En attendant la loi d’orientation

Les pluies abondantes laissent espérer de bonnes récoltes en 2003. Reste que le secteur a de plus en plus besoin de réformes.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Dire de l’agriculture qu’elle est primordiale pour le Sénégal, où 53 % de la population vit dans le monde rural, est un doux euphémisme. Le secteur emploie aujourd’hui 60 % des actifs, contribue pour près de 20 % au Produit intérieur brut (PIB) et absorbe 10 % du programme d’investissements publics. À elle seule, la filière arachide, principal moteur de développement du pays jusqu’aux années 1980 et aujourd’hui encore première culture de rente, occupe 70 % des paysans sénégalais et fait vivre quelque 3 millions de personnes.
Seul hic : en trente ans, la production n’a cessé de chuter, pour tomber à 200 000 tonnes l’an passé, contre 1,2 million de tonnes en 1975. En 1997, pour sauver la situation, l’État décide de libéraliser le secteur. Sa gestion, jusque-là confiée à deux sociétés publiques – la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) et la Sonagraines -, est dévolue au Comité national interprofessionnel de l’arachide (CNIA). Et la Sonagraines, qui assurait l’achat aux producteurs à un prix fixe, l’acheminement de la collecte ainsi que la fourniture en intrants et en semences, est liquidée en décembre 2001.
L’été suivant, la crise atteint son paroxysme. Les pluies sont rares, la production catastrophique (- 70 % par rapport à la campagne précédente). Le secteur privé, insuffisamment préparé, n’a pas pu assurer la relève de la Sonagraines de manière satisfaisante. Résultat : de nombreux paysans ont dû eux-mêmes acheminer leur production jusqu’à l’usine de transformation, et leur récolte a été achetée par des opérateurs privés. Problème : un certain nombre d’entre eux, pas toujours honnêtes, leur ont délivré des reconnaissances de dettes sous forme de bons, qui, à ce jour, n’ont pas encore été honorés…
L’année 2003 s’annonce meilleure pour l’agriculture sénégalaise. Les pluies abondantes de l’été devraient doper la production, notamment celle des filières céréalière et arachidière. Cette dernière, selon les prévisions officielles, avoisinerait les 400 000 tonnes. Reste que la qualité des rendements est victime de handicaps majeurs : érosion généralisée des sols, difficultés d’accès aux engrais et aux semences de qualité (accentuées par la faiblesse de la production en 2002), et taux élevé du crédit (7,5 %). Des mesures ont bien été prises – programme de restauration du capital semencier, ajustements des modalités de collecte -, mais les effets tardent à se faire sentir. Et les actions mises en oeuvre en matière hydraulique ont connu plus ou moins de succès. L’emploi de la technologie des pluies artificielles, envisagée un moment, se révèle coûteuse et très aléatoire. Les investissements ont été concentrés sur l’aménagement de canaux d’irrigation, de forages, de minibarrages, et sur la mise en place d’un programme de valorisation des bassins de rétention…
Quant à la Sonacos, sa restructuration est toujours d’actualité. Le sureffectif, la vétusté et le nombre de ses usines font exploser les coûts fixes, ce qui signifie des bénéfices insuffisants pour payer convenablement les paysans. Le calendrier de la privatisation, qui n’a pu être respecté à deux reprises, en 1995 et 1997, demeure incertain. Seule certitude : l’État a lancé un appel d’offres au mois d’août dernier. Les modalités du schéma de privatisation – en bloc ou par lots – ne sont, elles, toujours pas définies.
Pour autant, les réformes engagées ne peuvent rien contre la baisse des cours mondiaux, l’impact des subventions versées à leurs paysans par les États-Unis, premier producteur mondial d’arachide, et l’étroitesse des débouchés. La demande européenne pour l’huile et les tourteaux tendant à la baisse, les espoirs reposent désormais sur le développement de l’arachide de bouche (en coque ou décortiquée) à destination des marchés internationaux.
Enfin, la diversification de l’agriculture, annoncée depuis plusieurs années, permettra-t-elle d’absorber la main-d’oeuvre qui n’est plus occupée par l’arachide ? Rien n’est moins sûr. Si les cultures de melons, d’asperges, de haricots verts, de mangues ou de tomates-cerises représentent des niches intéressantes, la production horticole dans son ensemble stagne en deçà des 10 000 tonnes par an. Bref, ce n’est pas encore une alternative sérieuse. D’autant que la clé du succès est aussi affaire d’organisation : il faut, avant tout, pouvoir respecter les délais de livraison et donc améliorer la qualité du transport et assurer la régularité des productions.
Le gouvernement, qui souhaite encourager les cultures d’exportation, doit faire face à une autre urgence : assurer la sécurité alimentaire du pays. Les approvisionnements en céréales proviennent pour moitié des importations (essentiellement des brisures de riz venues d’Asie) et pour l’autre moitié de la production nationale. La production locale de riz – environ 200 000 tonnes par an – est encore peu compétitive. C’est ce qui a conduit le gouvernement à soutenir la culture du maïs. La récolte 2003, qui ne pourra réaliser l’objectif symbolique du million de tonnes annoncé en janvier dernier, pourrait atteindre le chiffre tout à fait honorable des 500 000 tonnes. Un sacré bond en avant comparé aux 84 000 tonnes de la précédente récolte. Une récolte qu’il restera néanmoins à écouler, car la consommation nationale demeure faible et le pays manque d’usines de transformation.
Le coton présente quant à lui des résultats encourageants. La production, qui a mieux résisté au déficit pluviométrique, a été multipliée par deux en cinq ans, pour atteindre 34 000 tonnes en 2002. La campagne en cours pourrait s’achever sur le record de 55 000 tonnes. Le secteur a beau être l’un des plus modestes d’Afrique de l’Ouest, il compte plus de 50 000 cultivateurs et fait vivre environ 300 000 personnes. L’essentiel de la production est exporté. L’un des enjeux à venir consiste à encourager la transformation locale et l’implantation de nouvelles filatures. Et d’en asseoir la productivité en diminuant les prix de revient. La privatisation de la Société de développement des fibres textiles (Sodefitex), qui assure depuis 1980 la totalité des activités du secteur (collecte, achat, égrenage, transport, exportation), pourrait y participer. Jeudi 13 novembre, l’ouverture de son capital, qui progresse de 2,5 milliards de F CFA, a été confirmée. La société française Dagris devient majoritaire, augmentant ses parts de 20 % à 51 %, l’État et la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO) conservant le reste. Une entrée au capital des producteurs et des employés de l’entreprise est par ailleurs prévue d’ici à deux ans.
Pour tenter d’éviter les à-coups des politiques passées, une loi d’orientation agricole, qui définira les axes d’intervention des vingt années à venir, est à l’étude. Une première version a été diffusée et soumise à discussion auprès de tous les intervenants du secteur (producteurs, privés, collectivités territoriales, administrations de l’État). Une deuxième mouture devrait prochainement voir le jour. L’épineuse question du foncier fera l’objet d’une loi spécifique. Les conflits de compétences entre l’État et les collectivités territoriales dans l’attribution des terres doivent en effet être résolus pour permettre une meilleure gestion du domaine foncier et une sécurisation de la propriété privée. Il s’agit aussi pour le gouvernement, soucieux d’attirer les investisseurs, de trouver le juste arbitrage entre la modernisation de l’agriculture, qui passe notamment par le développement de grandes exploitations agricoles, et la préservation des systèmes d’agriculture familiale. Le chantier ne fait que commencer.

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