Créateurs africains en liberté

Le musée des Arts derniers, à Paris, accueille une pléïade d’artistes originaires ou familiers du continent. Étonnant.

Publié le 24 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

La capitale française réserve parfois d’agréables surprises. Au coin de la rue Mademoiselle, dans le 15e arrondissement de Paris, une girafe toute de fil de fer et de grillage regarde passer d’un air goguenard voitures, poussettes et autres scooters. Elle n’est pas là par hasard : elle garde l’entrée du musée des Arts derniers (www.art-z.net), qui jusqu’au 31 décembre 2005 abrite la Foire internationale des arts derniers (Fiad) consacrée « aux Afriques ».
Ne vous laissez pas impressionner par ce vocable un peu étrange ! Le musée des Arts derniers est en réalité une galerie d’art ouverte à qui veut bien se donner la peine de pousser la porte et se laisser surprendre par des sculptures provocatrices, des peintures étranges, des photographies troublantes… Ici, les oeuvres sont à vendre, mais la visite est gratuite ! La démarche des créateurs de ce lieu singulier se résume en quelques lignes : « Offrir une scène à la création contemporaine africaine. » Pour le maître des lieux, l’artiste Olivier Sultan, il s’agit de donner la parole aux artistes et non d’exalter une Afrique mythique ou fantasmée. Au total, ce sont vingt et un artistes qui ont été réunis sur les deux étages du musée. Et la ségrégation n’est pas à l’ordre du jour : si quatorze d’entre eux sont africains (dont six expatriés), les sept autres sont occidentaux, mais ont voyagé et travaillé en Afrique. Ne cherchez donc pas d’unité dans l’exposition. Ici, chaque créateur s’exprime de façon singulière, que ce soit par la vidéo, la sculpture avec des objets de rebut, ou des moyens plus traditionnels, tels la gouache, le fusain, l’huile, les collages… L’ensemble donne l’impression d’un joyeux brouhaha organisé en fonction des pièces disponibles, sans oublier les couloirs et l’escalier. Mais surprise : cela fonctionne plutôt bien et la promenade mérite le détour. Sélection.
Le Sénégalais Soly Cissé, 36 ans, n’est pas un inconnu. Pour Africa Remix, au centre Pompidou, il exposait une installation visuelle et sonore (Témoin de douleurs, « version War ») consistant en une pièce remplie de coussins et de tentures en tissu « camouflage » vert kaki. Au musée des Arts derniers, cet artiste diplômé des Beaux-Arts de Dakar propose des dessins au fusain extraits de la série intitulée « Monde perdu ». Ses foules de personnages enchevêtrés, difformes mais expressifs, semblent nous annoncer des jours peu radieux : notre avenir ressemble un peu à… la préhistoire !
Plus gai, le Malien Malick Sidibé, bientôt 70 ans, qu’on ne présente plus. En 2003, il a été le premier photographe africain à recevoir le prestigieux prix Hasselblad, l’une des récompenses les plus importantes de la profession. S’il a fait ses armes avec des reportages sur les soirées de la jeunesse malienne durant les années 1960, il est surtout connu pour le travail accompli dans son studio – le « studio Malick » – ouvert à cette époque (1962) dans le quartier de Bagadadji, à Bamako. C’est ce que l’on peut admirer ici : des portraits tendres, plutôt flatteurs, où les toiles de fond entrent en résonance avec les vêtements, où chaque personne photographiée est elle-même – et pas seulement le « sujet » d’un artiste. Toute une époque se retrouve ainsi prisonnière de la pellicule.
Si le Français Martial Verdier, 45 ans, côtoie Sidibé dans l’exposition, leur approche de la photographie est bien différente. Martial Verdier s’intéresse en effet au présent, mais bouleverse notre échelle du temps en utilisant une technique très ancienne, celle du calotype, le premier négatif de l’histoire de la photographie, inventé en 1839 par l’Anglais William Henry Fox Talbot. Ses portraits semblent usés par le temps, ses personnages fantomatiques se dissolvent dans l’oeuvre. « De la fusion entre l’ancien et le moderne naissent mes oeuvres hybrides, messagères d’un monde invisible peuplé d’ombres et de fantômes », confie-t-il.
Chez le jeune Sénégalais Mohamadou N’Doye, dit Douts, 32 ans, le temps est accéléré. L’artiste a choisi la vidéo afin d’évoquer la médina de Dakar. Le film Train Train Medina raconte en sept minutes comment les constructions urbaines anarchiques, le non-respect de la nature et des autres conduisent de manière irrémédiable à une catastrophe qui emporte tout sur son passage, antennes de télévision, tôles ondulées, hommes, femmes et enfants…
Et voilà que sous les oeuvres se signale la politique ! L’Anglais Bruce Clarke, 46 ans, n’en fait pas mystère. Autrefois militant antiapartheid, collaborateur du festival Fest’Africa pour le projet « Rwanda : écrire, filmer, peindre par devoir de mémoire », ce peintre traite de l’histoire contemporaine et de la manière dont elle se transmet. Il déclare, avec une certaine virulence : « Nous voulons élever le débat sur l’art contemporain à un niveau où il sera possible […] de ne pas adhérer à une proposition qui déclare exaltantes des rayures situées à 8,7 cm les unes des autres ». Et, de fait, ses peintures figuratives laissent deviner des corps anonymes, déchirés, déformés, révélés par des jeux d’ombres et de lumières, mais aussi des mots qui semblent droit sortis des colonnes d’un journal. Les titres des oeuvres sont éloquents : Words aren’t enough (« Les mots ne suffisent pas »), Piège de son histoire, Language at War (« La langue en guerre »)…
Une exposition ouverte aux artistes africains contemporains ne saurait être complète sans un détour par le « récup’art » qui consiste à créer à partir d’objets de rebut. Le Ghanéen Joe Big-Big, 44 ans, réalise des sculptures en fil de fer qui représentent des scènes de la vie quotidienne ou des sportifs (footballeurs, rugbymen…) en pleine action. Son collègue français Christophe donne naissance à tout un bestiaire imaginaire (oiseaux, crocodiles, poissons) en utilisant de vieux morceaux de bois, des outils rouillés, des racines, des écrous, des morceaux de ferraille. Que du classique !
Plus intéressantes, les oeuvres de Vincent Michéa illustrent à merveille la richesse des métissages artistiques. Ce Français de 42 ans est un passionné de musique africaine. Grand collectionneur de vinyles, il reproduit en peinture les pochettes de disque de sa collection personnelle. Anecdotique ? Sans doute, mais c’est un sympathique hommage aux musiques populaires nées dans l’effervescence des indépendances… et le maître américain du pop art, Andy Warhol, ne renierait pas la démarche.
Ce n’est pas tout : l’exposition accueille aussi les rondes sculptures féminines taillées dans la serpentine de la Zimbabwéenne Colleen Madamombe (41 ans), les toiles monochromes noires du Togolais Kisito (30 ans) ou encore les étranges personnages aux yeux mi-clos du Zambien Fanizani Akuda (73 ans). Seule déception : le Camerounais Barthélemy Toguo (38 ans), remarqué lors d’Africa Remix, n’expose ici qu’une toute petite toile… Mais ce n’est qu’un détail. Après une heure de visite, le promeneur qui a eu la curiosité de pousser la porte du musée des Arts derniers sait qu’il y reviendra, ne serait-ce que pour entendre un autre son de voix sur « les Afriques ».

Musée des Arts derniers
105, rue Mademoiselle, 75015 Paris
Exposition « Les Afriques 2 » jusqu’au 31 décembre 2005
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 11 heures à 19 heures
Renseignements : (33) 1 44 49 95 70

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