est, en passant par la majeure partie de l’Afrique, les Balkans, le Caucase, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Le contrôle d’une zone aussi étendue par des moyens classiques nécessitant des effectifs énormes dont elle ne dispose pas, l’hyperpuissance américaine a choisi de privilégier la mobilité et la rapidité de réaction. La structure qu’elle s’apprête à mettre en place doit lui permettre de frapper n’importe où. Vite et fort.
Ces bouleversements stratégiques ont évidemment des conséquences politiques. La sauvegarde de la « stabilité régionale » – ce credo de l’ère Clinton – n’est plus vraiment d’actualité. Désormais, les forces armées à l’étranger sont davantage conçues comme « un instrument de changement politique ». On se croirait revenu un siècle en arrière !

* New Battle Stations ? par Kurt M. Campbell et Celeste Johnson Ward, Foreign Affairs, volume 82, n° 5 (septembre-octobre 2003).

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