La route au prix fort
Le trafic de marchandises est rétabli dans l’ensemble du pays. Mais les nécessaires mesures de sécurité réduisent les marges des opérateurs.
Loin d’être idyllique, la situation des transporteurs de Côte d’Ivoire s’est toutefois légèrement améliorée depuis deux ans. Peu à peu, le trafic des passagers et des marchandises entre le sud et le nord du pays retrouve une certaine fluidité. Une cinquantaine de départs par jour en direction des provinces septentrionales sont actuellement enregistrés à partir d’Abidjan, contre moins d’une dizaine durant la première année de la crise. « Le régime s’est rendu compte qu’il ne gagnerait rien à affamer le Nord du pays, et les Forces nouvelles (FN) sont obligées de faciliter la pénétration des marchandises sous peine de se mettre à dos la population », explique un diplomate occidental en poste à Abidjan.
Pour sécuriser les activités, les autorités et les rebelles ont mis en place des corridors économiques en vue, notamment, d’évacuer le cacao et le coton vers les ports d’Abidjan et de San Pedro. « Cela permet d’acheminer les produits en toute sécurité, même si nous devons en payer le coût », indique Soro Seydou, le directeur de l’Union régionale des entreprises coopératives de la zone des savanes de Côte d’Ivoire (Urecos-CI). De fait, le transport du coton de la zone rebelle à Abidjan revient à environ 200 000 F CFA (300 euros) le camion de 35 tonnes, dont 65 000 F CFA versés aux Forces nouvelles (FN) pour bénéficier d’une escorte, le reste étant distribué aux différents check points qui jalonnent la route entre Bouaké et la capitale économique ivoirienne. « On dénombre pas moins de 47 barrages entre les deux villes et, presque à chaque fois, il faut donner quelque chose », se plaint un camionneur habitué du trajet. Le racket des forces de l’ordre s’est fortement accentué ces dernières années à mesure que l’État de droit se délitait dans le pays.
« Une solution doit être trouvée à ce problème. Qu’ont fait les commerçants et les transporteurs pour être rackettés ? Nous devons trouver une issue politique à cette difficulté », indique Amadou Soumahoro, le ministre du Commerce, également secrétaire national du Rassemblement des républicains (RDR). La question lui tient d’autant plus à coeur que ses électeurs sont les premiers touchés par ce fléau.
Environ 70 % des transporteurs ivoiriens appartiennent à l’ethnie dioula, originaire du Nord, tout comme la quasi-totalité des chefs de la rébellion. Accusés d’avoir transporté à Abidjan les rebelles qui voulaient renverser le président Laurent Gbagbo lors de l’attaque de la capitale économique, le 19 septembre 2002, ils ont longtemps été suspectés de complicité avec les FN. Et ont subi de lourdes représailles des forces armées. Au plus fort de la crise, près de vingt chauffeurs ont été tués en raison de leur homonymie avec certains chefs de guerre… Aujourd’hui cependant, la plupart d’entre eux essaient d’oublier ces « moments difficiles » et acceptent tant bien que mal les contraintes liées aux précautions à prendre en situation de « ni paix ni guerre ».
Le parcours de chaque camion doit être déclaré à l’Office ivoirien des chargeurs qui est en contact avec l’état-major des armées pour sécuriser les véhicules jusqu’à leur destination. « Des réunions périodiques sont organisées entre cette structure, l’armée et les transporteurs pour améliorer le dispositif », précise Kassoum Coulibaly, président du Syndicat national des transporteurs de voyageurs et de marchandises de Côte d’Ivoire (STVM-CI).
Mais malgré ces mesures, les transporteurs ivoiriens sont très loin d’avoir retrouvé un niveau d’activité équivalent à celui d’avant le conflit. « Nous résistons pour ne pas perdre notre clientèle. Mais nous enregistrons de sérieux manques à gagner, alors qu’auparavant nous étions la plaque tournante du commerce sous-régional », poursuit Kassoum Coulibaly. En effet, environ 40 % des sociétés de transport ont mis la clé sous la porte depuis septembre 2002. Et celles qui résistent – une soixante d’entreprises – n’utilisent pas plus de la moitié de leur matériel roulant. « Le départ dans la précipitation d’une population à fort pouvoir d’achat a provoqué la fermeture de plusieurs entreprises. Quant à la crise, elle a entraîné le transfert vers les ports des pays voisins de certains trafics destinés au Mali, au Burkina ou au Niger qui transitaient autrefois par Abidjan, ce qui a contribué au ralentissement de notre activité », explique Djédjé Gnankalé, directeur commercial du Port autonome d’Abidjan. La concurrence des voisins ghanéens et togolais s’inscrit désormais dans une véritable stratégie de contournement de la Côte d’Ivoire.
Les coûts de transport des marchandises ont fortement progressé également. Outre la prédation des « corps habillés », les transporteurs doivent faire face à une augmentation du prix du carburant, en raison de la hausse des cours du pétrole. Parallèlement, l’état du réseau routier s’est fortement dégradé. « Nous devons faire réparer nos véhicules beaucoup plus souvent », se plaint un camionneur. Depuis le début de la crise, les routes et les pistes rurales ne sont plus entretenues en zone rebelle. Et la situation n’est guère meilleure dans le sud du pays. Les nids-de-poule y sont de plus en plus fréquents et le délabrement des voies de circulation s’accentue de jour en jour, particulièrement sur l’axe Abidjan-San Pedro.
Pour couronner le tout, le transport routier subi de nouveau la concurrence du rail. Depuis 2003, le trafic ferroviaire a repris entre Abidjan et Ouagadougou. Si cela constitue un manque à gagner pour les transporteurs routiers, ceux-ci peuvent cependant compter sur une nouvelle manne financière. Avec la fermeture des établissements bancaires dans la zone Nord, les sociétés de transport offrent, en effet, de plus en plus souvent la possibilité à leurs passagers d’assurer aussi le convoyage de leurs fonds. Ainsi les guichets des compagnies de la gare routière d’Adjamé proposent à leurs clients outre des titres de voyages, le transfert d’argent. Si le service n’est, certes, pas nouveau, la population y a de plus en plus recours ces temps-ci. « J’envoie régulièrement de petites sommes à ma mère qui se trouve à Séguéla. Les cars de voyageurs acheminent mon argent jusqu’à Bouaké moyennant 10 % du montant. Là, un de mes frères récupère la somme et loue les services d’un autre convoyeur pour la faire parvenir jusqu’à sa destination finale. C’est un peu compliqué, mais généralement c’est assez sûr », explique Bakary, un Ivoirien du Nord qui travaille à Abidjan en vantant les mérites du système D.
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