Bras de fer Moscou-Riyad

La Russie augmente sa production de pétrole. L’Arabie saoudite contre-attaque en ouvrant son domaine gazier aux Européens.

Publié le 20 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Historique ! » C’est ainsi que les dirigeants de la Saudi Aramco(*) ont qualifié l’accord signé, dans la nuit du 15 novembre, après la rupture du jeûne, entre le gouvernement saoudien, représenté par son ministre du Pétrole et des Ressources minières Ali el-Naimi, et les présidents de deux compagnies occidentales, Thierry Desmarest (Total, France) et Philip Watts (Shell, Angleterre/Pays-Bas).
D’ordinaire, les dirigeants saoudiens – et arabes en général s’abstiennent de tenir des réunions internationales et de conclure des accords commerciaux d’importance pendant le mois de ramadan. Pourquoi ont-ils dérogé à la règle, d’autant que rien, apparemment, ne pressait ?
Engagées depuis plusieurs années, les négociations sur l’ouverture du territoire saoudien à l’exploration gazière étrangère – le pétrole est toujours un monopole national – ont connu des hauts et des bas. Elles ont même été suspendues courant juillet face aux exigences des compagnies étrangères qui voulaient notamment s’assurer un taux de rentabilité supérieur à 10 % par an. Si les pourparlers ont été rapidement réengagés, c’est pour deux raisons : la situation intérieure saoudienne (vague d’attentats terroristes) et le positionnement nouveau de la Russie sur la scène pétrolière. Car, en dépit de l’accord de coopération russo-saoudien signé le 4 septembre à Moscou par le prince héritier Abdallah Ibn Abdelaziz et le président Vladimir Poutine, la Russie est décidée à faire cavalier seul. Au lieu de réduire leur production, comme le leur avait demandé l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), les compagnies russes – toutes privées – l’ont au contraire augmentée, à tel point qu’elles menacent désormais l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial (voir infographie). Pis, le ministre russe de l’Énergie Igor Ioussoufov a déclaré, un mois après la signature du « pacte » russo-saoudien, que le prix du pétrole était trop élevé et que les ministres de l’OPEP, qui se réuniront le 4 décembre à Vienne, en Autriche, feraient mieux d’augmenter leur production au lieu de la réduire…
Depuis la rupture des négociations entre la major américaine ExxonMobil et la Saudi Aramco, les gisements de Sibérie sont présentés par la presse occidentale comme une réserve de substitution. « The Other Saudi Arabia » (« L’autre Arabie saoudite »), titrait ainsi l’hebdomadaire Business Week du 27 octobre.
En accélérant et en faisant aboutir les négociations avec Total et Shell, Riyad rend donc à Moscou, premier producteur et exportateur mondial de gaz, la monnaie de sa pièce. Assurée de conserver son leadership dans le domaine pétrolier – et pour encore plusieurs décennies -, l’Arabie saoudite peut aussi devenir, avant 2010, le numéro un du gaz naturel. C’est là que se trouve la clé du contrat historique du 15 novembre.
Pour la première fois depuis la nationalisation totale des hydrocarbures, en 1980, l’Arabie saoudite ouvre son domaine gazier – et seulement gazier – aux explorateurs étrangers. Cette source d’énergie ayant été délaissée au profit du pétrole, Riyad n’avait jamais entrepris de recherches spécifiques. Ses réserves actuelles de gaz, découvertes au cours d’explorations pétrolières, ne s’élèvent qu’à 6 400 milliards de m3, soit 40,2 milliards de barils équivalent pétrole, ou encore 16 % des réserves d’or noir (262 milliards de barils). Ce qui place le royaume au cinquième rang mondial, derrière la Russie, le Qatar, l’Iran et les États-Unis.
Les concessions octroyées à Total et à Shell couvrent une superficie de 210 000 km2, soit cinq fois la superficie des Pays-Bas. Les investissements de départ sont estimés à 2 milliards de dollars, soit 10 % de ce que la Saudi Aramco souhaite consacrer au secteur gazier dans les années à venir. Le nouveau consortium (40 % Shell, 30 % Total et 30 % Saudi Aramco) est certain de mettre au jour d’énormes gisements dans cet immense territoire inexploré du Roub al-Khali. Les Russes, dont les réserves d’or noir risquent, au rythme actuel, de s’épuiser avant 2025, devraient réfléchir à deux fois avant de s’en prendre aux rois du pétrole.

* Saudi Aramco est le nom, adopté en 1988, de l’ex-Aramco (Arabian American Oil Company). L’Aramco, qui contrôlait, jusqu’à sa nationalisation totale en 1980, l’essentiel de la production pétrolière saoudienne, est elle-même issue de la CASOC (California Arabian Standard Oil Company), fondée en 1933.

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