[Tribune] Génocide des Tutsi au Rwanda : pour le respect des victimes et la vérité
À quelques jours des 25e commémorations du génocide contre les Tutsi du Rwanda, l’association Ibuka France en appelle aux médias afin que les termes utilisés pour parler de ce drame ne contribuent pas à sa banalisation, voire au révisionnisme.
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Jessica Gérondal Mwiza
Membre de l’association Ibuka France
Publié le 3 avril 2019 Lecture : 3 minutes.
À l’approche des 25e commémorations du génocide contre les Tutsi, le 7 avril, nous appelons l’ensemble des rédactions françaises à un sursaut pour le respect des victimes et la vérité. Ibuka signifie : « Souviens-toi ». Notre rôle est celui de gardiens de la mémoire. Nous agissons afin de perpétuer la mémoire des victimes du génocide commis au Rwanda contre les Tutsi en 1994. Nous luttons contre la banalisation du génocide, contre le révisionnisme et le négationnisme.
Dans la presse, sur nos chaînes de radio et de télévision, nous lisons et entendons très souvent des expressions telles que « génocide rwandais », « génocide au Rwanda » ou encore « génocide des Tutsi et des Hutu modérés ». Comme le disait Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ».
Des appellations pernicieuses
Nous le rappelons : la précision sémantique est essentielle lorsqu’on connaît la rhétorique négationniste du « double génocide ». Il ne s’agit pas d’un détail, ni d’une susceptibilité mal placée de notre part. Les sources existent, nombreuses, qui expliquent en quoi les appellations ici dénoncées, et malheureusement tant utilisées, sont pernicieuses.
Le génocide des Tutsi est encore traité avec une étonnante légèreté
Il est d’usage et de bon sens d’identifier les victimes d’un génocide lorsqu’on le nomme. Ainsi, en France, nous parlons du génocide des juifs – ou de la Shoah. Nous parlons du génocide des Arméniens, du génocide des Héréros… Concernant notre histoire, on ne peut que parler du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda. C’est d’ailleurs l’expression aujourd’hui officiellement employée par l’ONU (voir sa décision du 26 janvier 2018, A/72/ L.31).
À plusieurs reprises déjà, nous avons protesté. Mais vingt-cinq ans après, en dépit de multiples publications, malgré les procès qui se sont tenus un peu partout dans le monde, y compris en France, le génocide des Tutsi est encore traité avec une étonnante légèreté.
Des femmes et des hommes qui n’ont jamais mis les pieds au Rwanda prétendent pouvoir en parler avec autorité, au mépris des travaux de recherche effectués sur le terrain. D’autres n’éprouvent aucune difficulté à défendre aujourd’hui des thèses qu’ils réfutaient hier sans se sentir obligés d’expliquer aux lecteurs le motif de leur revirement. Lorsqu’il s’agit du génocide perpétré contre les Tutsi, on se permet de dire tout et n’importe quoi, même d’en rire.
>>> À LIRE – Charles Habonimana : « Je n’ai oublié ni les bruits, ni les mots, ni les images du génocide des Tutsi »
Un déni d’humanité
Serait-il donc vrai qu’un génocide, dans ces contrées-là, est sans importance ? Sait-on que le génocide est un immense crime et que derrière les mots, il y a les victimes et leurs souffrances ? La parole d’un rescapé est peut-être difficile à entendre. Mais lui tourner le dos et reprendre à son compte la propagande de ses bourreaux pour l’accuser lui-même d’être un salaud, comme certains le font, est un déni d’humanité.
Permettez-nous de faire une pause sur les droits de réponse afin de nous concentrer sur nos missions fondamentales : œuvrer pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus, ni au Rwanda ni ailleurs dans le monde. Donner à ceux qui le souhaitent un cadre où ils pourraient rendre hommage aux victimes. Participer à l’éducation des jeunes, à la tolérance, à la paix et au « vivre ensemble ». Assister et défendre les rescapés du génocide en France et au Rwanda. Engager et appuyer toute initiative visant à retrouver et à juger les responsables du génocide. Soutenir psychologiquement les survivants. Améliorer les conditions de vie des rescapés. Plaider pour la réparation et le soutien aux rescapés dans leur demande de justice et dans leur effort à se reconstruire.
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