L’or du Nord
La partition du pays a déréglé le système de production et de commercialisation. Chacun essaie de tirer son épingle du jeu.
« Il faut que ce conflit se termine. Les routes et les pistes ne sont plus entretenues et deviennent impraticables, le système bancaire est paralysé, le troc est de plus en plus répandu », se lamente Amadou, producteur dans la région de Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire, la zone de culture cotonnière. Un peu plus de trois ans après la tentative de coup d’État qui a entraîné de facto la partition du pays, les agriculteurs de la zone des savanes paient un lourd tribut à la crise. Pourtant, ils s’accrochent corps et âme au seul produit générateur d’espèces sonnantes et trébuchantes. Et ce même si le fonctionnement de la filière connaît de nombreux ratés, sept ans après sa libéralisation.
En 1998, à l’issue de la privatisation de la CIDT (Compagnie ivoirienne pour le développement des textiles), l’activité cotonnière est divisée en trois zones. Celle du Centre reste aux mains de la compagnie étatique. Le lot Nord-Ouest est cédé à Ivoire Coton, filiale du groupe Aga Khan, et celui du Nord-Est à La compagnie cotonnière ivoirienne (LCCI), un consortium rassemblant le groupe malien L’Aiglon et le français Bolloré. Le passage d’un système très intégré, de la production à l’exportation, à une filière libéralisée a remis en question tout le fonctionnement du secteur : concurrence dans la distribution des intrants et du commerce de la fibre, discussions dans le cadre de l’interprofession, etc. « La partition du pays et la baisse des cours mondiaux du produit n’ont fait qu’accroître les problèmes. Si bien que le système de production et de commercialisation a été totalement déréglé, chacun essayant de tirer profit des nouvelles règles du jeu sans en subir les contraintes (notamment en ce qui concerne le paiement des semences, engrais et pesticides et celui de la livraison du produit). À ce jeu, tout le monde est aujourd’hui perdant. De nombreux planteurs et la plupart des égreneurs sont endettés, et une partie des intrants et de la production est détournée chaque année vers le Burkina, le Mali et le Ghana », explique un cadre du ministère de l’Agriculture. Selon Soro Seydou, le directeur de l’Union régionale des entreprises de la zone des savanes de Côte d’Ivoire (Urecos-CI), une fédération de planteurs qui imprime son empreinte sur le paysage professionnel du coton, les seules pertes de la campagne 2004-2005 s’élèvent à 28 milliards de F CFA. Un manque à gagner qui sera épongé en partie par l’État et l’Union européenne, qui soutient les opérateurs depuis plusieurs saisons. Mais la filière ne pourra être subventionnée éternellement, et sa pérennité est en jeu… Les fournisseurs de produits phytosanitaires, sans lesquels la culture n’est pas viable, menacent de ne plus fournir engrais, pesticides et autres herbicides si leurs arriérés de paiement ne sont pas honorés. Alors que les barons du régime n’ont rien fait au début de la crise pour aider une filière dont une partie des revenus profite aux Forces nouvelles (FN) et que les seigneurs de guerre se sont allègrement servis, les parties en présence s’impliquent aujourd’hui davantage dans le sauvetage du secteur. Des corridors d’évacuation du coton ont été mis en place pour réduire le racket des « corps habillés » (ceux qui portent un uniforme officiel) et un plan de sécurisation des opérations commerciales a été adopté pour la campagne 2005-2006.
L’État réglemente par ailleurs les exportations et les subordonne, d’une part, au paiement préalable de la quote-part due aux producteurs et, d’autre part, au remboursement des crédits aux fournisseurs et aux sociétés cotonnières. Le contrôle de ces dispositions a été confié au cabinet ACE (Audit, contrôle et expertise) moyennant une redevance qui a été fixée à 3,50 F CFA le kilo de coton-graine. Quant aux égreneurs, qui se livraient une concurrence farouche pour l’achat de l’or blanc, ils semblent avoir changé d’état d’esprit, particulièrement dans la zone Nord-Est où LCCI et l’Urecos-CI, qui a monté sa propre usine d’égrenage, ont signé une paix des braves et décidé de se répartir les fonctions d’encadrement et d’égrenage.
Près de 200 000 hectares ont été ensemencés lors de la campagne 2005-2006 ; il pourrait en résulter une production de 390 000 tonnes de coton-graine, soit le niveau de la production ivoirienne avant la crise, et une augmentation de 70 000 tonnes par rapport à la saison 2004-2005. Mais les producteurs ne doivent pas s’attendre à gagner plus d’argent. Le prix d’achat du coton, qui sera fixé au plus tard en novembre, devrait être inférieur à celui de l’année passée (162 F CFA). « Si nous ne recevons pas de subventions, nous ne pourrons payer guère plus de 130 F CFA le kilo au cours actuel de la fibre », déplore Soro Seydou. Un prix qui ne manquera pas de susciter l’ire des planteurs.
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