Pour qui votent les Algériens ?

Une enquête place Abdelaziz Bouteflika largement en tête dans la course à la présidentielle. Ses adversaires ont cinq mois pour renverser la vapeur.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

L’Algérie se prépare à une échéance décisive. Dans moins de cinq mois (avril 2004), les électeurs seront convoqués pour élire leur président. La campagne bat son plein, sur fond de tensions entre les partisans du président Abdelaziz Bouteflika et ceux d’Ali Benflis, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) et par ailleurs ancien Premier ministre. Les supputations vont bon train, les rumeurs les plus folles fleurissent. La dernière en date : la pseudo-démission de Larbi Belkheir, directeur de cabinet de Boutef, qui aurait lâché le président… Dans les salons algérois, on se plaît à extrapoler, à imaginer qui sera le futur chef de l’État. Pour les uns, il ne fait aucun doute que l’actuel locataire du palais d’el-Mouradia rempilera et sera réélu haut la main. Pour les autres, Benflis fait figure de favori. À moins qu’un troisième larron ne s’immisce dans ce combat des chefs et ne crée la surprise.
L’exercice consistant à sonder les Algériens sur leurs intentions de vote et sur leur état d’esprit revêt donc une importance particulière. Et, surtout, fournit de précieux renseignements sur l’idée qu’ils se font de la situation politique, économique et sociale de leur pays. La société d’études et de conseil International Media & Market Research (Immar), basée à Paris, a réalisé, entre le 18 et le 30 septembre, une enquête portant sur cette échéance tant attendue. D’Alger à Laghouat, en passant par Médéa, Tlemcen, Annaba, Constantine ou Tizi-Ouzou, les sondeurs ont recueilli l’avis de 1 390 personnes représentatives de la population algérienne âgée de 18 ans et plus.
Principal enseignement de l’enquête : le relatif désintérêt des Algériens pour la politique. 35 % des sondés (avec une pointe à 42 % chez les femmes) ne sont pas au courant de la tenue d’une élection présidentielle ! Et parmi ceux qui en ont connaissance, 60 % se déclarent peu ou pas du tout intéressés. Un désintérêt croissant puisqu’en février dernier, d’après une étude réalisée par la même société, ils n’étaient que 50 % dans un tel état d’esprit. L’absence de réel débat, l’impression d’une campagne « au ras des pâquerettes », les luttes intestines au sein du FLN peuvent expliquer cette désaffection. « À quoi bon voter, cela ne changera rien », semblent dire les Algériens. Par leur abstention, ils expriment un double scepticisme. Soit ils considèrent que les élections seront truquées, soit ils doutent de l’impact de leur vote sur leur vie quotidienne. Dans ce dernier cas de figure, ils semblent dire : « Bouteflika, Benflis ou un autre, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. » Le pouvoir, quel qu’il soit, contre le peuple, en quelque sorte…
Résultat : seuls 42 % des Algériens sont certains d’aller voter en avril 2004. Fait intéressant, les femmes semblent plus motivées que les hommes (44 % contre 40 %). Le spectre d’une forte abstention menace. Les plus motivés se rendront dans l’isoloir. Il y a fort à parier que c’est le courant nationaliste (FLN, mais aussi Rassemblement national démocratique d’Ahmed Ouyahia) qui pâtira de cette situation. La mobilisation des électeurs « islamistes », elle, ne fait aucun doute.
Autre intérêt de l’enquête, l’éclairage sur la perception qu’ont les Algériens des principaux leaders – et éventuels candidats à la magistrature suprême. Le plus apte à exercer la fonction de président de la République ? Bouteflika, loin devant tous les autres, avec 31,8 % des opinions. Fait marquant, Boutef fait un meilleur score chez les femmes (39,5 %) que chez les hommes (24,3 %). Les sondés distinguent deux aspects du bilan présidentiel. Ils reconnaissent en premier lieu, à une écrasante majorité, l’effet indéniable de la lutte contre le terrorisme (82,5 %) et l’amélioration de l’image de leur pays à l’étranger (82 %). C’est un homme d’expérience (81,4 %), qui comprend les préoccupations des Algériens (64,9 %) et se montre proche du peuple (62,2 %).
Points faibles de Bouteflika : moins de un sondé sur deux met à son actif le respect des promesses faites et la bonne gestion des réformes économiques. 58 % pensent également qu’il ne se situe pas suffisamment au-dessus des rivalités partisanes. La crise au sein du FLN explique cette critique. Enfin, le volet social du bilan présidentiel reste mitigé aux yeux du panel. Ils sont plus de 50 % à déplorer le manque d’efficacité des mesures visant l’amélioration de leur vie quotidienne (voir encadré) : inflation, pauvreté, inégalités, corruption, emploi, etc. Mais son image demeure largement positive, en dépit des attaques répétées de la presse nationale.
Les autres candidats à la présidentielle ne jouissent pas de la même aura. Loin s’en faut. Aucun des candidats cités n’atteint les 50 % d’opinions favorables sur les critères énoncés plus haut (proximité avec le peuple, intégrité, promesses tenues, gestion des réformes, etc.). Trois sortent du lot : Ali Benflis, Abdallah Djaballah (MRN-Islah, islamiste) et Louisa Hanoune (Parti des travailleurs). Pour 19,7 % des personnes interrogées, le secrétaire général du FLN est le plus apte à diriger le pays. Il recueille douze points de moins que le chef de l’État. Considéré par les sondés comme un homme d’expérience, respecté à l’étranger et capable de bien représenter l’Algérie sur la scène internationale, il a du mal à se distinguer de ses concurrents directs sur tous les autres critères. Comme Bouteflika, il est jugé insuffisamment au-dessus des querelles partisanes. Le FLN, toujours…
Abdallah Djaballah (11 %) est le meilleur candidat, après Boutef, pour ce qui est de l’intégrité et de l’honnêteté. Louisa Hanoune (6 %) est, de loin, la « candidate du peuple ». Elle comprend les préoccupations des Algériens, est proche d’eux. Son attitude en faveur des droits de l’homme et son intégrité sont mises en avant. Il existe donc un double fossé : le premier entre Bouteflika et les autres candidats. Le second entre les « outsiders » eux-mêmes, puisque Benflis compte presque dix points d’avance sur Djaballah et quatorze sur Hanoune.
Enfin, une hypothèse : si l’élection avait lieu la semaine prochaine (première semaine d’octobre, NDLR), pour qui voteriez-vous ? Bouteflika arrive largement en tête (33,9 %). Son challenger, dans ce cas de figure, serait Benflis (18,5 %). Les suivants sont loin derrière. Djaballah recueille 9,3 % des suffrages, et Ahmed Taleb Ibrahimi, l’ancien chef de la diplomatie de Chadli Bendjedid, considéré comme l’autre champion des électeurs islamistes avec Djaballah, 5,8 %. On l’a déjà dit, l’actuel chef de l’État « cartonne » auprès de la gent féminine. Parmi tous les candidats cités, il est le seul à obtenir plus de votes chez les femmes (41,8 %) que chez les hommes (26 %), à l’exception de Louisa Hanoune, unique femme candidate à l’élection, et de Saïd Saadi.
Au niveau régional, Bouteflika s’appuie essentiellement sur l’Ouest, dont il est originaire, et le Sud. La candidature Benflis est plus « homogène », même si l’Est (Benflis est un Chaoui, originaire de Batna) est son point fort. À l’Est, donc, mais au Centre également, Benflis talonne le président sortant. Si l’ancien Premier ministre fait figure de challenger incontestable, il peine toutefois à incarner aux yeux des sondés le « renouveau » qu’il souhaite mettre en avant.
Dernière indication : ces intentions de votes semblent arrêtées, 75 % des personnes qui se sont prononcées se déclarant certaines de leur choix.
Cinq mois nous séparent de cette élection décisive pour l’Algérie. Pour Bouteflika, il s’agira de consolider sa confortable avance. Pour les autres, il faudra renverser la vapeur. Les Algériens, eux, attendent une véritable campagne, un débat et, surtout, un projet pour leur pays.

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