Jacques Faye

Sociologue du monde rural, ancien directeur de l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA).

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique/L’intelligent : Comment jugez-vous la politique agricole du Sénégal ?
Jacques Faye : Il n’existe pas de politique agricole au Sénégal. Depuis le début des années 1980, notre pays est soumis à des programmes d’ajustement structurel. Les institutions de Bretton Woods imposent à nos gouvernants de se désengager de pans entiers de l’économie et de réduire au minimum l’intervention étatique dans des secteurs comme l’agriculture. De sorte que le Sénégal dérégule depuis plus de deux décennies, au lieu de s’atteler à construire une agriculture aujourd’hui faible, toujours de type familial, et non compétitive sur le plan international.

J.A.I. : Que préconisez-vous ?
J.F. : Remédier à un tel gâchis ne peut se faire sans véritable révolution agricole. Nous devons avant tout combattre les règles qui permettent au Nord d’offrir des subventions à ses producteurs et de déverser ses surplus au Sud. Il faut ensuite mettre en place des politiques structurelles fondées sur la scolarisation du monde rural, et procéder à une réforme foncière. Le paysan sénégalais doit retrouver des droits réels sur la terre pour y investir. Il est donc urgent de modifier la loi de 1964 sur le domaine national – qui autorise l’État à exproprier les exploitants agricoles – et changer le Code du travail, qui ne réglemente pas l’activité de la terre.
Enfin, notre agriculture a besoin d’une technologie améliorée et d’une plus grande ouverture aux règles du management moderne et du marché international. Notre retard est énorme : le Sénégal compte 6 millions de ruraux, dont 4 millions d’agriculteurs, mais moins de 200 chercheurs. À titre de comparaison, il y a en France 700 000 paysans et 4 000 chercheurs rien qu’à l’Institut national de recherches agronomiques (INRA).

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J.A.I. : Que pensez-vous de la culture de maïs prônée par les autorités pour pallier les insuffisances de l’arachide ?
J.F. : Le Sénégal n’a pas vocation à être un grand producteur de maïs. Excepté dans la partie sud du pays, notre climat sahélien est peu adapté à cette culture. Au motif de diversifier, l’État gaspille 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros) dans une filière non rentable qui sera abandonnée d’ici peu. On ne diversifie pas sur une simple décision d’autorité, il faut une demande pour entraîner les producteurs. Sous l’ère socialiste, les tentatives de diversification avec le niébé et le soja se sont soldées par des échecs parce que le marché n’a pas suivi. Dès que l’État a stoppé les subventions, les paysans ont abandonné ces filières.

J.A.I. : Pourquoi le slogan « Consommer sénégalais » tant déclamé n’est-il toujours pas suivi d’effets ?
J.F. : Ceci relève d’une logique économique simple : les Sénégalais consomment de la brisure de riz, la céréale la moins chère au monde. Les autres produits locaux (mil, maïs…) sont, de loin, moins compétitifs. Le mil, par exemple, ne peut excéder une productivité de 2 à 3 tonnes par hectare.

J.A.I. : Justement, il y a du riz au Sénégal. Alors pourquoi en importer ?
J.F. : Disons plutôt qu’il y avait du riz. La riziculture de mangrove pratiquée en Casamance ne cesse de régresser. Depuis l’indépendance, les surfaces cultivées ont été réduites de 70 %. L’agriculture de mangrove demande une main-d’oeuvre importante et implique une charge de travail écrasante pour entretenir des installations peu productives et non compétitives sur le plan international. À cela, il faut ajouter l’impact de l’exode rural, les jeunes Casamançais préférant tenter leur chance ailleurs. On pratique une riziculture d’eau douce seulement à Kolda et à Kédougou, ce qui est insuffisant pour nourrir le Sénégal.

J.A.I. : Qu’en est-il de la vallée du fleuve Sénégal, dans laquelle on voyait l’avenir du pays après la mise en service des barrages de Diama et de Manantali ?
J.F. : Là encore, nous avons choisi une technique inadaptée, expérimentée puis abandonnée par beaucoup de pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Mali… Le système d’agriculture irriguée motorisée choisi ne peut, de par ses coûts et ses contraintes, être compétitif dans un pays sous-développé.

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