Demi-bilan pour demi-mandat

Depuis son élection, en mars 2000, Abdoulaye Wade a permis à son pays d’acquérir une bonne visibilité sur la scène internationale. Mais, sur le plan social, les revendications sont toujours aussi fortes.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Malgré de bonnes perspectives économiques, cette fin d’année ne s’annonce pas de tout repos pour Abdoulaye Wade. Porté au pouvoir dans l’euphorie générale en mars 2000, le président sénégalais se trouve pris, à mi-mandat, dans une zone de turbulences politiques et sociales. Le 6 novembre dernier, partis d’opposition et représentants de la société civile, réunis sous la bannière de la lutte contre la violence politique, manifestaient dans les rues de la capitale contre l’agression au marteau, le 5 octobre, de l’opposant Talla Sylla, leader de la formation Jëf-Jël. En juillet, déjà, le journaliste Abdou Latif Coulibaly lançait une polémique en publiant « Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? », trois cents pages de critique sans concession du bilan et de la méthode de gouvernement de Wade. Et la question de se faire plus précise : en quarante-quatre mois d’exercice du pouvoir, l’apôtre du sopi (« changement », en wolof) a-t-il démérité ? Une seule certitude : le président a connu des fortunes diverses dans le traitement des dossiers prioritaires.
Sur le plan macroéconomique, les choses semblent rentrées dans l’ordre. L’année 2003 devrait se terminer avec un taux de croissance remonté à 6,6 % et une inflation redescendue autour de 1 % (voir pages 50-51). Un sursaut salutaire après une année 2002 peu reluisante. La croissance avait chuté à 2,4 % après une moyenne de 5 % ces dernières années, essentiellement à cause d’une campagne agricole catastrophique. Le gouvernement avait d’ailleurs réagi en août 2002 en allouant une aide de 15 milliards de F CFA (22,8 millions d’euros) aux familles paysannes durement touchées. Autre dossier sensible, qui a trait directement au quotidien des Sénégalais : l’électricité. Les trois premières années au pouvoir de l’alternance ont, comme avant, été marquées par les délestages de courant. En cause, la Société nationale d’électricité (Sénélec). En septembre 2001, le gouvernement a « renationalisé » l’entreprise en remboursant quelque 40 milliards de F CFA à ses anciens partenaires privés, et dépensé autant pour rénover ses installations et améliorer son parc énergétique. L’objectif restant de pouvoir la revendre (voir page 50). Ce que l’État, à ce jour, n’a pas encore réussi à faire. Résultat : les déficits de l’entreprise continuent de grever les deniers publics. À leur décharge, les autorités sont parvenues à ralentir, à défaut d’y mettre fin, le rythme des fameux délestages, et à augmenter la capacité de production de la Sénélec de 30 MW en investissant 12,5 milliards de F CFA.
Abdoulaye Wade était attendu sur un autre terrain : celui de la bonne gouvernance. Certes avec un peu de retard, un projet de loi portant création d’une « commission nationale contre la non-transparence, la corruption et la concussion » a finalement été déposé à l’Assemblée nationale, puis débattu le 12 novembre. Prudents, les Sénégalais attendent de voir, quelque peu échaudés par l’utilisation qui a été faite de l’audit sur la gestion du régime socialiste de son prédécesseur, commandé par Wade dès sa prise de fonctions. Parmi les anciens dirigeants de sociétés publiques et parapubliques épinglés, seule Khady Diagne, ex-directrice de la Société du domaine industriel de Dakar, a fait l’objet d’un procès, entre janvier et mars 2003. Et les Sénégalais d’appeler de nouveau à plus de transparence. Ainsi, le 7 décembre 2002, l’ordre des architectes allait jusqu’à porter plainte contre l’État. Selon eux, « le marché de gré à gré est devenu la règle, en violation de tous les engagements de bonne gestion ».
Les autorités issues de l’alternance ont néanmoins eu la main plus heureuse en d’autres domaines. La bonne visibilité acquise par le Sénégal sur la scène internationale est à mettre au crédit d’Abdoulaye Wade, qui peut se targuer d’avoir obtenu de beaux succès diplomatiques. On se souvient de la poignée de main entre l’ancien président malgache Didier Ratsiraka et son « tombeur », Marc Ravalomanana, le 18 avril 2002 à Dakar, au plus fort du bras de fer auquel se livraient les deux hommes. Et de l’accord de cessez-le-feu arraché au Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), le 17 octobre 2002, par l’opiniâtreté du ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio.
Wade est également entré dans le club très sélect des chefs d’État promoteurs du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), à la faveur d’une fusion de son plan Omega avec le Plan africain du millénaire concocté par le Sud-Africain Thabo Mbeki, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika et le Nigérian Olusegun Obasanjo. Tous les quatre ont ainsi été invités aux derniers sommets du G8, à Gènes, à Kananaskis et à Évian. Bref, en politique étrangère, la « méthode Wade » fonctionne. En dépit des sorties remarquées du président sénégalais contre certains de ses homologues. De manière plus générale, le Sénégal a conservé, sous son leadership, l’image avenante d’une démocratie apaisée. Celle aussi d’un pays dynamique, que la prestation de ses footballeurs, quart de finalistes de la Coupe du monde de football 2002 en Asie, a contribué à mieux faire connaître et admirer.
Sur le plan intérieur, des efforts ont été entrepris pour préserver le pouvoir d’achat des Sénégalais. L’État a, par exemple, augmenté les salaires de 5 % à 10 % en 2002. Sans toutefois parvenir à satisfaire la demande sociale. Environ 65 % de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire en dessous du revenu nécessaire pour se procurer l’équivalent de 2 400 kilocalories par jour et par personne. À Dakar, Kaolack ou Louga, on se démène toujours comme « Goorgoorlou » (voir p. 85), ce personnage célèbre d’une série télévisée dont la lutte pour survivre retrace le difficile quotidien du citoyen lambda. Les talk-shows des radios privées servent d’exutoire à des Sénégalais de plus en plus pressés de voir le sopi se traduire par plus de thiebou dieun (riz au poisson, plat national du pays) dans leur assiette. En attendant, l’informel explose, les Sénégalais « se débrouillent », tous font « des affaires ». Dakar est un vaste marché où tout se vend. La ville a de plus en plus de mal à ressembler à une capitale.
Élu sur la promesse de résorber le chômage, Wade a créé, en avril 2001, un Fonds national de promotion de la jeunesse, doté annuellement de 2 milliards de F CFA et destiné à financer des projets professionnels. Reste que les jeunes ont toujours autant de difficultés à trouver un emploi. Dans le secteur des transports, le président a inauguré une usine de montage de véhicules, le 17 septembre à Thiès (à 70 km de Dakar). La société Senbus-Industries, qui va travailler en coopération technique avec le géant indien Tata, sixième constructeur mondial de véhicules utilitaires, affiche une capacité de production de mille véhicules par an. Pour le moment, elle se contente d’en faire sortir six cents chaque année, qui seront écoulés au Sénégal mais aussi dans la sous-région. De quoi petit à petit satisfaire les trois millions de Dakarois qui utilisent quotidiennement les transports en commun.
Face aux nombreux problèmes, Abdoulaye Wade a usé, en quarante-quatre mois, deux Premiers ministres – Moustapha Niasse (avril 2000-mars 2001) et Mame Madior Mboye (mars 2001-novembre 2002) – et un nombre impressionnant de ministres, de conseillers et de hauts fonctionnaires. La Primature est aujourd’hui occupée par Idrissa Seck, numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), d’ailleurs plus représenté au sein du gouvernement. Abdoulaye Wade dirige dorénavant avec son parti et un Premier ministre qui ne cesse de confier être en phase avec lui. Plus d’excuse donc si les idées du président tardent encore à être concrétisées pour répondre à la persistante demande sociale ! La prochaine élection présidentielle a beau n’être prévue que pour 2007, Wade a à coeur d’étoffer son bilan. C’est d’ailleurs ce qu’il a signifié à ses partisans, le 25 octobre dernier : « J’accepte de me présenter, à la seule condition que personne ne traîne, que tout le monde avance pour réaliser les promesses faites aux Sénégalais. »

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