Plateau du Golan : « Le positionnement américain pourrait banaliser la question israélo-palestinienne »
Depuis la reconnaissance américaine de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, le monde arabe s’interroge. Pour ce territoire convoité par les autorités syriennes et israéliennes, les conséquences de cette décision pourraient être lourdes sur le long terme, selon Barah Mikaïl, chercheur et spécialiste du Moyen-Orient.
La reconnaissance américaine de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan a vivement animé les débats du 30e sommet de la Ligue arabe, organisé les 30 et 31 mars à Tunis. La décision de Donald Trump, concrétisée le 25 mars dernier par la signature d’un décret, a majoritairement été rejetée et dénoncée par les dirigeants arabes présents. Une déclaration jugée « illégale » et en « violation avec le droit international » par des dirigeants arabes, dans une déclaration séparée.
La décision américaine est le second coup dur de l’administration Trump pour les pays arabes, après la reconnaissance de Jérusalem comme la capitale d’Israël en décembre 2017.
Représenté comme une zone stratégique, le plateau du Golan, qui abrite druzes et Israéliens, contrôle la plupart des sources alimentant le lac de Tibériade et du Jourdain. Placé sous la souveraineté de la Syrie après l’indépendance de 1946, le plateau du Golan est finalement annexé à Israël en 1981, qui en a conquis le territoire en 1967 durant la guerre des Six-Jours. Depuis, une résolution adoptée par du Conseil de sécurité des Nations Unies, exhortait Israël de se retirer des territoires occupés durant cette période.
Pour le chercheur et spécialiste du Moyen-Orient Barah Mikaïl, le positionnement de l’administration américaine pourrait à terme banaliser la question territoriale israélo-palestinienne.
Jeune Afrique : Pourquoi le plateau du Golan représente-t-il un enjeu aussi important ?
Barah Mikaïl : La portée du Golan est surtout symbolique et révélatrice de la nature de la vision israélienne : pour eux, tout territoire conquis est la propriété de son conquérant, et toute négociation sur ce territoire ne doit pas impliquer sa restitution automatique intégrale au pays d’origine. En réalité, Israël cherchait depuis longtemps à maximiser son assise territoriale, au nom d’une combinaison incluant les principes du sionisme, l’étroitesse de son territoire et la perception selon laquelle les Arabes auraient assez d’espace pour aller vivre « ailleurs ».
La dimension stratégique ne doit pour autant pas être écartée. Les hauteurs du Golan ont longtemps permis à Israël de disposer d’une position stratégique lui permettant de mieux superviser les environs, même si cela paraît désormais moins utile. Les réserves d’eau dont dispose le plateau du Golan à travers le lac de Tibériade sont également vues par les Israéliens comme un atout. En échange d’un traité de paix et à condition que les Syriens renoncent à récupérer leur accès au lac de Tibériade, les Israéliens étaient prêts, à la fin des années 1990, à céder à la Syrie une superficie du plateau supérieure à celle revendiquée par Damas.
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Quelles pourraient être les conséquences de la décision des États-Unis ?
La décision américaine est illégale d’un point de vue du droit international ; elle pourrait acquérir une valeur effective si la Syrie renonçait explicitement à son droit à récupérer le Golan, mais ce n’est pas le cas. Nous avons tendance, malheureusement, à considérer que le droit international est le fait des grandes puissances. La décision américaine n’engage que les États-Unis, dans des termes illégaux, certes, mais pour lesquels on voit mal un mécanisme de sanctions internationales prévaloir.
Tant que l’administration Trump sera au moins au pouvoir, il ne faut pas s’attendre à de grands avancements sur les crises arabo-israéliennes
Le mouvement américain va être suivi par nombre de pays proches – ou aspirant à se rapprocher – de la grande puissance, mais cela n’engage à court terme qu’une minorité d’entre eux. Sur le long terme, les conséquences pourraient être plus lourdes : le positionnement de l’administration américaine pourrait en venir à banaliser la question territoriale israélo-palestinienne, sur fond de lassitude des opinions publiques et de maints gouvernements devant un conflit qui a trop duré.
La Syrie a récemment appelé à une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, que peut-il faire concrètement ?
Les États-Unis opposeront leur veto à toute tentative visant à critiquer leur décision, donc tant que l’administration Trump sera au moins au pouvoir, il ne faut pas s’attendre à de grands avancements sur les crises arabo-israéliennes.
Certains pays arabes ont quelque part reconnu le triomphe de la politique israélienne
Beaucoup d’États arabes et musulmans ont refusé cette décision. Peuvent-ils aller au-delà des simples condamnations ?
Les pays arabes arguent continuellement sur les questions territoriales, notamment le droit des Palestiniens à disposer de leur État, qui demeure un principe sacro-saint. Mais ces condamnations sont plutôt destinées à leurs opinions publiques, qui paraissent toujours aussi intransigeantes sur cette question. À quelques rares exceptions, une majorité de gouvernements arabes est lassée des conflits israélo-palestinien et israélo-arabe ; et beaucoup d’entre eux sont engagés dans des liaisons directes mais non officialisées avec Israël.
Dans un sens, ils ont reconnu le triomphe de la politique israélienne, mais ces États ne peuvent le reconnaître officiellement au risque de déclencher de vagues contestations au sein de leurs populations, pour lesquelles la question palestinienne demeure une ligne rouge.
Les divisions apparues lors de ce sommet arabe prouvent, une fois de plus, la faillite des initiatives de la Ligue arabe
Le sommet arabe a-t-il échoué selon vous ?
Les divisions apparues lors de ce sommet arabe prouvent, une fois de plus, la faillite des initiatives de la Ligue arabe. Et cela restera le cas tant que les Arabes échoueront à afficher une voix consensuelle basée sur la défense de leurs propres intérêts.
Beaucoup parlent de la volonté américaine de contourner l’influence iranienne en attribuant le plateau du Golan à l’État israélien, qu’en pensez-vous ?
Le rapport entre les deux questions ne me paraît pas évident. Une thèse circule en effet dans les médias, selon laquelle les États-Unis chercheraient à limiter l’influence iranienne en procédant de la sorte. Personne ne peut démentir l’obsession anti-iranienne des États-Unis. Mais cette décision est plutôt reliée à leur politique pro-israélienne et ne concerne en rien la volonté étasunienne de limiter l’influence de son ennemi dans la région.
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