Insécurité royale

Un journaliste réussit à se faire embaucher à Buckingham comme valet de pied . Et ridiculise le service de sécurité de Sa Majesté.

Publié le 24 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

« J’aurais pu assassiner la reine ou le président des États-Unis », a claironné, le 19 novembre, un reporter britannique dans les colonnes du tabloïd le Daily Mirror. Au moment où George W. Bush se réveillait d’une première nuit passée à Buckingham Palace, Ryan Parry publiait sur quinze pages la chronique d’un scandale programmé.
Tout a commencé en août. Au 19e étage de Canary Wharf, l’immense tour de verre qui surplombe les anciens docks de Londres, Parry pianote sur son ordinateur. Il est à la recherche de sujets croustillants. Comme partout ailleurs en Europe, le mois d’août caniculaire s’écoule mollement. Mais, à 26 ans, Parry, qui a déjà « fait » plusieurs unes du tabloïd, n’entend pas céder à la léthargie ambiante.
L’idée d’un « coup » médiatique germe enfin après une visite sur le site Internet officiel de Buckingham Palace. Une idée qui prend corps à la lecture d’une petite annonce. La famille royale propose un emploi de valet de pied. Le journaliste, friand des subterfuges dont raffolent les Anglais, imagine déjà servir le thé à la reine ou promener ses chiens corgis dans les jardins du palais, puis rapporter dans les pages du Daily Mirror, tiré chaque jour à 3,2 millions d’exemplaires, les confidences des uns et des autres. La trace d’un vieil amant de la reine, retrouvée dans le fond d’un tiroir ? Le journal intime de l’une de ses confidentes ? Ou peut-être mieux, à l’instar des révélations qu’il a faites fin juin après avoir déjoué les systèmes de sécurité du tournoi de Wimbledon. À l’heure de la psychose terroriste, les appartements d’Élisabeth II et du prince Philip sont-ils aussi inviolables qu’on le prétend ?
Sans trop savoir ce qu’il pourra découvrir, Parry se porte candidat. Il se garde bien évidemment de mentionner ses études de journalisme et gonfle son expérience de serveur dans les pubs, acquise du temps où il avait besoin d’arrondir ses fins de mois lorsqu’il était étudiant. Même s’il s’entoure de toutes les précautions et bénéficie du feu vert de ses chefs, Parry doute de sa réussite. Son nom est trop connu. Il suffit d’un simple clic sur Internet pour découvrir sa véritable identité. Et pourtant…
Quelques jours après avoir envoyé sa candidature, il est convoqué par la responsable du personnel de la reine. Grand, svelte, le crâne prématurément dégarni, Parry endosse sa tenue la plus British pour l’entretien. Il fait bonne impression. On lui promet une réponse rapide. Le temps de passer un coup de fil à l’un des pubs où Parry aurait travaillé et d’entendre un habitué du comptoir lancer « Oh ! Je le connais, c’est un chic type », et voilà le contrat d’embauche prêt à être signé ! Parry sera logé dans l’une des ailes du palais, lui annonce-t-on, dans une petite chambre aux murs dénudés. Pas n’importe laquelle toutefois : il dormira dans un lit d’une place juste au-dessus de la fameuse Galerie des portraits – maigre consolation au regard de son salaire qui peine à atteindre 1 300 euros par mois.
Fin septembre, le journaliste endosse l’uniforme du personnel de la reine : un complet gris anthracite, rehaussé d’une capeline rouge et d’un haut-de-forme cerné d’un ruban doré en cas de sortie. D’emblée, un autre valet lui confie : « Cet uniforme est votre passe-partout. » Parry a ainsi accès aux ours en peluche du prince Edward et autres secrets bien gardés. Grâce à son complet-veston, il est simplement gratifié d’un sourire par les agents de sécurité. Jamais fouillé. Et montre aisément patte blanche à l’entrée des autres résidences royales, comme le château de Windsor, le palais St-James ou encore celui de Kensington, où vivait lady Diana.

Le reporter est affecté à l’administration générale de la maisonnée, aux côtés d’une kyrielle de laquais et maîtres d’hôtel, prêts à attendre des heures que la reine daigne terminer sa tasse de thé. Il prend connaissance des habitudes quotidiennes d’Élisabeth II. « Si j’avais été un terroriste, j’aurais trouvé très utile l’emploi du temps de la reine qui était affiché dans la salle des laquais tous les matins dès 7 h 30 », écrit-il dans son enquête. Pour l’heure, il se contente de dresser la table du petit déjeuner, en prenant soin de disposer le pot de marmelade de Sa Majesté sur la nappe blanche, frappée de l’emblème royal, à côté de la théière en argent et des boîtes de céréales Tupperware. « Si j’avais été un terroriste, j’aurais eu tout le temps nécessaire pour y mettre du poison », renchérit-il. Pendant deux mois, Parry se trouve au coeur de Buckingham Palace. Et découvre que le prince Andrew conserve précieusement des photos de son ex-femme dans sa chambre, que Sophie de Wessex préfère le vin blanc au dîner ou encore que le duc d’Édimbourg peut tout à fait saluer son valet de chambre par une grossière insulte. Il ne se prive pas, au passage, de dénombrer les occasions qu’il a eues d’assassiner la reine. Le 15 octobre, soit un mois à peine après son arrivée, il se retrouve à quelques mètres d’Elisabeth, laissée seule dans ses appartements pour téléphoner. Plus tard, il est à proximité de la voiture de la famille royale, comme l’atteste l’une des nombreuses photos publiées par le Daily Mirror. « J’aurais pu poser une bombe », indique-t-il dans une des légendes. De quoi inciter le tabloïd à dénoncer l’affaire comme « le plus grand scandale jamais essuyé par la sécurité royale ».
L’appétit venant en mangeant, Parry décide de passer à la vitesse supérieure : éprouver l’impressionnant dispositif de sécurité – estimé à 17 millions de dollars – déployé pour la visite d’État de George et Laura Bush. Quelque 5 000 policiers sont mobilisés pour quadriller les rues de la capitale, sans compter les centaines de gardes du corps en armes du président américain.

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Le faux valet de pied réussit pourtant à s’introduire dans la Suite belge, où devait séjourner le couple Bush jusqu’à vendredi. « Cinq jours avant [leur arrivée, mardi 18 novembre], alors que le Royaume-Uni et les États-Unis préparaient l’opération de sécurité la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale, j’ai pu prendre une photo de la chambre [où dormiraient les Bush] », s’étonne encore le reporter. Le jour J, une heure et demi avant l’atterrissage d’Air Force One, l’ensemble du personnel de Buckingham Palace reçoit l’itinéraire détaillé du convoi présidentiel. Parry s’arrange même pour assister, caché derrière un rideau, à la réception organisée en l’honneur du couple présidentiel. Personne n’aurait pu l’arrêter s’il avait voulu éliminer le chef d’État américain. Préférant la plume aiguisée aux armes à feu, Parry quitte le palais en catimini le 18 novembre au soir. Et rédige dans la nuit, avec force détails, sa petite « bombe médiatique ». Au petit matin du 19 novembre, les kiosques étalent la « une » accrocheuse du Daily Mirror : une grande photo du reporter posant sur un balcon du palais, barrée d’un seul mot écrit en rouge, « L’intrus ».
Scotland Yard, le ministre de l’Intérieur David Blunkett et le palais ripostent immédiatement. Et promettent une énième enquête sur la sécurité de la famille royale. À lui seul, le titre du tabloïd soulève des interrogations quant aux pratiques de certains journalistes britanniques. Parry n’est certes pas le premier reporter à usurper une identité. Mais vu le succès de ce genre de procédé, il ne sera certainement pas le dernier.

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