Bandar Ibn Sultan

Ami intime du clan Bush, il quitte l’ambassade saoudienne à Washington pour prendre en main la sécurité du royaume.

Publié le 24 octobre 2005 Lecture : 6 minutes.

Il n’aura obtenu de son royal employeur que cinq semaines de vacances, déménagement compris : le prince Bandar, qui a officiellement quitté le 8 septembre l’ambassade de Washington dont il avait démissionné en juillet, a reçu sa nouvelle affectation le 16 octobre.
Un décret du roi Abdallah Ibn Abdelaziz d’Arabie saoudite, « gardien des deux Lieux saints » de La Mecque et Médine, l’a nommé secrétaire général d’un Conseil de sécurité nationale créé à cette même date, avec rang de ministre. À la cour de Riyad, dans la partie d’échecs qui se poursuit en coulisses sur un damier de marbre et d’or, deux pièces maîtresses qu’on croyait l’une et l’autre « inamovibles » ont « roqué ». L’impavide Turki al-Fayçal, après avoir dirigé les services secrets de son pays pendant près d’un quart de siècle (1977-2001), s’installe aux portes de la Maison Blanche, son flamboyant cousin, le prince Bandar Ibn Sultan, ambassadeur aux États-Unis depuis 1983, lui cédant sa place toute chaude pour prendre à son tour en charge la sécurité du royaume des Saoud. Et celle des plus importantes réserves pétrolières de la planète.
Ceux qui avaient, un peu hâtivement, taillé à Bandar un costume de dandy millionnaire et frivole devront revoir leur copie. Les longs cigares, les chasses princières en Angleterre, les fêtes données par ce James Bond exotique autour de piscines vastes comme des lacs avec les stars du gotha américain, les parties de tennis avec Colin Powell sur les courts de sa fastueuse demeure d’Aspen (Colorado) – elle est dotée d’une station d’épuration spécialement destinée à alimenter ses innombrables salles de bains -, ou encore le spectacle de sa résidence principale de McLean, en Virginie, illuminée les soirs de réception, où les badauds venaient s’extasier sur des limousines rutilantes ne doivent pas faire illusion. Tout mondain qu’il est, le nouveau ministre a l’envergure du rôle.
Bandar est bien né. Enfin, presque, puisqu’il a vu le jour, le 2 mars 1949, à l’écart du palais, sous une tente bédouine, des oeuvres de Sultan Ibn Abdelaziz, le futur ministre saoudien de la Défense – et actuel prince héritier du royaume -, et de Khizaran, l’une de ses concubines, une Noire analphabète de 16 ans, esclave affranchie. Par bonheur, papa ne s’est pas dérobé, et son fils ne lui a pas fait regretter de l’avoir laissé grandir à la cour auprès de sa propre mère avant de le pousser dans ses études.
Le petit prince mène de front deux formations : en relations internationales, ce qui lui vaut, en 1980, d’être diplômé de la prestigieuse Johns Hopkins University, mais surtout en aéronautique, sa passion. C’est aux commandes des avions de chasse les plus sophistiqués que le pilote Bandar épate ses camarades de promotion, d’abord au collège britannique de la Royal Air Force, à Cranwell, puis dans la base militaire américaine de Maxwell, en Alabama, où ses rase-mottes sur le dos lui valent de rafler toutes les médailles en vol acrobatique.
Dès la fin des années 1970, après un accident qui faillit lui coûter la vie, Bandar, devenu officier dans l’armée de l’air saoudienne, met son art du looping au service d’opérations, politico-commerciales celles-là, qu’il réalise en Amérique pour le compte de son pays. Il se fait connaître en réussissant à contourner l’hostilité du « lobby juif » au Congrès et à obtenir des députés qu’ils approuvent la vente de soixante chasseurs-bombardiers F-15 aux Saoudiens. Propulsé attaché militaire à l’ambassade de Washington par le roi Fahd, après l’élection de Ronald Reagan, puis ambassadeur du royaume, l’année suivante, Bandar grimpe en vrille. Son ascension ne s’arrêtera plus : un pied au palais de Riyad, l’autre sur les rives du Potomac, il devient l’intermédiaire obligé des innombrables marchés « pétrole contre sécurité » qui dominent les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. Des centaines de millions de barils vendus contre des centaines de millions de dollars d’armes, assistance technique comprise, pour protéger le coffre-fort saoudien des convoitises étrangères.
Très vite, Bandar ne se satisfait plus des transactions secrètes et des ventes d’armes – même largement commissionnées -, ni des relations avec les intermédiaires : c’est désormais avec le président des États-Unis en personne qu’il traite. Jimmy Carter l’avait remarqué et Reagan se méfiait de lui : George H. Bush va lui ouvrir les portes de la Maison Blanche.
En 1990, Bandar est de ceux qui veulent à tout prix la peau de Saddam Hussein, ce diviseur du monde arabe qui menace de brouiller les Saoud avec la monarchie jordanienne. Pour lever les derniers obstacles à l’offensive des marines, Bandar obtient de son souverain qu’il autorise le déploiement sur son sol des troupes américaines.
Dix ans plus tard, avec Bill Clinton, il tentera jusqu’au bout de faire aboutir le compromis sur la Palestine, mettant tout son poids dans la balance pour convaincre Yasser Arafat, dont le refus final lui « fend le coeur ». Mais c’est George W. Bush qui lui vaudra son surnom de « Bandar Bush », pour les relations de grande intimité qu’il parvient à instaurer avec l’homme le plus puissant de la planète. Il est vrai que Bandar s’y entend pour entretenir le sentiment, avec des gestes qui vont droit au coeur de George W. et de son épouse Laura : il investit – ou fait investir ses associés – dans la société Harken Energy, qui est aux mains du couple présidentiel, et dans le Carlyle Group, firme nourricière des néocons américains, multiplie les dons aux oeuvres caritatives de la première dame et offre un petit million de dollars pour enrichir la bibliothèque de son cow-boy de mari…
Cette amitié résistera à tout. Y compris aux vilaines rumeurs que les attentats du World Trade Center feront courir sur le compte d’Haïfa, épouse Bandar et fille de feu le roi Fayçal, dont on découvre qu’elle a versé des mensualités régulières à une émigrée jordanienne malade de la thyroïde, laquelle a approvisionné tout aussi régulièrement un compte dont les fonds ont servi au logement de deux pirates de l’air, à la veille du jour J… De quoi titiller des Américains déjà alarmés par les affinités suspectes existant entre terroristes (le 11 septembre 2001, faut-il le rappeler, quinze d’entre eux, sur dix-neuf, étaient des Saoudiens) et extrémistes wahhabites. Mais pas de quoi inquiéter George W., sécuritaire en chef…
Ce dernier ne s’émeut pas davantage lorsque son camarade princier organise « l’exfiltration » de cent quarante de ses compatriotes, piégés par les attentats à l’intérieur des frontières des États-Unis. Fort de ses relations « au plus haut niveau », Bandar les évacue d’un territoire devenu soudain inhospitalier à bord des seuls avions alors autorisés à voler. Sans qu’ils aient à subir le désagrément du moindre interrogatoire du FBI concernant leurs éventuels liens de cousinage avec Oussama Ben Laden et sa famille. Bandar va jusqu’à procurer aux siens des appareils spécialement aménagés pour les V.I.P., alors que toute l’Amérique reste clouée sur le tarmac de ses aéroports ! Deux jours après l’effondrement des tours jumelles, Bandar et Bush se retrouvent comme si de rien n’était dans le salon Truman de la Maison Blanche, sous le regard complice de Condi Rice, pour un rendez-vous convenu avant « les événements ».
Néanmoins, cela tangue fort autour des deux hommes. Les relations américano-saoudiennes sont ébranlées par le terrorisme islamiste. Avec l’aide des meilleures agences de communication américaines et un confortable « budget médias », Bandar s’emploie à dissiper les soupçons de duplicité vis-à-vis d’al-Qaïda que les Américains font désormais ouvertement peser sur les Saoudiens. « Nous leur avions déclaré la guerre bien avant qu’ils vous fassent mal », s’acharne-t-il à répéter à ses interlocuteurs jusqu’aux derniers jours de son ambassade. Quand l’épicentre de la terreur se rapproche, à partir de 2003, du palais de Riyad, l’Histoire semble lui donner raison. C’est désormais dans son propre pays, un royaume gouverné par un souverain octogénaire, auquel succédera sans doute son père, aujourd’hui âgé de 77 ans, que Bandar est appelé à combattre. À combattre… ou à régner ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires