Le contrôle des naissances
Ce n’est pas la démocratie, mais la démographie, qui sera le facteur le plus important de la sécurité et de la croissance au XXIe siècle. D’un côté, l’accroissement de la population est un lourd fardeau pour les pays en développement. De l’autre, le faible taux de fécondité freine la croissance dans les sociétés développées. Les pauvres aggravent leur pauvreté en faisant beaucoup d’enfants. Les sociétés prospères perdent de leur dynamisme parce que la population ne s’y renouvelle pas assez rapidement. Au Moyen-Orient et en Afrique, l’augmentation de la population est telle que les gouvernements ne parviennent plus à assurer les services de base, faisant ainsi le lit des mouvements extrémistes et terroristes. Pour leur part, les sociétés riches considèrent les immigrants moyen-orientaux et africains comme une menace et résistent à leur venue.
La sexualité, le mariage et la procréation n’échapperont peut-être plus très longtemps au contrôle des gouvernements. Ceux qui seront confrontés à une explosion de leur population (ou l’inverse) se verront bientôt obligés de se mêler d’affaires jusqu’ici considérées comme privées.
Les efforts déployés pour convaincre les populations d’adopter une attitude plus positive concernant la procréation n’ont rencontré qu’un succès limité. Les pays européens, par exemple, ont fait des efforts herculéens pour arrêter le déclin de leurs indices de fécondité, avec des résultats décevants. L’indice de fécondité à Singapour est dangereusement bas : 1,25 %. Les politiques d’aide à la natalité n’ont provoqué qu’une faible augmentation. Sans l’immigration, qui excède souvent la croissance naturelle annuelle, le taux de croissance économique de Singapour serait aussi faible que celui du Japon.
Les campagnes publiques qui ont réussi, comme dans certains pays scandinaves et en France, ont contraint la société à reconceptualiser le rôle du mariage et de la famille, le père jouant de plus en plus le rôle de la mère, transformation que les familles asiatiques ont bien du mal à assumer. Et pourtant, ces pays ont peu de chances d’arriver à des indices de fécondité qui permettent le simple renouvellement des populations. Sauf spectaculaire inversion de tendance, ces pays auront besoin d’immigrants pour faire marcher leurs économies.
Les pays qui accueillent le plus volontiers les immigrants s’assurent un avantage économique, mais les politiques d’ouverture à l’immigration présentent elles aussi des risques. Les immigrants seront ethniquement différents, moins éduqués et parfois sans qualification. Ils compteront parfois parmi les éléments les plus religieux de sociétés par ailleurs laïques. Beaucoup seront des clandestins. La diversité ethnique qu’ils créent peut provoquer des tensions et avoir de profonds effets sur l’identité culturelle et la cohésion sociale.
Le Japon est peut-être le meilleur exemple d’un pays qui, tout à la fois, a peur et a besoin de l’immigration. Son taux de reproduction est inférieur à 1,3 %, et sa population vieillit rapidement. Pourtant, il ne montre que peu d’empressement à accueillir des immigrants. Les États-Unis, au contraire, sont traditionnellement le pays qui les reçoit le plus volontiers. Bien qu’ils soient proches du seuil de remplacement, 80 % des 120 millions d’habitants supplémentaires qu’ils devraient compter dans cinquante ans viendront de l’immigration. Resteront-ils aussi ouverts politiquement et culturellement lorsque les Hispaniques changeront le caractère et la culture du pays ?
Le dilemme est encore pire en Europe, où la plupart des migrants sont des musulmans venant d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il est peu probable qu’ils soient facilement assimilés dans une société laïque à prédominance chrétienne. Leur isolement social pourrait compliquer la lutte contre le terrorisme islamiste.
Les gouvernements finiront par se rendre compte que l’immigration ne peut à elle seule résoudre tous leurs problèmes démographiques. Et qu’il leur faut sans doute s’investir plus activement pour encourager (ou décourager) la procréation. Ceux qui se montreront les plus imaginatifs sur ces questions épargneront à leurs sociétés – et à leurs voisins – beaucoup de peine et de souffrances.
Lee Kwan Yew fut Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990.
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