La fève a la fièvre
La gestion de la filière reste opaque, les paysans s’appauvrissent et les plantations vieillissent.
Le destin des producteurs de cacao de Côte d’Ivoire est plus que jamais lié aux événements politico-militaires du pays depuis le renversement du président Bédié en décembre 1999. La campagne 2005-2006, ouverte depuis début octobre, n’échappe pas à la règle. Dès le mois de septembre, les exportateurs ont acheté d’importantes quantités de fèves pour se prémunir contre le risque d’une paralysie des activités à l’approche du 30 octobre. « L’annonce du report des élections est inquiétante, de même que les déclarations de Laurent Gbagbo affirmant que la Constitution lui donne le droit de rester au pouvoir », expliquait début octobre Ann Prendergast, analyste à la maison de courtage Refco.
Pourtant, les spécialistes du secteur s’attendent à une récolte principale importante et de bonne qualité. Sauf catastrophe météorologique, la production devrait atteindre au moins 1,4 million de tonnes, sans grand changement par rapport aux deux années précédentes. Les approvisionnements internationaux étant garantis, les marchés ne devraient donc pas s’affoler. À moins que la situation en Côte d’Ivoire ne dégénère…
Le pays, qui assure près de 40 % de la production mondiale de cacao, souffle le chaud et le froid sur les Bourses de Londres et de New York où se négocie le produit. Le marché ivoirien est aujourd’hui complètement désorganisé par la libéralisation des activités, progressivement instaurée entre 1999 et 2001. Le prix d’achat garanti au planteur a été supprimé et de nouvelles structures d’encadrement et de régulation ont remplacé la Caisse de stabilisation, la « fameuse » Caistab, qui organisait la commercialisation du cacao, mais dont le manque de transparence irritait les bailleurs de fonds. « Aujourd’hui, on pilote à vue au gré de l’évolution des cours quotidiens du cacao. Il faut suivre, et même anticiper, les soubresauts du marché sous peine d’acheter à perte », explique un exportateur. Les négociants se couvrent donc au maximum et tentent d’acquérir les fèves au meilleur prix. Certains paysans, en mal de liquidités, bradent leurs produits à moins de 200 F CFA le kilo (0,3 euro), tandis que d’autres attendent des cours plus favorables. Mais globalement, les planteurs s’appauvrissent, notamment du fait des charges excessives qui pèsent sur leurs récoltes. Les autorités ont instauré un droit unique de sortie (DUS) de 262 F CFA le kilo (dont une taxe d’enregistrement de 42 F CFA) pour le cacao exporté et différents prélèvements pour financer les structures d’encadrement de la filière, qui s’élèvent à plus de 50 F CFA le kilo. Ce qui encourage les producteurs à vendre leur récolte au Ghana pour échapper à ces ponctions fiscales douloureuses. On estime que plus de 200 000 tonnes ont pu être commercialisées chez le voisin ghanéen, mais aussi en Guinée, au Mali et au Burkina lors de la dernière campagne. Un manque à gagner important pour les pouvoirs publics. Le cacao représente, en effet, près de 40 % des exportations du pays et 20 % de son PIB, estimé à 8 000 milliards de F CFA par le Fonds monétaire international (FMI). Près de 6 millions de personnes vivent directement ou indirectement de cette culture.
La dernière mission du FMI et de la Banque mondiale, en septembre, a demandé la réorganisation complète de la filière. Les experts de Bretton Woods, malgré le très faible niveau de coopération des responsables des organes de régulation des filières café-cacao qui ont boudé les réunions, ont constaté que plus de 400 milliards de F CFA avaient été prélevés sur le dos des planteurs entre 2002 et 2004 et que seulement 130 milliards avaient été dépensés pour le développement des activités. Ils déplorent également que les charges de fonctionnement des organes de régulation de la filière soient aujourd’hui quatre fois plus importantes qu’au temps de la Caistab, et demandent des éclaircissements sur l’utilisation des fonds tout en recommandant une diminution des prélèvements. « La réforme de la filière a servi à l’achat d’armes et à enrichir une classe de privilégiés, des barons du régime acoquinés à des représentants des planteurs », déplore un bailleur de fonds. Et de s’inquiéter de l’avenir du cacao ivoirien en raison du vieillissement du verger. La disparition progressive de la forêt primaire est un obstacle à la culture dans plusieurs régions, particulièrement de l’Est et du Centre-Est. D’où la nécessité de penser à une stratégie de replantation pour ne pas user trop rapidement les fronts pionniers – où le cacaoyer a toujours donné les meilleurs rendements – et éviter les conflits fonciers. Les bailleurs de fonds se disent prêts à financer des opérations pilotes de replantations… À condition que l’État mette un peu d’ordre dans la filière.
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