Massacre d’au moins 154 Peuls au Mali : des sanctions qui peinent à convaincre
Alors que le petit village d’Ogossagou est encore sous le choc après le massacre de plus de 150 Peuls dans le centre du pays, le président malien a pris des sanctions en limogeant des hauts gradés de l’armée et annonçant la dissolution de la coalition des chasseurs Dan Na Ambassagou, des décisions qui ne semblent combler qu’à moitié les Maliens.
Contrairement aux larmes versées après l’attaque de Koulogon, qui avait coûté la vie à 37 civils début janvier, Ibrahim Boubacar Keïta a, cette fois-ci, réagi en affichant un visage ferme après le massacre d’au moins 154 civils peuls à Ogossagou le 23 mars, selon le dernier bilan officiel. Et ses sanctions n’ont pas tardé.
Réuni en Conseil des ministres extraordinaire, le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé des mesures fortes afin d’apaiser le climat social. La première, la dissolution du groupe de chasseurs dogons Dan Na Ambassagou, suspecté d’être à l’origine de l’attaque. La seconde, le limogeage de hauts gradés comme celui du chef d’état-major général des armées, le général M’Bemba Moussa Keïta, du chef d’état-major de l’armée de terre, le colonel major Abderrahmane Baby, et celui du directeur de la sécurité militaire.
Des décisions qui ne semblent pourtant satisfaire qu’à moitié les attentes des Maliens, qui espéraient toujours des sanctions depuis l’attaque de Dioura, qui a coûté la vie à une trentaine de personne le 17 mars dernier.
Des chefs réaffectés
« C’est un premier signal, mais qui manque à mon avis de puissance puisqu’au niveau politique personne n’a été inquiété, notamment au ministère de la Défense ou celui de la Sécurité intérieure », analyse Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako.
« Les trois hauts gradés limogés payent surtout pour la défaite de l’armée lors de l’attaque contre le camp de Dioura », souligne à Jeune Afrique une source militaire au sein de l’armée malienne, sous couvert d’anonymat. Leur limogeage n’est en effet pas synonyme de départ imminent de l’armée. Le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Souleymane Bamba, a par exemple rejoint le poste d’adjoint au chef d’état-major général des armées. Une « petite promotion », nuance la même source militaire, qui servirait davantage à Ibrahim Boubacar Keïta à « amener un nouveau souffle à l’armée de l’air, surtout que quatre de ses avions de combat, les Super Tucano, ne sont pas opérationnels depuis des mois à cause d’un défaut de la pièce qui sert à éjecter la chaise du pilote en cas de crash ».
« Le gouvernement ne peut pas dissoudre Dan Na Ambassagou »
Autre crainte : la dissolution de la milice Dan Na Ambassagou. Beaucoup doutent de sa dissolution effective, notamment compte tenu du contexte actuel dans le centre du Mali. « Prendre un décret est un acte, mais le faire appliquer dans le contexte actuel au centre du Mali est autre chose, ajoute le chercheur de l’ISS. Je doute que l’État ait les moyens de désarmer cette milice dans le Centre, surtout que les facteurs qui ont poussé à la création de cette milice sont toujours là ».
Dan Na Ambassagou, qui dément être à l’origine de l’attaque d’Ogossagou, reconnaissait jusque-là l’autorité de Bamako et contrairement aux autres groupes armés du Centre, et déploie le drapeau malien dans tous les villages où elle est présente. L’administration malienne avait même délivré un récépissé pour reconnaître ce groupe initialement créé pour défendre les Dogons. Mais au lieu de détenir des armes de chasse comme tous les Dozo, Dan Na Ambassagou détient, lui, des armes de guerre dont beaucoup d’acteurs s’interrogent sur leur provenance.
D’autant qu’au lendemain de l’annonce de sa dissolution, un climat de défiance s’est installé entre l’État malien et Dan Na Ambassagou dont le chef, Youssouf Toloba, ne compte pas respecter le décret du gouvernement malien. « Le gouvernement ne peut pas dissoudre Dan Na Ambassagou parce que ce n’est pas lui qui l’a créé, affirme à Jeune Afrique Youssouf Toloba. J’ai créé Dan Na Ambassagou parce qu’il y avait des attaques dans le pays dogon, où le gouvernement est absent. Le 27 septembre 2018, nous avons signé un cessez-le-feu et le gouvernement a promis qu’il allait sécuriser le pays dogon, mais jusque-là rien n’a été fait ».
Le chef de la milice dogon a ainsi invité le gouvernement et la communauté internationale, « s’ils veulent que cette guerre cesse », à tenir « un dialogue intercommunautaire durant lequel tous les porteurs d’armes dans le Centre pourront discuter. C’est la seule voie pour ramener la paix dans la région », dit-il.
Un apaisement de courte durée ?
« Cette milice a dépassé sa mission qui était celle de l’autodéfense. Normalement, elle devait uniquement défendre leurs villages et peut-être anticiper une attaque imminente, mais, au vu des derniers événements, elle attaque les villages et ne fait même pas la distinction entre combattants, femmes et enfants », explique le chercheur Ibrahim Maïga de l’ISS.
Reste que Dan Na Ambassagou n’est pas le seul groupe qualifié de pro-Bamako et que sa dissolution, même si elle n’est effective que sur le papier, est un premier acte symbolique et un signal fort donné aux groupes d’autodéfense dans le nord du pays.
Si les décisions prises par le gouvernement lors du dernier Conseil des ministres pourront certainement apaiser le climat social sur une courte durée, sur le long terme, des problèmes similaires pourraient resurgir. L’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement et les groupes armés non terroristes peine à être appliqué. Les groupes armés jihadistes liés à Al-Qaïda, eux, restent très actifs notamment dans le Centre et le Nord.
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