Le procès de Dakar

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Il est, semble-t-il, politiquement correct de nos jours – et plutôt bien vu – de critiquer Abdoulaye Wade. La cible, il est vrai, est aisée : elle bouge, parle, brasse des idées – parfois un peu de vent -, imagine, intervient sur tout, surgit là où on ne l’attend pas, réagit plus qu’elle n’encaisse. Dans un pays où la presse, les partis et l’opinion exercent leur droit à l’insolence avec infiniment plus de liberté qu’ailleurs, Wade offre prise, comme l’on dit. Boulimie imaginative, calvitie aussi parfaite qu’un oeuf d’autruche, colères, habiletés, traits de génie, costumes impeccables, américanomanie, marabouts, sécheresse, naufrage et rebelles chanvrés : tout se mêle, tout s’embrouille, tout est prétexte dans ce qui apparaît de plus en plus comme un procès en sorcellerie, à la fois politique, physique, familial, mais avant tout personnel. D’où le malaise que suscite tout excès – d’opprobre comme de louanges – et cette incontournable question : pourquoi tant de hargne ?

Abdoulaye Wade voyage trop, dit-on. Mais il annonce ses déplacements et les explique, alors que nombre de ses pairs en font de plus fréquents, de plus longs, souvent sans objet et toujours en catimini. Abdoulaye Wade est âgé, dit-on. C’est exact, mais qui d’autre, sur le continent, publie chaque année son bulletin de santé ? Abdoulaye Wade sombre dans le népotisme, dit-on. Si utiliser au sein de la présidence un fils ou une fille qui n’ont pas attendu d’y être pour acquérir fortune et position professionnelle revient à cela, la quasi-totalité des chefs d’État sont triplement coupables : ils font la même chose, le cachent, et leurs enfants sont loin d’être toujours compétents. Abdoulaye Wade est un rêveur, dit-on. Sans doute : mais le Nepad, dont il était de bon ton de se gausser, est devenu un thème récurrent de tous les discours sur le développement en Afrique ; quant aux grands travaux, qui peut tenir rigueur à un président d’avoir de l’ambition et de vouloir laisser une trace de son passage ?
Au rang des « erreurs » commises par Wade – et il en a commis, bien sûr -, on retiendra donc celles-ci : ne pas avoir su, ou voulu, se constituer un réseau d’influence extérieur à coups de prébendes comme l’ont si bien fait les protecteurs de ceux qui le critiquent ; ne pas avoir tenu compte aussi des frustrés de l’alternance et de l’amertume de tous ceux qui, un certain jour d’avril 2000, virent les grilles du palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor se refermer devant eux. S’il s’en était soucié, si comme tant d’autres il s’était moulé dans l’uniforme conformiste du tirailleur francophile et prévisible, paternaliste et redistributeur, qui oserait l’accuser d’entamer, à 77 ans, une carrière de dictateur ?
Instruit au jour le jour à Dakar, le plus souvent avec acharnement et une totale absence de sérénité par une classe politico-médiatique se côtoient nostalgiques et orphelins, manipulateurs de l’ombre et adversaires déclarés, le procès d’Abdoulaye Wade s’apparente avant tout à un règlement de comptes où seul le style de gouvernement est jeté en pâture. Restait à dresser l’inventaire et à établir le bilan des « années Wade ». En voici une première esquisse.

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