Grand invité de l’Économie RFI/Jeune Afrique – El Mouhoub Mouhoud : « Il y a encore des marges de manœuvre en Algérie »
Fin connaisseur des rouages économiques euro-méditerranéens, El Mouhoub Mouhoud, vice-président de l’Université Paris-Dauphine, est un observateur privilégié de la situation algérienne. Il est le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique samedi 2 juin sur RFI, à 12 h 10 heure de Paris, 10 h 10 TU.
Né à Tizi Ouzou, à 100 kilomètres à l’est d’Alger, arrivé en France à 10 ans, l’économiste El Mouhoub Mouhoud est l’un des meilleurs connaisseurs français de la mondialisation et des relations euro-méditerranéennes.
Auteur de nombreux livres et rapport, il se rend régulièrement dans son pays d’origine pour enseigner. Quelques jours après la démission du président Bouteflika, l’économiste pose un diagnostic sur les ratés du modèle algérien et livre des pistes de réformes alors que la population reste mobilisée pour arracher un véritable changement de système.
>>> À LIRE – Algérie : « Une transition politique douce peut se traduire par une transition économique forte »
• Émigration
« Je suis parti d’un pays dans lequel vous aviez peu de chance d’accéder à l’éducation. L’émigration a été d’une certaine manière une chance. Je n’ai jamais oublié les racines ouvrières de mes parents. Ma motivation c’est la réduction des inégalités. C’est pour cette raison que j’ai fait de l’économie. »
C’était une question d’honneur que de ne pas accepter d’avoir un mourant comme candidat à la présidence
• Soulèvement
« Les soulèvements ont été provoqués par le sentiment d’exclusion de la sphère politique et sociale, comme en Tunisie. Ce sont des éléments de raz-le-bol face à l’arrogance du pouvoir des possédants. Vous avez des détenteurs de pouvoir qui sont aussi des détenteurs de rentes économiques majeures qui empêchent les jeunes de se projeter dans l’avenir.
Cette histoire de cinquième mandat [du président Bouteflika] était insupportable pour les Algériens. C’était une question d’honneur que de ne pas accepter d’avoir un mourant comme candidat à la présidence. »
>>> À LIRE – Algérie : les promesses du printemps
Ce n’est pas le Venezuela. Rien à voir. Il y a encore des marges de manœuvre
• Venezuela
« La situation économique de l’Algérie est paradoxale. Elle est très mauvaise, car le modèle d’économie rentière pétrolière n’a fait que produire des situations compliquées en terme d’équilibre. La croissance est très basse : 1%, 1,5% du PIB.
Depuis le retournement du prix du pétrole, les réserves de change ont baissé. Elles sont passées de 200 milliards de dollars en 2014 à 75, 80 milliards. Le déficit public reste au alentours de 10%. Mais ce n’est pas le Venezuela. Rien à voir. Il y a encore des marges de manœuvre. Si la transition politique est réussie, d’une certaine manière le pays est prêt à transition économique forte. »
Le FCE, ce sont des gens qui, pour certains, ont profité des processus de privatisation réalisés dans les années 1990
• Copinage
« L’Algérie est assez proche de l’Égypte. Il y a une situation que les économistes appellent le « cronyisme ». Une relation de copinage entre les entreprises et l’État. Vous avez vu que tous ceux qui viennent d’être arrêtés [Ali Haddad, notamment] sont organisés dans quelque chose que l’on appelle le FCE, le Forum des chefs d’entreprise. C’est en quelque sorte l’organe relais du clan Bouteflika dans la société. Ce sont des gens qui, pour certains, ont profité des processus de privatisation réalisés dans les années 1990. Des privatisations faites de manière clientéliste, avec des jeux d’intérêt forts. »
• État rentier
« L’industrie ne représente que 4% des richesses créées chaque année. Les hydrocarbures, c’est 35% du PIB. Vous avez un deuxième secteur, les importations, qui représente un tiers du PIB. Et puis vous avez un troisième secteur des « non échangeables », c’est à dire des services, de la construction.
C’est là que vous retrouvez les éléments de connexion avec le clan [au pouvoir]. C’est ce secteur qui a été florissant, qui produit une bulle immobilière à Alger avec un prix du logement exorbitant.
Vous avez ces trois secteurs qui se sont renforcés au fil du temps et qui mettent en évidence une structure économique issue d’un état rentier. La rente est fabriquée par le secteur des matières premières, les revenus proviennent de l’extérieur [des exportations] et la rente est distribuée au lieu d’être accumulée. »
• Intégration maghrébine
« Le modèle bilatéral entre l’Europe et les pays de la région [Maghreb] est extrêmement négatif pour la diversification et pour la croissance de ces économies. Il faut favoriser l’intégration régionale sud-sud. C’est la seule solution.
Créer un grand marché régional. Favoriser les infrastructures entre le Maroc, la Tunisie, l’Algérie. Parce qu’il y a en plus une forte aspiration des populations.
L’intégration de droit ne marche pas bien, c’est vrai. Mais il y a une intégration profonde qui est en marche. Celle de la mobilité entre les pays. Le tourisme tunisien ne tient que grâce aux Algériens. Il y a une possibilité de mettre en place une division du travail régionale, qui joue davantage sur les complémentarités, à condition de défaire les carcans géopolitiques, notamment entre le Maroc et l’Algérie. Et cela, ça risque d’avancer dans le futur. »
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