« J’entends gérer mon pays comme une entreprise »

Il y a dix-huit mois, il a hérité d’un pays exsangue. Pour relancer la machine économique, le président Marc Ravalomanana, en libéral convaincu, compte sur l’investissement privé. Étranger, en premier lieu.

Publié le 21 novembre 2003 Lecture : 7 minutes.

Marc Ravalomanana ne s’en cache pas : il n’aime guère son palais d’Ambohitsorohitra, qu’il juge peu fonctionnel. Celui-ci présente pourtant l’avantage d’être situé en plein coeur d’Antananarivo, à deux pas de la place de l’Indépendance. Tous les matins, commerçants et passants peuvent donc apercevoir le président se rendant à son bureau. Cette proximité est une nouveauté : son prédécesseur avait préféré se faire construire une résidence à l’extérieur de la capitale…
Au cours du bras de fer électoral qui, de janvier à juillet 2002, l’opposa à Didier Ratsiraka, jamais le soutien des habitants de Tana ne lui a fait défaut. Il est vrai qu’il était leur maire… Originaire de l’Imerina, dans le centre du pays, ce capitaine d’industrie (il fut marchand de lait, puis fabricant de yaourts) de 53 ans est un self-made man. Protestant pratiquant, chef d’Église et chef d’entreprise, il avait tous les atouts pour accéder à la magistrature suprême. Populaire, opiniâtre et pressé, il souhaite aujourd’hui promouvoir un développement « durable et rapide », ce qui peut sembler contradictoire.
Quoi qu’il en soit, Ravalomanana, en libéral convaincu, compte sur le partenariat public-privé pour relancer la machine économique. Car Madagascar, en dépit d’une tentative de diversification de ses relations diplomatiques au profit des Anglo-Saxons, peine à attirer les investissements nécessaires à son développement. Les opérateurs français conservent une place prépondérante dans l’économie locale.
Pourtant, la Grande Île ne manque pas d’arguments. Passé la crise du premier semestre 2002, le tombeur de Ratsiraka a fondé son propre parti, Tiako’i Madagasikara (TIM, « J’aime Madagascar »), grâce auquel il a remporté haut la main les élections législatives de décembre dernier. Encore sonnée par sa défaite, l’opposition peine à retrouver ses marques. Désormais reconnu par l’ensemble de la communauté internationale (Union africaine comprise), le nouveau régime bénéficie du soutien du FMI et de la Banque mondiale. Il peut en outre compter sur un taux de croissance de 9,6 % en 2003. À lui de ne pas laisser passer sa chance.
Ravalomanana doit maintenant s’attacher à tenir ses promesses sans favoriser la capitale au détriment des provinces côtières. S’il y parvient, il est assuré de conserver longtemps son bureau au palais d’Ambohitsorohitra.

Jeune Afrique/L’intelligent : Le français, dit-on, n’est pas votre tasse de thé. Pourtant, vous avez accepté de répondre aux questions de J.A./l’intelligent. Avez-vous pris des cours ?
Marc Ravalomanana : Vous savez, ça vient naturellement. Mais il n’est pas nécessaire de parler français pour être président de Madagascar. Notre langue nationale, c’est le malgache.
J.A.I. : Un an après celui des législatives, un nouveau triomphe de votre parti semble assuré lors des prochaines élections communales
M.R. : Nous sommes parvenus à mettre en place des institutions fiables. Il est donc normal que le parti au pouvoir obtienne la majorité absolue.
J.A.I. : L’opposition semble avoir le plus grand mal à exister
M.R. : Nous sommes pourtant très ouverts à l’égard des partis qui partagent notre ambition d’un développement rapide et durable. C’est notamment le cas de l’AVI, de Norbert Ratsirahonana. Mais nous travaillons également avec les responsables de l’Arema [Avant-Garde pour la rénovation de Madagascar, parti de l’ex-président Ratsiraka] qui
sont restés à Madagascar. Au mois d’août, nous avons par exemple pris la décision d’exonérer de taxes un certain nombre de produits importés. Eh bien, les parlementaires de l’Arema ont approuvé cette mesure.
J.A.I. : En revanche, la loi permettant aux investisseurs étrangers d’accéder à la propriété foncière ne fait pas l’unanimité. Certains vous accusent de « brader la terre des ancêtres »
M.R. : J’ai pris un risque, mais c’est un risque calculé. Nous nous efforçons d’attirer les investisseurs étrangers, et cette politique commence à porter ses fruits. Le directeur régional de la Banque mondiale pour l’Afrique nous a encouragés à poursuivre dans cette voie. En septembre, je me suis rendu à New York, pour l’Assemblée générale des Nations unies, puis à Tokyo. Et là, j’ai été surpris par le nombre d’investisseurs qui souhaitent travailler avec nous. D’ailleurs, les missions d’hommes d’affaires se
succèdent à Tana. Récemment encore, nous avons reçu une délégation de chefs d’entreprise venus de Normandie.
J.A.I. : Vous n’éprouvez donc aucune défiance à l’égard de la France ?
M.R. : Je n’ai rien contre nos partenaires français, avec lesquels nous continuerons à travailler. Seuls ceux qui ignorent ce qui s’est passé ici peuvent nous accuser de ne pas aimer la France. Les investisseurs français s’intéressent à la privatisation des industries cotonnière et sucrière, à la gestion du port de Toamasina Ils sont également présents dans des secteurs comme la banque ou le transport aérien.
J.A.I. : Pourquoi avoir abandonné le franc malgache au profit de l’ariary, la monnaie utilisée avant la colonisation ?
M.R. : Il n’y a là rien d’anormal. N’a-t-on pas fait la même chose en Irak après la chute de Saddam Hussein ? Ici, d’importantes sommes en francs malgaches avaient disparu de la Banque centrale pendant la crise de 2002. C’est pourquoi le FMI a accepté le principe
d’un changement de monnaie. Nous en avons choisi une que les Malgaches connaissaient déjà.
J.A.I. : Vous évoquez surtout vos relations avec les pays développés. Vous sentez-vous
africain ?
M.R. : Bien sûr. En juillet, Madagascar a participé au sommet de l’Union africaine, à Maputo. J’entretiens d’excellentes relations avec le président sénégalais Abdoulaye Wade, à qui j’ai rendu visite, à Dakar nous avons par ailleurs ouvert une ambassade. Je
suis également allé au Mali, au Kenya et en Zambie. Et je compte poursuivre ces déplacements. Avant d’être président, je voyageais déjà beaucoup : j’ai déjà visité 147 pays. Les relations internationales, c’est ma spécialité !
J.A.I. : À Maputo, l’UA s’est prononcée pour la réconciliation de tous les Malgaches. Pourquoi ne pas avoir organisé de Conférence nationale, comme certains vous le demandaient ?
M.R. : Pour qu’il y ait réconciliation, il faut qu’il y ait eu conflit. Or Madagascar n’a pas connu de guerre civile. La crise électorale de 2002 était le résultat d’une mésentente. Des poursuites ont été engagées contre les personnes mises en cause, et je ne peux interférer dans le travail des magistrats. Mais j’ai indiqué que je souhaitais une accélération des procédures en cours.
J.A.I. : L’ancien Premier ministre Tantely Andrianarivo est en détention préventive
depuis dix-sept mois, alors que son état de santé est alarmant
M.R. : C’est vrai, mais ce sont ses avocats qui en sont responsables. Ce sont eux qui font traîner les procédures.
J.A.I. : Le 8 août, votre prédécesseur a été condamné à dix ans de travaux forcés assortis d’une peine d’inéligibilité. Qu’en pensez-vous ?
M.R. : Par respect pour l’indépendance de la justice, il ne m’appartient pas de commenter cette décision.
J.A.I. : Plusieurs de vos ministres ont naguère travaillé avec vous au sein de la société Tiko. C’est également le cas du président du Sénat, du maire d’Antananarivo et de l’ambassadeur à Washington. L’entreprise-État va-t-elle se substituer au parti-État autrefois incarné par l’Arema ?
M.R. : Diriger un État, c’est comme gérer une grande entreprise : la confiance y joue un rôle déterminant. Je choisis mes collaborateurs avec soin, mais tous ne viennent pas de Tiko. Concernant notre ambassadeur à Washington, par exemple, c’est un homme qui maîtrise bien les questions financières. Je l’ai nommé à ce poste parce qu’il est compétent pour tout ce qui concerne les relations avec le FMI et la Banque mondiale.
J.A.I. : Vous êtes le premier président merina depuis l’indépendance. Du coup, certains vous accusent de privilégier la région des hautes terres au détriment des provinces
côtières
M.R. : Je n’ai pas le sentiment de privilégier Antananarivo. Par exemple, des infrastructures routières sont en cours de réalisation dans toutes les régions. Je me rends fréquemment en province pour rencontrer les populations. Je les écoute, nous mettons au point des projets et nous les réalisons. Priorité à l’action.
J.A.I. : Vous avez récemment déclaré que vous n’attendriez pas l’aval du Parlement pour mener à bien les réformes…
M.R. : J’ai simplement voulu dire qu’en attendant l’aval du Parlement il n’était pas question de rester les bras croisés. En matière d’infrastructures notamment, les villes de province sont dans une situation catastrophique. Je veux que les travaux de réhabilitation soient entrepris le plus rapidement possible.
J.A.I. : Vous donnez l’impression d’être plus à l’aise dans le management que dans la
politique
M.R. : Actuellement, la seule solution pour développer Madagascar, c’est de travailler en partenariat avec les privés. L’échec du socialisme l’a montré : le rôle de l’État n’est
pas d’assumer des activités de production.
J.A.I. : L’objectif des opérateurs privés, c’est de faire du profit. Est-ce compatible
avec les aspirations des Malgaches, alors que le salaire minimum plafonne à 40 000 ariarys
[30 euros] ?
M.R. : Dans une entreprise, on calcule les bénéfices en termes financiers. Pour un État, on les calcule en termes de popularité. L’objectif, c’est que l’opinion fasse confiance au gouvernement.

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