Pourquoi Raffarin n’est pas fini

« Enterré » par les médias, critiqué par son propre camp, en chute libre dans les sondages, le Premier ministre garde le cap comme si de rien n’était.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Paris murmure, Paris frémit, Paris trépigne. Tout Paris ? Disons les quelque mille personnes – politiciens, journalistes, membres des cabinets ministériels et de la haute administration – qui constituent ce que Raymond Barre, qualifiait, non sans une pointe de mépris, de « microcosme » et qu’on appelle la classe politico-médiatique. Pour elle, c’est dit, c’est fait : les jours du Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin sont comptés. Et de jurer : l’homme n’a plus aucune autorité sur son équipe gouvernementale et toutes ses tentatives pour reprendre les choses en main se soldent par un échec. Ces temps-ci, chacun colporte une anecdote, la confidence d’un ministre anonyme ou le jugement assassin d’un autre, qui prouveraient cette déliquescence. Ce serait au point qu’une rivalité sourde mais vive opposerait le premier des ministres à deux des poids lourds du gouvernement. Après le responsable des Affaires sociales, François Fillon, dont l’attitude a, de fait, agacé Raffarin en octobre, ce serait au tour de Nicolas Sarkozy de susciter l’irritation du Premier ministre. C’est que Sarkozy, le très populaire ministre de l’Intérieur, n’a jamais caché ses ambitions. Non qu’il vise l’Hôtel Matignon, siège du Premier ministre, mais il entend être candidat à l’Élysée le moment venu. D’où son souci de s’emparer de tout dossier sensible et sa volonté d’être omniprésent afin de conforter son image auprès des Français. Contrairement à ce qui se chuchote, Raffarin n’est pas choqué par cette stratégie. Lui et Sarkozy ne peuvent être rivaux, pense-t-il, puisque leurs objectifs – la poursuite de la gestion quotidienne pour l’un, l’Élysée pour l’autre – sont profondément différents. Il n’empêche : l’activisme sarkozien et son succès dans l’opinion, au détriment du Premier ministre, ont fini par embarrasser l’entourage raffarien. D’où quelques manifestations d’autorité de l’Hôtel Matignon qui ont été perçues comme autant de rebuffades par la Place Beauvau, où loge le ministère de l’Intérieur.
C’est dire que l’atmosphère est plutôt délétère ces temps-ci dans les allées du pouvoir. « Raffarin : la fin ? » a titré L’Express tandis qu’un autre hebdomadaire, Marianne, était encore plus catégorique en affichant sur sa première page : « La mise à mort de Raffarin ». Un épisode tragi-comique est encore venu s’ajouter à cette ambiance très particulière. C’est l’affaire de l’oreille du président ! Jacques Chirac rencontre en effet quelques difficultés d’audition. Un journal, L’Express toujours, a fait état, le premier, des soucis présidentiels et a affirmé que le chef de l’État avait désormais à sa disposition un discret appareil pour mieux entendre. Ce qui n’était qu’une rumeur a été soudainement confirmé par une ministre, Roselyne Bachelot, selon laquelle Chirac portait effectivement une prothèse auditive. À peine son opinion donnée qu’elle se faisait vigoureusement sermonner par l’Élysée. Et, quelques heures plus tard, le palais présidentiel a tenu à déclarer que Chirac « n’était pas appareillé même s’il a testé un appareil auditif pour son confort »…
L’anecdote est savoureuse. Sauf que l’ampleur qu’elle a prise à droite témoigne du désarroi d’hommes en proie aux doutes. De fait, Jean-Pierre Raffarin connaît de grandes difficultés. Sa popularité, sondage après sondage, est en chute, et s’il n’atteint pas les records de rejet d’un Alain Juppé ou de la socialiste Édith Cresson quand elle dirigeait un des gouvernements de François Mitterrand, il n’apparaît plus comme le représentant de « la France d’en bas » tel qu’il se présentait à ses débuts. Les conflits sociaux restent très limités. Mais ils sont catégoriels, vigoureux, et contestent des décisions du gouvernement. Ainsi la grogne des marchands de tabac, en colère après les augmentations du prix des cigarettes. Ainsi les mouvements dans les universités rejetant les changements envisagés. D’autres critiques tiennent principalement aux cafouillages du gouvernement, tels ceux apparus à l’occasion de la suppression d’un jour férié (le lundi de Pentecôte), et au manque de cohérence de ses initiatives – il baisse, par exemple, les impôts, mais il augmente d’autres taxes. Ces cafouillages et ces incohérences sont vigoureusement dénoncés, moins par la gauche, encore inaudible, que par un membre de la majorité, le centriste François Bayrou – « un vrai tracassin » convient le Premier ministre. Bref, le temps où Raffarin engrangeait des succès, comme la réforme des retraites ou la fin des grèves d’enseignants, paraît bien loin alors qu’il ne date que d’avant l’été.
Pourtant, l’homme, s’il admet la difficulté de la période, ne paraît pas véritablement inquiet. Sans doute est-ce son rôle que de cacher ses tourments. La fonction exige du sang-froid et la capacité de dissimuler ses troubles. Mais il pense sincèrement que la reprise économique, qu’il juge assurée, atténuera les mécontentements – surtout quand on se souvient que, depuis l’an 2000, la croissance française a été divisée par deux chaque année. Il sait que sa seule légitimité provient du président de la République, qui le soutient et qui, il est vrai, n’a guère de cartes de rechange. Il est convaincu encore que les prochaines élections ne seront pas la défaite annoncée par certains : si le résultat des régionales est peu prévisible, les cantonales devraient être un succès pour la droite, qui gagnerait au moins une centaine de cantons. Bref, à entendre l’entourage du Premier ministre, il n’y a pas péril en la demeure. En fait, Raffarin se rassure par trois analyses.
1. On ne peut gouverner la France en ne satisfaisant que son électorat, a fortiori lorsque celui-ci est étroit (Chirac n’a obtenu que 19 % des suffrages lors du premier tour de la présidentielle). D’autant que les Français n’acceptent pas les réformes si elles apparaissent obéir à un réflexe idéologique, entraînant une bataille camp contre camp. Alors, ils se braquent, ils se mobilisent, ils refusent les changements. Ces derniers doivent donc, en même temps, ne pas provoquer de crise et sembler évidents. Selon cette analyse, le non-paiement des jours de grève des enseignants n’a pas amené de troubles, car il paraît spontanément juste de ne pas être rétribué quand on refuse de travailler.
2. L’électeur choisit par lui-même et pour lui-même. Il n’a pas la même attirance que par le passé pour les engagements idéologiques. En revanche, il est sensible à la notion de rendez-vous. Aussi, de nos jours, un Premier ministre a un seul objectif politique : être au rendez-vous électoral décisif avec une politique suffisamment attirante pour qu’elle entraîne la réélection du président.
3. Le quinquennat a profondément changé la donne sans que le personnel politique s’en soit encore vraiment aperçu. La France est entrée dans un régime présidentiel sans en être, non plus, totalement consciente. Tout doit donc être organisé en fonction de cette nouvelle situation, la présidentialisation du régime. La croissance aidant, cela devrait être plus facile dès l’année prochaine puisqu’il n’y aura plus d’élection avant trois ans et qu’un remaniement apportera un nouveau souffle. Telles sont les certitudes de Raffarin. Elles ne sont pas pour autant des assurances.

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