Bush à la conquête du Moyen-Orient

Un mensuel, une radio, une chaîne de télévision. En deux ans, l’administration américaine a utilisé tous les canaux de communication existants pour tenter d’insuffler la culture de l’oncle Sam aux Arabes.

Publié le 21 novembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Pour redorer l’image des États-Unis dans le monde arabe, il suffit d’y lancer une radio, un mensuel et une chaîne de télévision, le tout en langue locale. Du moins est-ce là l’opinion du gouvernement de George W. Bush, qui a successivement approuvé la création de Radio Sawa en 2002, du magazine Hi, au cours de l’été 2003, et de Middle East Television Network, dont l’antenne devrait ouvrir dès la fin du ramadan. De quoi convaincre les plus sceptiques que les médias sont bien un quatrième pouvoir – ou un instrument de propagande. Par ce biais, les États-Unis veulent amadouer la population du Moyen-Orient, qui nourrit à leur égard un sentiment de plus en plus négatif. « Notre but est de poser les bases de changements à long terme dans une région du monde à laquelle nous avons trop peu prêté attention », déclare le président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des représentants, Henri Hyde. Avec un tel objectif, le Congrès américain n’a pas lésiné sur les moyens : 30 millions de dollars (25,5 millions d’euros) sont alloués au lancement de Metna (nom provisoire de la chaîne télévisée). Somme qui pourrait doubler en 2004.
Il est vrai que ses concurrentes, telles Al-Jazira et Al-Arabiya, sont déjà bien implantées. Depuis 1996, la chaîne qatarie émet, via un satellite, 24 heures sur 24, auprès de 55 millions de téléspectateurs environ. Elle se targue d’une information objective grâce à un réseau de plus de 800 journalistes. Et elle a les moyens de ses ambitions, à savoir une enveloppe annuelle de 35 millions de dollars offerte par le gouvernement de l’émir Al-Thani. Quant à la petite dernière, Al-Arabiya, elle bénéficie du soutien du groupe saoudien MBC, qui dispose d’un budget de 300 millions de dollars pour les cinq années à venir. Cela dit, Metna ne rivalisera pas sur le domaine de l’information en continu. Elle serait plutôt une version en arabe de Fox News avec des talk-shows et des programmes de variétés. Une manière de modifier insidieusement les habitudes télévisuelles, voire culturelles, des Arabes tout en cassant la mauvaise image de l’oncle Sam. Même si la Broadcasting Board of Governors (BBG), l’agence fédérale américaine chargée des émissions radiotélévisées vers l’étranger, s’en défend fermement. Selon elle, le but de Metna, tout comme de Radio Sawa, est de « diffuser une information objective, à la manière de BBC World, dans une région qui ne jouit d’aucune liberté de la presse ». Et Al-Jazira ? « Complètement financée par le gouvernement du Qatar, donc sous tutelle », rétorque la BBG. Si le financement est le seul critère pour mesurer la liberté d’un média, alors Metna n’est pas plus indépendante qu’Al-Jazira puisqu’elle est subventionnée par le gouvernement américain. Jihad Bullout, un journaliste de la chaîne qatarie, prédit que Metna devra fournir de gros efforts pour convaincre les Arabes qu’elle n’est pas un outil de propagande au service des Américains…
À l’image des chaînes moyen-orientales, Metna ne s’éloignera pas trop de sa tutelle. Son siège est situé aux États-Unis, à Fairfax, en Virginie. Reste à savoir qui « fera » l’information. « L’équipe éditoriale comptera entre 75 et 100 journalistes, tous arabophones », indique la BBG. La plupart d’entre eux auront la nationalité américaine, tandis que certains correspondants seront originaires du pays où ils seront basés. La BBG promet effectivement de créer, dans un futur plus ou moins proche, différentes antennes au Maghreb et au Moyen-Orient. Le lancement de cette chaîne américaine entièrement arabophone s’inscrit dans une stratégie plus globale, définie juste après les attentats du 11 septembre 2001. Radio Sawa, dont le nom signifie « ensemble » en arabe, a ouvert son antenne en mars 2002. Certes, Voice of America (Voix de l’Amérique) diffusait déjà la bonne parole des États-Unis, et ce depuis 1942. Mais Radio Sawa, qui émet en Jordanie, au Qatar, au Koweït ou encore aux Émirats arabes unis, n’a pas pour objectif déclaré de renverser les régimes en place comme sa grande soeur du temps de la guerre froide. Au contraire, cette radio se veut jeune et divertissante avec plus de musique que d’informations.
Le Congrès a accordé 35 millions de dollars à cette station, en espérant qu’elle contrebalancera le déclin de Voice of America, en perte de vitesse notamment auprès des jeunes Arabes alors que plus de 65 % de la population a moins de 30 ans. Son taux d’audience peine à atteindre les 2 %. La BBG admet d’ailleurs que Voice of America, une radio d’informations, n’est plus un bon produit marketing, et reste trop associée à l’image va-t-en-guerre des États-Unis. Radio Sawa veut donc conquérir, plus élégamment, les laissés-pour-compte de la Voix de l’Amérique… Bien qu’elle ne l’affiche pas ouvertement, son ambition est de « démocratiser » le monde arabe, ne serait-ce qu’en formant – ou formatant – l’élite de demain. Cette démarche missionnaire porte ses fruits, surtout en termes d’audience, et ce en dépit de la présence de médias concurrents comme la BBC, Radio France Internationale, Radio Orient, les stations officielles et même privées. La BBG américaine estime que 30 % des Jordaniens et 40 % des Qataris l’écoutent. Au Qatar, la moitié des auditeurs ont moins de 30 ans ! Ainsi la radio aurait-elle doublé son audience en moins de deux ans. D’après les statistiques publiées par la BBG fin septembre, 37 % des Émiratis écoutent Radio Sawa. Parmi eux, 55 % approuvent la politique américaine. Car telle est bien la volonté du gouvernement Bush : séduire les Arabes. Une tactique qu’un journaliste égyptien de Al-Ahram Hebdo a baptisée « Le plan Marshall des cerveaux ». Là encore la BBG dément, à travers l’un de ses membres, Norman Pattiz, qui est surtout le président de Westwood One, principale maison de production de programmes radio aux États-Unis. « Nous ne faisons pas de propagande », martèle-t-il.
En octobre 2002, la Maison Blanche avait elle-même commandé un sondage pour évaluer l’antiaméricanisme dans le monde islamique. Les résultats étaient effrayants. Plus de la moitié des 10 000 personnes sondées en Arabie saoudite, au Maroc, au Koweït, en Jordanie, en Indonésie, au Pakistan, en Turquie et en Iran ont avoué avoir des préjugés négatifs sur les États-Unis. À peine moins (44 %) jugeaient que les valeurs propagées par l’Amérique avaient un effet pervers sur leur mode de vie. Dans le but de susciter des sentiments plus positifs, l’administration Bush élargit encore son audience en lançant, en juillet dernier, le magazine Hi (« Salut »), destiné aux jeunes de 18 ans à 35 ans. Financé à hauteur de 4 millions de dollars par le Congrès, ce mensuel tout en papier glacé est édité à Washington. Le premier numéro a été tiré à 50 000 exemplaires. Objectif, « ouvrir une fenêtre sur la culture américaine ». La presse arabe n’est pas dupe. « Un magazine étatique avec des prix subventionnés qui vient d’Amérique » ; « un journal entièrement apolitique qui répond à des impératifs très politiques », commentent les chroniqueurs de Casablanca à Damas. Hi n’évoque pas le conflit israélo-palestinien ni la guerre en Irak, mais plutôt le parcours de la chanteuse Norah Jones, le problème de l’obésité, ou les démarches à suivre pour s’inscrire dans une université américaine lorsque l’on est arabe. Au fil des pages toutes en couleurs, on découvre des personnalités américaines et arabes, avant de finir sur la chronique « Mon histoire ». Cette rubrique donne la parole à des jeunes Arabes qui s’expriment sur les Américains et vice versa. Les États-Unis voudraient-ils réfuter l’hypothèse d’un choc des civilisations – ou plutôt, éviter une récidive ? C’est ainsi que la directrice de Hi, Jane Ottenberg, voit sa mission : « Nous espérons que le magazine servira de tremplin pour instaurer un véritable dialogue et une meilleure compréhension entre nos jeunes lecteurs arabes et les jeunes Américains. » À côté de ces initiatives, les États-Unis ont par ailleurs débloqué un fonds estimé à 23 millions de dollars pour contribuer à la « restructuration » de la presse arabe. En d’autres termes, le monde arabe doit se préparer à une invasion américaine d’un autre genre : celle de l’information et des images.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires